Débat

Constituer un Fonds pour la formation continue des seniors?

Jérôme Cosandey, chef de projet chez Avenir Suisse, estime que la formation continue des seniors doit rester une affaire privée. La Conseillère nationale Barbara Gysi (PS) souhaite, au contraire, que cette prestation soit financée paritairement. Elle demande un Fonds pour la formation continue et la réorientation professionnelle des seniors.

Pour : Barbara Gysi

Deux phénomènes de société parlent pour une meilleure prise en compte des travailleurs âgés de notre pays: le vieillissement de la population et l’incertitude quant à notre politique migratoire, dont notre économie dépend fortement.

La formation continue est une des solutions. Les travailleurs âgés disposent d’importantes compétences et de nombreux savoir-faire et la plupart des entreprises ont fait de très bonnes expériences en mélangeant les générations dans leurs équipes. Les préjugés selon lesquels les seniors sont plus souvent malades et seraient peu ouverts au changement ne correspondent pas à la réalité des chiffres. Visiblement, les entreprises n’en tiennent pas compte: les travailleurs seniors sont souvent remplacés par des jeunes, qui sont moins chers et plus flexibles. Celui qui perd son travail, passé la cinquantaine, aura beaucoup plus de peine à remettre le pied à l’étrier et restera proportionnellement plus longtemps sans emploi. Cette tendance s’est même renforcée ces dernières années, si l’on en croit les statistiques du chômage et de l’aide sociale. Malgré leur longue expérience et leur bonne qualification, les seniors ont donc un besoin élevé de formation continue. Pendant les périodes de crise conjoncturelle, comme nous vivons ces temps, c’est souvent dans la formation continue que les budgets sont réduits, ce qui défavorise encore plus les travailleurs.

Si de nombreuses entreprises ont décidé de mettre sur pied des offres de formation continue flexibles pour leurs travailleurs âgés, ce n’est de loin pas le cas pour la plupart des grandes entreprises du pays. Il faut aussi combattre l’idée fortement répandue en Suisse que la formation continue est de la responsabilité des employés. Le poids financier de cette formation est inégalement réparti en Suisse et de trop nombreuses entreprises font endosser cette responsabilité à leurs collaborateurs.

La création d’un Fonds pour la formation continue et la réorientation professionnelle des travailleurs âgés est donc une bonne idée, car elle obligerait les employeurs à participer, de manière équitable, au développement des compétences de leurs collaborateurs âgés et, ainsi, d’assumer leur responsabilité dans ce domaine. Tout porte à croire que ce qui fonctionne parfaitement bien pour les jeunes travailleurs devrait avoir les mêmes effets pour les seniors: les moyens financiers de ce dispositif devraient être récoltés de manière solidaire auprès de toutes les entreprises. Et cette dépense serait amortie proportionnellement au nombre de seniors actifs dans l’entreprise. Ainsi, comme pour la formation des jeunes travailleurs, chaque entreprise, peu importe le secteur d’activité, devrait contribuer à développer l’employabilité des seniors. Mais cette volonté d’engager ou de garder les travailleurs âgés n’a pas encore convaincu bon nombre de dirigeants. Ce ne serait pas juste de faire porter le poids de cette responsabilité aux entreprises qui se sont déjà engagées sur cette voie.

Contre : Jérôme Cosandey

Assurer l’employabilité des travailleurs âgés est un enjeu fondamental. Mais c’est aussi au collaborateur d’établir un dialogue avec son employeur pour identifier les solutions qui vont lui permettre de rester «à jour». Ce processus n’est pas qu’une histoire de diplômes. Les activités en emploi sont aussi très importantes: participation à des projets transversaux à plusieurs départements, développement de prototypes ou évaluation de nouveaux outils. Dans les secteurs qui vivent actuellement de grands changements, c’est le devoir des partenaires sociaux d’établir des programmes de formation continue et d’en informer les collaborateurs concernés. La création d’un Fonds di de «transition professionnelle» serait par exemple une bonne alternative, au lieu de multiplier les plans sociaux et de recourir aux retraites anticipées.

Enfin, l’Etat devrait commencer par vérifier si les formations actuellement disponibles répondent – et dans quelle mesure – aux besoins des travailleurs âgés. Je ne suis en revanche pas séduit par cette idée de créer un Fonds national pour la formation continue et la réorientation professionnelle des seniors. Les coûts occasionnés par ce dispositif seraient trop élevés.

Une des tâches du politique est d’évaluer les besoins de chacun et d’y attribuer des ressources. La création d’un Fonds en- lève du pouvoir au Parlement, car elle diminue sa compétence en matière budgétaire. L’intention de ce Fonds 50+ est noble, mais je ne vois pas pourquoi toutes les autres dépenses en matière de formation sont régulièrement passées au crible alors que ces dépenses liées aux seniors seraient exemptes d’un tel contrôle. L’idée de financer ce Fonds en taxant les entreprises qui auraient moins de 15 % de leurs effectifs occupés par des seniors est contreproductive. Cette taxe punirait certes les entreprises qui engagent peu de seniors, mais elle désavantagerait aussi les entreprises qui engagent beaucoup d’apprentis et qui favorisent l’emploi des jeunes: le bonus des seniors est ainsi un malus pour les juniors. De plus, ce dispositif est contraire aux lois du marché, car elle instituerait une notion de quotas. Que les entreprises doivent aussi produire des biens et des services deviendrait ainsi presque secondaire. Que préférez-vous? Une entreprise avec beaucoup de jeunes, qui crée des emplois dans un secteur  d’avenir, ou une vieille entreprise qui supprime des postes de travail année après année mais qui atteint le quotas de 15 % de seniors? Le succès économique de la Suisse s’explique avant tout par notre capacité d’innovation et la flexibilité de notre marché de l’emploi.

Cette taxe à l’emploi jeune mettrait en péril ces deux ingrédients. De nombreuses start-ups quitteraient notre pays ou ne viendraient tout simplement pas s’y établir puisqu’elles seraient défavorisées en raison des nombreux jeunes diplômés qu’elles engagent. Sans innovation, la Suisse devient moins concurrentielle. Et en devenant moins concurrentielle, l’économie du pays va en pâtir et des emplois seront biffés. Cette situation concernerait tout le monde, les seniors comme les plus jeunes. C’est ce qu’on appelle un auto-goal.

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Jérôme Cosandey est chef de projet chez Avenir Suisse, où il est spécialiste des thèmes «Démographie» et «Travailleurs âgés». Il est aussi l’auteur de «Altersarbeit in den Kinderschuhen».

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Barbara Gysi a été membre de l’exécutif de la ville de Wil pendant 12 ans. Elle est la vice-présidente du PS suisse et présidente de la coopérative syndicale du canton de Saint-Gall.

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