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Culture et émotions

Nous avons coutume de définir la culture d’entreprise par des valeurs, des pratiques-maison, par des manières de diriger et de travailler ensemble et par des façons originales de s’occuper des clients et des parties prenantes. Cette manière de considérer – ce que nous appelons les intangibles – soutient l’aura externe et interne d’une organisation par des expressions qui s’adressent à l’intelligence personnelle et collective.

Mais est-ce suffisant d’avoir des valeurs et des réflexes communs? En suivant quelques organisations dans leur désir de proposer une culture d’entreprise qui touche vraiment les personnes, j’ai remis en question ma propre approche qui est, grosso modo, de passer des valeurs abstraites aux réflexes concrets. Grâce à une lecture éclairante*, j’ai dû prendre en compte une strate humaine plus profonde: les émotions positives et négatives, qui sont les vecteurs contagieux de la culture d’entreprise.

Les émotions, au sens originel, viennent du verbe émouvoir: mettre en mouvement. On pourrait aussi parler de moteur, de motivation, au sens de ce qui nous fait bouger, nous met à l’ouvrage, pour secréter une sorte de «design» organisationnel. Aujourd’hui, les émotions désignent surtout une sensation, positive ou négative, plaisante ou déplaisante, régnant dans le champ affectif ( = être touché par). Les émotions constituent les sous-jacents implicites d’une culture d’entreprise explicite: sous la surface des mots et des valeurs, un champ magnétique puissant réunit ou sépare les femmes et les hommes travaillant dans le même organisme.

Les comportements observés c’est bien, les émotions reconnues c’est mieux. Comment les personnes au travail ressentent-elles leur implication dans l’entreprise: appartenance, distance, enthousiasme, méfiance, confiance, mépris? La souffrance peut être au rendez-vous, comme des prises de risques inconsidérées. Dans l’article précité*, les auteurs proposent de ne pas interroger une personne sur son ressenti, mais de lui demander, à son avis, ce que les autres ressentent. Cette approche indirecte, peu agressive, devrait mieux mettre en valeur ce qui fait se mouvoir, ce qui fait avancer les personnes dans une organisation.

Aussi faut-il prendre en compte que les émotions sont «contagieuses» comme les virus, les sourires, le rire et le fou-rire. La surveillance de cette viralité potentielle est clé. Les auteurs osent même suggérer qu’il faille «modeler les émotions que vous voulez cultiver» quitte à sur-jouer les émotions souhaitables. Je resterai plus réservé en essayant d’abord de faire le relevé de ce que les personnes ressentent, ne serait-ce que pour vérifier si les champs émotionnels exprimés sont vrais et quels en sont les impacts sur l’ensemble de l’organisation.

Une personne-leader, porteuse d’un concentré de regards sur les émotions qu’elle véhicule devrait être capable de lire les émotions, sur les visages, les gestes, les mots, les faux-fuyants, les remarques agressives, les esquives, les rumeurs et les nondits. Dans le même mouvement, la personne responsable développe sa capacité de guider ses émotions. Où mettre le curseur entre la culture de la peur et la culture du plaisir? Joie, inquiétude, tristesse, perturbation, mépris, enthousiasme, colère, perte d’énergie, respect, surprise, défi, etc.: les responsables sont invités à entrer dans le jardin des fleurs et des mauvaises herbes cultivées par les émotions. Un langage émotionnel possible est de connecter avec autrui par une question ouverte: «Qu’est-ce que je peux faire pour toi aujourd’hui?», de tuer la rumeur en disant: «J’aime les potins sympas, mais pas les rumeurs non vérifiables». «Comment vis-tu cela?». «Qu’est-ce qui te touche le plus?».

En conclusion, je me suis demandé quel serait le plus grand dommage si nous ne gérons pas professionnellement les émotions? A mon avis, de grands dégâts apparaîtraient si le langage cognitif et les valeurs partagées seraient contraires aux émotions répandues. Dire que nous avons tous droit à l’erreur et développer une culture de la peur de la faute est dévastateur, par exemple. A l’heure où les modèles de leadership heureux sont à la mode, il se pourrait qu’une douce tyrannie puisse aussi se développer sous l’étendard de la bienveillance. Culture d’entreprise: langages, comportements et émotions. Alignés.

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Maxime Morand, théologien de formation, a fait son parcours dans les RH au Crédit Suisse, à l'Union bancaire privée, puis chez LODH en tant que responsable des RH. Depuis 2012, il est consultant RH indépendant.

Lien: www.provoc-actions.com

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