La chronique

Dés-administrons!

Scientifiquement déshumanisés lors de formations réputées savantes (tout salarié n’y est considéré que comme une variable financière au seul profit de l’actionnaire).

Re-conditionnés en business-men d’apparat dans les matrices toxique de firmes de consultance (on y apprend seulement la compétition-prédation, le cost-killing et à ne plus jamais penser qu’en powerpoint), certains des dirigeants issus de ces programmations débilitantes se persuadent eux-mêmes d’être les vrais créateurs d’une richesse pérenne, en jonglant avec des ratios abstraits, en justifiant sans cesse de leurs intentions bienveillantes ou en brandissant les théories et les utopies à la mode, dont ils se déclarent les hérauts désintéressés.

La toute dernière de ces illusions en forme d’écran de fumée? La dés-administration, ultime avorton d’une agilité et d’une simplification, qu’il semble bien difficile d’implanter... Certaines activités de nos organisations se perçoivent en effet – cruellement – manquer de consistance: la mesure objective et pertinente de leur performance économique est quasiment impossible et leur contribution à la création collective de valeur ajoutée demeure désespérément intangible.

Si la Finance, l’IT, les RH, un juridisme, parfois intrusif, la compliance ... ne manquent pas contribuer à la génération de l’EBITDA, on ne peut mesurer avec simplicité cet apport, contrairement à un chiffre d’affaires, une marge brute ou une productivité.

Cherchant à acquérir la première légitimité qui passe, certains se saisissent donc des dernières modes managériales. Après le Lean-à-tout-faire, après l’entreprise idéale et libérée, après l’indécision chronique de l’holacratie, on peut donc aujourd’hui se justifier, quand on agit ni chez les clients ni dans les Ateliers, en s’auto-proclamant champion de l’agilité, de la simplicité ou de la dés-administration.

Dans des entreprises malades, certains directeurs s’en veulent les promoteurs. Ici, c’est le directeur financier qui se déclare agile, tout en renforçant les contrôles qu’il ordonne. Ailleurs, c’est la DRH, au sein d’une équipe sur-normative, qui se flatte de promouvoir la simplification.

Des entreprises pourtant réagissent sainement. Constatant que le budget du contrôle croissait plus vite que son chiffre d’affaires, les actionnaires-héritiers du Groupe Clarins sortirent cette belle entreprise de la Bourse, ré-organisèrent sa Gouvernance et établirent une règle de simple bon sens: l’augmentation des budgets de contrôles (finances, audit, compliance, normalisations...) est désormais limitée à 50% de la croissance du chiffre d’affaires.

A ceux donc qui voudraient légitimer leurs responsabilités, il est essentiel de redonner une solide estime de leurs missions et responsabilités. Symétriquement, libérer les énergies de ceux qui savent et qui aiment entreprendre, pour qu’ils continuent de créer la vraie richesse, est crucial.

Puis-je proposer ici une solution? A la racine de toute vraie dés-administration, une simple question: qui, dans les faits, paie qui? Est-ce moi, brillant directeur, à la tête de mes équipes, régnant sur des chiffres, des ratios, des process, des idées, des KPI, des tableaux de bord ou des matrices, qui produit tout seul la richesse nécessaire au paiement des salaires de tous? Ou bien n’est-ce pas l’inverse? Cette valeur ajoutée rémunératrice n’est-elle pas créée par l’ensemble des «opérationnels», en dépit parfois de mes envahissantes industries? Et s’ils me paient, ne suis-je donc pas à leur service, m’attachant à faciliter leurs tâches, plutôt que de vouloir sans cesse les mesurer ou les contrôler au plus près?

La gangrène bureaucratique de nos organisations, si elle peut être fatale, n’est pas une fatalité. Aussi, sans vouloir être servi (ni me servir), je peux concevoir mon travail comme étant au service de celui des autres, pour les aider à le faire toujours mieux, toujours plus simplement. Il y a une grande noblesse – et beaucoup de profondes joies – à entreprendre de vivre cette intelligence collaborative.

commenter 0 commentaires HR Cosmos
Xavier Camby est Directeur du cabinet Essentiel Management, qui forme les dirigeants à la gouvernance du futur, et auteur de «48 clés pour un management durable».
 
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