Comprendre la mentalité "zapping"

Intelligente et ouverte sur le monde, la génération Y fuit la longue durée

Ils ont ouvert leurs esprits en voyageant autour du monde et sur les bancs de l’Université. Très cool dans leur approche du monde professionnel, la génération Y a pourtant de la peine à se projeter dans une carrière de longue durée. Le développement de leurs talents de manière plus approfondie reste leur plus gros défi. Portrait réalisé par une «late baby-boomer». 

 

«Generation Y», «Net Generation», «Echo Boomers», «Millennials», «Entitled Generation», «Generation Zapping»... Les expressions ne manquent pas pour nommer la génération née entre 1980 et 2000. Joli paradoxe alors que cette génération, précisément, ne supporte pas d'être rangée dans une catégorie!

Historiquement, chaque groupe d'âge a eu à cœur de se différencier du précédent, d'inventer son propre système de valeurs et de fonctionnement dans le monde du travail. Et le challenge des responsables RH est aujourd'hui de créer et faire grandir des équipes dans lesquelles les différentes générations trouvent leur place, cohabitent de manière harmonieuse en toute conscience et connaissance de leurs atouts et différences respectives.

Le quotient intellectuel performant et doué d'une faculté multitâche

La génération Y se caractérise tout d'abord par son intelligence. Don Tapscott dans son ouvrage «Grown up digital» indique que le QI moyen a augmenté de trois points tous les 10 ans depuis la fin de la seconde guerre mondiale et que les jeunes n'ont jamais été aussi nombreux à se former à l'université. Ils ont également le talent pour faire toutes sortes d'activités en même temps («chatter», regarder la télévision d'un œil, surfer sur Internet et faire leurs devoirs...).

A l'aise avec les technologies, ils savent accéder rapidement à tous types d'information et de ressources. Ils sont aussi autonomes car ils ont l'habitude de se débrouiller seuls. Ils ont appris à parcourir le monde depuis leur plus jeune âge, à parler plusieurs langues. Ils sont plus mobiles, plus divers, plus adaptables. Cette ouverture d'esprit leur permet d'avoir une meilleure conscience de ce qui se passe dans le monde; d'être plus soucieux d'éthique, de citoyenneté, d'écologie, de collaboration, de solidarité. Jamais nous n'avons vu dans notre travail de recrutement autant de candidats valoriser dans leur CV des expériences de travail «humanitaire», «volontaire», «bénévole».

Sur CV, le potentiel, voire l'excellence d'une génération Y saute aux yeux

Leur style de communication aussi est différent; plus direct et franc, allant à l'essentiel, il s'embarrasse peu des conventions et des statuts. La génération Y n'hésite pas à importer dans la vie professionnelle le vocabulaire et les expressions empruntées à sa communication SMS, MNS ou Facebook. Les «Salut», «Hello» et prénoms qui débutent leurs emails tendent également à réduire la distance intergénérationnelle.

Sur CV, le potentiel, voire l'excellence d'une génération Y saute aux yeux. Diplômes universitaires (plusieurs), variété des stages, expériences professionnelles et personnelles (dans des pays et/ou des continents différents), maîtrise des technologies les plus pointues, bi, tri ou quadrilinguisme, hobbies pratiqués à haut niveau, connaissance de soi, tout est là. Et pourtant, comment se fait-il qu'une fois les a avoir recrutés, nous restons si souvent sur notre faim?

Cette préférence de la génération Y pour la diversité des intérêts, des préoccupations et des activités, la variété des jobs, des expériences et pour l'immédiateté a effectivement un revers. Les notions de passion, d'implication, d'engagement total dans la durée ne sont pas vraiment ce qu'ils valorisent. Leur tolérance zéro à tous types de frustration (ils veulent tout, tout de suite) engendre finalement beaucoup d'insatisfaction, et un possible cercle vicieux de changements à répétition.

Lorsque nous évoluons rapidement d'un poste à un autre, voire d'un métier à un autre, même si un certain nombre de nos compétences et aptitudes sont transférées, nous allons toujours devoir refaire nos preuves, recommencer à zéro... En privilégiant ces changements rapides, les jeunes peuvent passer à côté du principe de base de la motivation et du cercle vertueux „plus je m'investis, plus je développe mes talents, plus j'ai de l'énergie, du plaisir, plus je développe des synergies, plus je réussis, plus je suis reconnu par mes pairs, apprécié par ma hiérarchie et promu!" Ils n'expérimentent alors que rarement cette notion d'être «in the flow», décrite par Mihaly Csikszentmihalyi dans son livre «Vivre la Psychologie du Bonheur» (voir aussi le dossier HRM n°9, 2008, Mesurer les niveaux de satisfaction). Ces moments de joie et de satisfaction dans notre vie qui ne sont pas associés à de simples «loisirs» mais à un certain état psychologique, caractérisé par un sentiment de fluidité mentale et d'intense concentration sur des tâches qui mobilisent toutes nos compétences.

Possiblement marqués par les expériences douloureuses de leurs parents, certains peuvent aussi avoir développé des stratégies classiques d'évitement. Ne pas s'engager trop tôt dans une relation amoureuse (par anticipation du divorce potentiel). Ne pas être dédié à un travail ou à une entreprise (parce qu'ils ont vu leurs aînés s'impliquer beaucoup professionnellement et ne pas forcément en retirer que des bénéfices (licenciement, chômage, préretraite, burn-out, maladie). Certains ont l'impression qu'en tant qu'enfant, ils ont été sacrifiés au profit de la carrière de leurs parents et ne veulent pas reproduire ce modèle.

Les engagements sont vus comme des contraintes

Ne pas avoir d'enfants trop tôt (crainte des responsabilités à assumer). Les jeunes femmes qui travaillent autour de moi, ont, à ce sujet, un slogan qui en dit long: «Petits enfants, petits soucis, grands enfants grands soucis, pas d'enfants, pas de soucis!».

Les engagements sont appréhendés comme des contraintes, des sources possibles de souffrance, des entraves à leur sacro-sainte liberté (prolongation à l'infini de la vie estudiantine) et non pas comme des sources d'enrichissement, de développement, de stabilité et de durabilité. Nous, qui les gérons en entreprise, avons alors l'impression qu'ils se préservent, s'économisent, qu'ils préfèrent «assurer» quand nous aimerions les voir «lâcher leurs coups».

Leur agilité intellectuelle, leur sens de l'observation, de l'analyse, leurs références variées au niveau mondial devrait pourtant les aider à ne pas se construire en opposition aux générations qui les ont précédées. A ne pas être «contre», mais «aller vers» un nouveau modèle. Au lieu de se braquer, de se rebeller par rapport à l'exemple de leurs parents, de leurs aînés et de le rejeter en bloc, les jeunes gagneraient à repérer et à adopter ce qu'il y a de bon dans les fonctionnements de chaque génération, ce qui a marché, et à y ajouter leurs valeurs, croyances, style et touche personnelle.

Dans l'environnement de travail, ils ont horreur de la «routine» et entretiennent cette idée que l'on «fait le tour» d'un poste en deux ans. Cette idée est une création propre à leur génération et ne correspond à rien de scientifique ni même de naturel puisque les cycles de développement de l'homme sont de sept ans. Il leur faut comprendre que leur développement dépend d'eux-mêmes, de leur sens des initiatives, de leur détermination, de leur volonté, leur curiosité, leur professionnalisme, leur ouverture d'esprit pour faire évoluer leur propre poste.

Un travail cool, des relations sympas et des projets fun

Ils doivent également admettre que de bonnes choses peuvent se produire avec le temps, que le développement, l'apprentissage, se fait aussi dans la durée. Qu'il peut y avoir un sens à construire son parcours étape après étape, à avoir un fil conducteur, une continuité et une cohérence. La génération Y rêve d'une vie au travail «cool», de relations d'équipe «sympas», de projets «fun». Mais la vie professionnelle est aussi faite d'efforts, de persistance, de patience, de sacrifices et de souffrances. Et qui sont autant d'occasions de s'améliorer, d'apprendre, de se connaître, de comprendre les autres, de grandir.

La génération Y a été jusqu'à présent celle du plein-emploi, de l'abondance, de la croissance, de l'accessibilité aux ressources, de la consommation. Elle n'a pas eu l'occasion d'expérimenter le manque, la privation, la difficulté, l'attente qui crée une tension, qui donne une envie. Avant même que la crise actuelle ne survienne, les mots «durable», «sustainable» avaient envahi tous les secteurs derecherche et d'activité. Signe que cette génération et les autres étaient en train de prendre conscience qu'il fallait que quelque chose change. Ces mots nous annoncent le début d'une ère nouvelle, dans laquelle les notions de travail laborieux, de construction dans la durée, de capitalisation, de pérennité, de solidarité vont reprendre tout leur sens.

Dans ce contexte de crise qui résulte de raisonnements ultras termes et peu moraux, les jeunes vont être amenés à réfléchir à la hiérarchie de leurs valeurs et développer une attitude de «gratitude». C‘est-à-dire: apprendre à apprécier un peu plus ce qu'ils ont, notamment un travail et un travail qui ne soit pas menacé. Et ceci va les aider à développer leurs talents de manière plus suivie, approfondie, professionnelle et utiliser pleinement leur immense potentiel.

 

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Agnès Gabirout est Directrice des Ressources Humaines au Collège de Champittet à Pully.

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