Portrait

La figure de proue d’une nouvelle génération de DRH, en toute franchise

Président d’HR Genève, Jérémy Annen est surtout le directeur des ressources humaines du Grand-Théâtre de Genève, une institution culturelle qui compte 400 collaborateurs et dont le budget annuel frise les 50 millions de francs. A 33 ans, ce jeune DRH représente la nouvelle génération de DRH romands: visionnaires, francs du collier et pragmatiques. 

 

«Hey honey, take a walk on the wild side». Ce n'est pas le titre du prochain opéra à l'affiche de la vénérable institution d'art lyrique de la ville du bout du lac. Trop rock'n roll, peut-être. Quoique. L'auguste bâtiment inauguré en 1879 en a vu d'autres. Sur scène comme en coulisse. Non, ce titre d'une chanson de Lou Reed pourrait parfaitement symboliser le sentiment de Jérémy Annen à son arrivée au Grand-Théâtre de Genève. 

Jérémy Annen? C'est le jeune directeur des ressources humaines de l'institution - une petite équipe composée de cinq personnes - depuis février 2008. Une plongée dans le monde des artistes emprunte de curiosité mutuelle. Un univers qu'il a dû apprivoiser sans se démonter. Comme lors de sa première présentation à l'ensemble du personnel, dans la grande salle du Grand-Théâtre. Provocateur, quelqu'un lui demande pourquoi il ne porte pas de cravate... Réponse? «J'ai dit que si je souhaitais donner de moi l'image rassurante d'un solide conservatisme, je serais allé travailler ailleurs dans le quartier, qui regorge de banques...», raconte t-il. Puis un autre collaborateur enchaîne: «Définissez votre vision du théâtre en trois mots». Jérémy Annen: «Lumière, public, ensemble.» Une personne de l'assistance intervient: «Avez-vous remarqué que les initiales de votre réponse, dans un autre ordre, ça fait «elp»? Rires dans la salle... Ambiance rock'n roll, on vous l'avait dit. Mais le DRH n'est pas homme à se démonter. A 33 ans, il a déjà acquis une solide expérience dans les ressources humaines. 

Avant le Grand-Théâtre, Jérémy Annen a connu deux employeurs assez loin de l'ambiance feutrée et festive d'une institution lyrique. La première, c'est l'Entreprise Pro. C'est en écrivant son mémoire d'HEC qu'il découvre cette  entreprise sociale privée, créée en 1987 dans le but d'offrir du travail à des personnes au bénéfice d'une rente d'invalidité par le biais d'activités soumises aux règles économiques traditionnelles. Chez PRO, il exerçe diverses tâches avant de devenir à 25 ans directeur des ressources humaines. De 1998 à 2003. «J'ai beaucoup aimé et appris en travaillant chez PRO, raconte-t-il. Il y avait deux aspects intéressants: il est assez facile de donner du sens à son travail lorsque l'on travaille avec et pour des personnes.» Le deuxième intérêt? «La direction dont je faisais partie était jeune et donc très dynamique: un vrai plaisir.» Après quatre années dans l'institution, le besoin de découvrir d'autres horizons le taraude. «Sans vraiment savoir pourquoi, je m'essoufflais. J'ai donc arrêté», raconte Jérémy Annen en toute franchise. Une sincérité surprenante. «Cela fait partie de mes valeurs. Savoir dire les choses telles qu'elles sont»

Nommé DRH de Geneva Palexpo au moment de la grande restructuration

Puis commence l'aventure Palexpo, son deuxième employeur. Le Palais des expositions et des congrès de Genève est une grosse machine. Les défis sont permanents; gagner de nouveaux salons et ne pas en perdre, car rien n'est jamais acquis. Nommé DRH par le directeur de l'époque, Bruno Lurati, Jérémy Annen fait partie des nouveaux cadres recrutés pour renouveler la direction et impulser une nouvelle vision stratégique à l'immense halle dévolue aux congrès. Un an après la venue de Jérémy Annen, Bruno Lurati est débarqué de son poste de directeur. Puis survient le second coup de tonnerre dans le ciel de Palexpo. L'Union internationale des Télécommunications annonce que le prochain salon Télécom se tiendra à Hong Kong. Un camouflet pour Genève. Le déménagement de Télécom dans la mégalopole asiatique est surtout synonyme de perte financière: 30 % de revenus en moins pour Palexpo dont le chiffre d'affaires annuel se monte à près de 50 millions de francs. Un cataclysme. En plus d'être orphelin de leur patron, les quatre directeurs restants doivent entamer une grosse restructuration. En clair, la mise en place d'une culture d'économie de coûts, des mises en retraite anticipées et des licenciements. Une quinzaine de collaborateurs se retrouvent sur le carreau. Un crève-cœur pour le jeune DRH. «C'est évidemment toujours difficile de licencier des gens avec qui vous travaillez tous les jours, explique Jérémy Annen. Mais j'ai la satisfaction d'avoir tout fait pour accompagner les personnes licenciées; nous avons mis sur pied une «antenne emploi» à l'interieur de l'entreprise qui a parfaitement fonctionné.» 

Une situation de crise qui laissera quelques séquelles au sein de l'entreprise. «Oui, il a fallu un peu de temps pour que les collaborateurs restants redonnent leur confiance à la direction». La confiance. Une valeur importante pour le directeur des ressources humaines. «La confiance, la sincérité et la transparence font partie des valeurs auxquelles je crois. Si la situation est dure, il faut le dire sans ambage. A mon sens, rien ne sert d'attendre la dernière extrémité pour mettre les problèmes sur la table, estime Jérémy Annen. Idem lorsque cela va bien. Il faut savoir le dire et récompenser les collaborateurs pour leur excellent travail.» 

Une philosophie simple, mais pas simpliste qui vaudra par la suite à la direction de Palexpo de traiter en direct avec les salariés sans passer par les syndicats. «Nous avons mis en place une commission du personnel ce qui a permis l'instauration d'un bon dialogue. Du coup, les collaborateurs ont renoncé à faire appel aux syndicats pour les négociations, relate le DRH. Ce qui semble être le signe d'une bonne entente mutuelle.» 

Avec la nomination d'un nouveau directeur, Claude Membrez, d'autres projets majeurs permettent d'envisager l'avenir de Palexpo sous des jours meilleurs.  «Il est très calme et a un vrai sens de l'écoute», se souvient Claude Membrez. Sur le terrain, Jérémy Annen participe à l'organisation d'une journée réunissant les 130 collaborateurs de l'entreprise dans une halle de Palexpo. Le but de cette grand-messe? L'établissement d'un code de bonne conduite. «C'est aussi l'occasion de se faire rencontrer des personnes qui ne se côtoient pas quotidiennement.» Durant cette journée, les participants ont proposé des valeurs clés pour l'entreprise: l'orientation client, la conscience professionnelle, la flexibilité, l'efficacité et l'esprit d'équipe. Mais les mots ne restent que des slogans s'ils ne sont pas accompagnés d'actes. «Comme ces valeurs émanaient des collaborateurs eux-mêmes, elles avaient déjà plus de poids que si elles étaient imposées d'en haut, souligne Jérémy Annen.» Peu à peu, les grands projets mis en place à Palexpo portent leurs fruits. «C'était une période passionnante, mais comme la plupart des objectifs RH étaient atteints, vers la fin 2007, j'ai commencé à regarder ailleurs.» La fin d'un cycle.

Le suicide d'un collaborateur, des malversations, le personnel démotivé

Retour au Grand-Théâtre de Genève. Un nouveau défi, un nouvel univers, un lieu quasi féerique. Pour être conquis par cette ambiance magique, il suffit de se promener sous les ors du foyer, de scruter le plafond de la grande salle et de laisser son regard se perdre dans la voie lactée d'argent et d'aluminium, ou alors de caresser doucement les fauteuils capitonnés de velours carmin qui accueillent tous les soirs les amoureux du théâtre lyrique. En apparence, on jurerait qu'ici rien n'a changé depuis des lustres. En apparence seulement. La maison a connu plus d'une tragédie qui ne se sont pas déroulées uniquement sur la grande scène. En coulisse aussi. C'est que le Grand-Théâtre a vécu passablement de turbulences ces dernières années. Le suicide d'un collaborateur, des malversations, un personnel démotivé par des guerres intestines, sans parler des résultats de deux audits commandés par la Ville de Genève pour tenter d'y voir plus clair dans la crise qui rongeait l'institution de la Place Neuve.  

Aujourd'hui, la tempête s'est calmée. Encore que. Récemment, la nouvelle direction, qui rentrera en fonction en juin, a annoncé le licenciement de cinq cadres de la scène lyrique. Une pratique normale dans les  institutions culturelles où le nouveau directeur amène dans ses bagages des personnalités qui lui sont proches. «C'est un milieu très affectif. Et je comprends que ce soit dur d'être licencié surtout lorsque l'on n'a commis aucune faute professionnelle...» 

Comment se «gère» une institution culturelle dont le budget annuel frise les 50 millions et aux 400 collaborateurs? «Un théâtre se gère comme une entreprise, mais en tenant compte du fait que les personnes qui y travaillent sont là par amour, par passion. Le résultat de leur travail, c'est la réussite du spectacle, explique le DRH. Nous y retrouvons donc de fortes personnalités, une grande polyvalence, un sens du service public et de la fête très développé. En résumé, un personnel exigeant.» 

Un milieu professionnel enthousiasmant pour un DRH. Avec un petit bémol cependant. «En revanche, nous disposons de peu de moyens pour autre chose que l'artistique», regrette-t-il. Résultat, un personnel peu formé aux techniques de management «modernes». «Il est en effet plus directif que participatif. Ici, les RH doivent faire face à deux enjeux: créer des conditions de collaboration avec leur hiérarchie afin d'obtenir des moyens, et convaincre le personnel qu'il n'est pas obligé de s'aimer tous pour travailler ensemble!» 

Une des particularités de Jérémy Annen, qui saute d'ailleurs rapidement aux yeux, c'est l'absence de langue de bois. On pourrait croire que son âge le pousserait à adopter un profil plus consensuel. Il n'en est rien. La franchise, toujours,  comme valeur cardinale. 

L'homme a une vie en dehors du théâtre. Père de trois enfants, il aime à partager des instants avec eux. Son aîné, 9 ans, a même fait ses premiers pas sur scène au Grand-Théâtre comme figurant lors de Lohengrin de Wagner. Il y incarnait un cygne. Un joli rôle qui remplit son père de fierté. Ce fut aussi l'occasion pour Jérémy Annen de découvrir le Grand-Théâtre sous un autre angle. «C'était vraiment très sympa d'aller le voir dans les loges, entouré par les artistes etfigurants. Un beau moment.» 

Le DRH a également  d'autres cordes à son arc. Il est président de HR Genève. Un mandat qu'il assume en duo avec Jocelyne Tauxe, présidente d'honneur et figure incontournable du microcosme RH genevois. Elle confie: «Il a apporté du sang neuf et une nouvelle vision. C'est quelqu'un de très agréable et de dynamique. Et comme tous les jeunes DRH, il est toujours très occupé.» Jérémy Annen est aussi membre du comité de l'association «Economie et conscience». Ce cercle regroupe des dirigeants qui s'engagent à développer des aspects éthiques dans leur fonction. Avec une vision moderne des nouveaux DRH. «Aujourd'hui, nous choisissons le métier de DRH par vocation. Fini les voies de garage, raconte Jérémy Annen. Nous possédons un goût prononcé pour les relations humaines: au centre l'humain, et à son service les normes et règlements. Pas l'inverse, souligne l'interessé. Nous devons baser nos actions sur des principes stratégiques et éthiques: le sens, l'équité, la communication et l'innovation.»

Le DRH express

 

 

 

Un plaisir? Manger un extrême au chocolat en regardant en solo le dernier Podalydès au cinéma, un jeudi après-midi ensoleillé.

Une corvée? Manger un cornetto au chocolat en regardant, avec mes enfants, le dernier Disney un mercredi pluvieux.

Un livre? Le souci des plaisirs de Michel Onfray.

Un plat? Un oeuf à la coque (de Thiollaz) avec ses mouillettes.

Une boisson? Du thé noir sans sucre à 37.2 °C.

Un objet fétiche? Ma première guitare.

Le meilleur conseil reçu? Ne te résignes jamais.

 

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