Réenchanter le travail

«Le rôle du manager change, il devient un animateur»

La fondatrice du réseau Rezonance et des espaces de coworking La Muse à Genève et Lausanne revient ici sur les techniques qui réenchantent le travail. Interview.

Vous avez publié en 2016 «Coworking: réenchanter le travail. Vers la collaboration créatrice»*. En quoi ces techniques s’adressent-elles aussi à des salariés en entreprise?

Geneviève Morand: Les personnes qui rejoignent des espaces de coworking le font pour trois raisons principales. Par commodité d’abord, car ce modèle permet de baisser les coûts tout en ayant accès à une infrastructure de bureau (machine à café, Wifi, imprimante, etc.). Ils cherchent ensuite à rejoindre une communauté qui est un environnement propice à la collaboration et à la créativité. Travailler avec d’autres sans être jugé leur permet d’activer un projet par les échanges et l’élargissement de leur réseau.

Et la troisième?

La troisième raison est rarement exprimée. Il s’agit de la transformation personnelle. Au contraire d’un salarié qui gravite dans un cadre très structuré, avec un cahier des charges bien précis, un travailleur indépendant est seul. Il doit donc savoir pourquoi il se lève chaque matin... Quels sont ses talents? Qu’est-ce qui le fait vibrer? Cette conscience de soi débouche sur la confiance en soi et la confiance en l’autre.

Et vous estimez que les entreprises devraient s’en inspirer?


Oui. Aujourd’hui, la collaboration est devenue cruciale. Tout le monde parle désormais de management collaboratif, d’holacratie ou de sociocratie... Peu importe le nom qu’on lui donne, on s’est rendu compte que plus les gens se parlent, moins il y a de silos et plus l’entreprise devient performante. Mais cela implique de créer un environnement de travail bienveillant, à l’image des espaces de coworking, où chacun peut construire un projet grâce aux échanges et aux réseaux.

Et la transformation personnelle?

Mieux se connaître est également devenu très important en entreprise. Pourquoi? Car plus rien n’est acquis aujourd’hui. Les longues carrières dans une seule organisation n’existent presque plus. Si l’environnement ne vous fournit plus de bases solides, il faut les chercher au fond de vous- même. C’est en connaissant très bien ses points forts qu’on progresse le mieux.

C’est le self leadership dont vous parlez dans le livre?

C’est la conscience de soi, la connaissance de soi et l’estime de soi qui conduit au self-leadership, une notion développée par Jean-Yves Mercier à l’université de Genève. Dans les entreprises, quand on demande aux gens quels sont leurs talents, très peu sont capables de les exprimer de but en blanc.

Selon une étude Gallop, seulement 20 % des salariés estiment que leurs compétences sont vraiment mises à contribution. Il y a donc un énorme potentiel encore inexploité?

Oui et c’est le défi des entreprises d’aujourd’hui. Elles sont assises sur un trésor de connaissances et de savoir-faire. C’est le rôle du manager de libérer ce potentiel. J’ajouterais qu’il n’y a pas de limite dans la productivité humaine. Une personne qui aime ce qu’elle fait va inventer, imaginer et développer sans limites.

Comment libérer ce potentiel? Vous parlez notamment de «synchronicité», de quoi s’agit-il?

La synchronicité est un terme utilisé par le psychiatre Carl Gustav Jung. C’est une coïncidence heureuse. Vous ne faites rien et tout à coup quelque chose se produit. C’est la bonne rencontre au bon moment. Et dans un espace de coworking, le nombre d’heureuses coïncidences augmente. Quand vous êtes dans un environnement non-jugeant et bienveillant, vous posez une question et une réponse suit. Mais ce ne sera pas une réponse formulée en termes de coûts ou de compliance, ce sera une réponse ouverte, encourageante. Donc cela augmente les possibilités d’heureuses coïncidences.

Et cela fonctionne aussi en entreprise?

Bien sûr! La difficulté est de maintenir cet état d’ébullition créative et d’ouverture des possibles sur le long terme. Les Services industriels de Genève (SIG) ont par exemple créé un environnement de travail propice à cette ébullition créative (lire aussi en page X). Une autre manière d’aborder cette question est de mettre en évidence les coûts cachés, qui composent environ 55% des coûts globaux de l’entreprise. Ces coûts cachés représentent le manque d’interactivité et de communication et les conflits qui en découlent. Mais quand vous adressez ces enjeux et que vous mettez de la fluidité dans l’organisation, les difficultés deviennent des enjeux plutôt que des dégâts subis.

Afin de stimuler la fluidité dans l’organisation, vous proposez par exemple de commencer chaque séance par un tour de table...


Oui. De nombreuses entreprises ont instauré ce rituel. Il s’agit de donner la possibilité à chacun d’exprimer l’état dans lequel il arrive avant de commencer la séance. Car comment voulez-vous travailler si on ne s’intéresse pas vraiment à l’autre. Et s’intéresser à l’autre, c’est lui demander comment il va ici et maintenant. C’est la première chose à faire. Imaginez un collaborateur qui vient d’avoir un enfant. S’il ne peut pas partager cette nouvelle, il ne sera pas vraiment dans la réunion, car il va penser à sa femme et à son enfant. Très souvent, si les gens ne se comprennent pas, c’est parce qu’ils sont préoccupés par autre chose. Sans aucune mauvaise intention. Donc le fait de pouvoir exprimer ce qu’on vit permet aux gens d’être là, d’être présents et non pas perdus dans leurs préoccupations. Le fait de les exprimer permet de les évacuer et d’avoir des réunions beaucoup plus productives.

Vous évoquez aussi les tensions et les incompréhensions qui sont source de créativité...


C’est en s’enrichissant du point de vue de l’autre, en prêtant attention aux tensions et inconforts, en devenant excellent en conflit que l’on progresse.

Mais quel est le lien avec la créativité?

Plus vous êtes connectés avec vous-même, avec vos émotions et vos valeurs personnelles, plus vous êtes capable de créativité avec l’autre. En étant attentif à soi-même, vous devenez attentif à l’autre. Et ensemble commence la création.

Vous conseillez aussi d’oser demander de l’aide...

Oui, absolument. Surtout pour les managers. Le rôle du manager est en train de changer, il devient un animateur. Il ne dispose pas de toutes les connaissances, mais il sait animer une équipe. La posture change. Animer, c’est donner du souffle. Idéalement, la réunion doit respirer et chacun doit se sentir autorisé à exprimer ce qu’il pense.

Ces nouvelles pratiques concernent-elles aussi les métiers manuels? Je pense notamment à tout le personnel d’intendance et de conciergerie qui est essentiel au fonctionnement d’un hôpital...

Au contraire, ces personnes ont un rôle essentiel à jouer. Le professeur Didier Pittet en parle très bien. Il est l’inventeur d’une solution hydro- alcoolique de désinfection des mains qui a considérablement amélioré l’hygiène du personnel soignant dans le monde. Lors de ses conférences, il explique que ce sont les équipes de nettoyage de l’hôpital qui ont permis le développement de son idée. Ce sont elles qui faisaient circuler l’information et qui changeaient les habitudes sur le terrain. Dans une entreprise, tout le monde est important. Il n’y a pas de rôle qui ne soit pas essentiel. Et c’est cette symphonie des gens qui travaillent ensemble qui va créer quelque chose d’extraordinaire.

* Geneviève Morand: Coworking: réenchanter le travail. Vers la collaboration créatrice, éd. Jouvence, 2016, 170 p.

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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