Licenciements

Le secteur horloger navigue à vue

En cette période automnale, les nuages s'accumulent sur l'horlogerie. Alors que les annonces de licenciements s'accélèrent, les spécialistes de la branche ne voient pas d'amélioration imminente à l'horizon, mais ne cèdent pas pour autant à la panique.

Berne (ats) L'inquiétude, déjà palpable en juin à la veille des vacances horlogères, s'est confirmée après l'été. Si les grands groupes n'ont pour l'heure pas annoncé de licenciements collectifs, plusieurs sous-traitants ont dû procéder à des réductions de personnel.

Rien qu'en novembre, une centaine de suppressions de postes ont été communiquées dans le canton de Neuchâtel, qui compte respectivement 26,2 et 29,2% des entreprises et du personnel du secteur en Suisse à fin 2014, selon les statistiques de la Convention patronale horlogère suisse (CP).

Le soufflé semble retomber en 2015. La Fédération de l'industrie horlogère suisse (FH) annonçait la semaine dernière une baisse marquée des exportations en octobre, pour le quatrième mois cette année - qui plus est l'un des plus importants -, chutant de 12,3% pour tout juste atteindre 2 milliards de francs.

Multiples facteurs

D'aucuns évoquent le franc fort et l'abandon le 15 janvier du taux plancher de l'euro face au franc par la Banque nationale suisse (BNS), qui renchérit les exportations helvétiques. Le recul des ventes sur les marchés majeurs que sont Hong Kong et les Etats-Unis impacte aussi toute la branche.

"Une partie du recul de Hong Kong peut certes être compensée dans d'autres régions - en Europe, au Japon - mais le fait qu'il s'agisse du marché le plus important, avec 20% du chiffre d'affaires en 2014, a de fortes répercussions", constate René Weber, analyste à la banque Vontobel.

La crise en Ukraine et la chute du rouble en Russie pèsent également. Tout comme la situation complexe au Moyen-Orient et la campagne de lutte anticorruption en Chine, dont l'économie s'essouffle en outre depuis l'été.

Sous-traitants touchés

"Nous savions que le marché marquait le pas - en Chine, en Russie, avec le franc fort et la montre connectée dont on ne connaît pas encore l'impact, mais qui a peut-être déstabilisé la clientèle. Il fallait s'attendre à une réduction de la production, mais il ne faut pas se résigner", positive François Matile, secrétaire général de la CP.

Les mesures de chômage partiel prises en début d'année semblent en tous les cas ne plus suffire: 663 chômeurs étaient comptabilisés mi-novembre par le service de l'emploi du canton de Neuchâtel.

"Ce sont surtout les sous-traitants qui souffrent, cela se remarque une nouvelle fois lorsqu'il y a une contraction. Les marques sont plus prudentes dans leurs achats", pointe Jean-Daniel Pasche, président de la Fédération de l'industrie horlogère suisse (FH).

Pourtant, le secteur emploie actuellement quelque 60'000 personnes en Suisse, du jamais vu depuis le milieu des années 1970, avant la crise due à la concurrence du quartz.

Prévisions à la baisse

Une surchauffe? "Clairement non. Il y a eu une hausse des effectifs, sans pour autant qu?une forte augmentation des pièces ait été enregistrée. Je dirais plutôt qu'il s'agit d'une optimisation de la production: les entreprises font de plus en plus appel à du personnel qualifié, nombreux, bien formé", estime François Matile.

Dans sa récente étude "Perspectives de l'économie neuchâteloise" réalisée avec les Services de statistique et de l?économie du canton et la Banque cantonale neuchâteloise (BCN), la Chambre neuchâteloise du commerce et de l?industrie (CNCI) confirme l'importance de l'horlogerie dans le tissu économique local.

"En 2014, l'horlogerie reprend sa place de premier secteur économique cantonal, pesant près de 20% du PIB. Avec un taux de croissance de +4,2% en 2014, elleenregistre la plus forte croissance des dix principales branches de l'économie neuchâteloise derrière le raffinage", pose-t-elle.

Quid de la suite? "La tendance négative s'est renforcée à Hong Kong et lesEtats-Unis se sont affaiblis. Nous avons revu nos attentes pour l'exportation horlogère suisse de 0% à -4% pour 2015, et réduisons celles pour 2016 à +3%", prophétise René Weber, rappelant que le secteur se trouve encore proche d'un niveau record.

Une croissance positive est d'ailleurs à nouveau attendue pour 2017.

Les licenciements se succèdent en novembre dans l'Arc jurassien

Après les mesures de chômage partiel prises en début d'année déjà, les licenciements et relocalisations s'accélèrent ces dernières semaines dans le secteur horloger. Petit récapitulatif des différentes annonces connues dans l'Arc jurassien.

En mai, Ulysse Nardin a licencié 26 de ses 320 collaborateurs à La Chaux-de- Fonds et au Locle (NE), ne reconduisant pas pour la suite les mesures de chômage partiel appliquées jusqu'alors.

Fin du même mois, Bulgari envisageait de relocaliser au Sentier (VD) l'un de ses deux sites de La Chaux-de-Fonds - soit une vingtaine d'employés -, qui produit des composants pour les mouvements mécaniques de la marque italienne.

Le fabricant de mouvements horlogers à quartz IsaSwiss aux Brenets (NE) voulait lui fermer son atelier d'assemblage de Martigny (VS) pour se recentrer dans le canton de Neuchâtel, touchant seize emplois.

En juin, la manufacture locloise Christophe Claret a licencié - en deux temps, en janvier puis en juin - vingt personnes sur la centaine de collaborateurs qu'elle emploie, recourant aussi au chômage technique et renonçant à repourvoir certains postes après des départs volontaires.

En septembre, le groupe industriel biennois Cendres+Métaux, également actif dans le domaine des techniques médicales et de la bijouterie, a licencié 18 personnes, sur un effectif de 340 collaborateurs dans la cité seelandaise.

Au mois d'octobre, Parmigiani a licencié 17 de ses 100 salariés sur son site de Fleurier (NE).

Début novembre, les entreprises Prototec et La Joux-Perret à La Chaux-de-fonds ont annoncé la suppression de respectivement douze et quatre emplois au total.

Le 13 novembre, Richemont, bien qu'ayant créé 200 emplois en une année avec notamment son nouveau campus de haute horlogerie à Meyrin (GE), a annoncé la relocalisation des activités meyrinoises de Stern Cadrans chez Pro Cadran à La Chaux-de-Fonds, au sein de ses propres marques ainsi que chez celles qui sont ses clientes, touchant 85 emplois.

Le 16 novembre, les ateliers Gilbert Petit-Jean, aux Brenets, se sont séparés d'une soixantaine de leurs 207 collaborateurs. Dernière annonce en date, le même jour: l'entreprise chaux-de-fonnière Monnier, spécialisée dans la décoration de pièces constitutives du mouvement horloger, prévoit de licencier 22 de ses 75 employés.

Les chiffres de l'emploi confirment le ralentissement horloger

Les chiffres des demandeurs d'emploi dans le secteur horloger sont en hausse depuis bientôt une année, laissant préfigurer un ralentissement du secteur. Les milieux syndicaux craignent de nouveaux licenciements.

"Du point de vue du chômage, nous observons effectivement une augmentation du nombre de demandeurs d'emploi (865 mi-novembre, ndlr), dans le secteur de l'horlogerie dans le canton de Neuchâtel, notamment depuis la fin de l'année 2014", note Sandra Zumsteg, cheffe du service de l'emploi du canton de Neuchâtel.

La tendance était donc perceptible avant l'abandon du taux plancher de l'euro face au franc le 15 janvier par la Banque nationale suisse. "En revanche, le canton de Neuchâtel compte beaucoup moins de demandeurs d'emploi que le nombre atteint lors de la crise des subprimes en 2009", nuance Sandra Zumsteg.

Concernant le nombre actuel d'emplois existant dans la branche, "nous n'avons pas de chiffres globaux et définitifs pour 2015, mais la tendance est à la baisse, bien qu'il soit impossible de dire dans quelles proportions", note François Matile, secrétaire général de la Convention patronale horlogère suisse (CP).

"Tout s'accélère en cette fin d'année, car c'est là que les entreprises voient que le budget ne sera pas tenu", avance cependant Francisco Pires, secrétaire général pour l'industrie au syndicat Unia Neuchâtel. D'autant que les mesures de chômage partiel ne peuvent pas durer "quand les carnets de commandes sont vides".

Cependant, les données suisses du chômage ne reflètent pas à elles seules le ralentissement du secteur. En effet, si l'on prend l'exemple de Neuchâtel, l'horlogerie emploie dans le canton plus de 3000 frontaliers - 20% des emplois
du secteur dans la région - dont les éventuels licenciements ne se répercutent pas sur les statistiques locales.

"Les nouveaux chiffres du chômage seront certainement révélateurs, surtout en France", estime Francisco Pires.

Si 4000 postes avaient été biffés, en 2009, en Suisse avec la crise financière mondiale (-9% des effectifs), une progression ininterrompue de l'embauche a depuis eu lieu, 10'000 emplois ayant été créés en 4 ans pour atteindre un total de 60'000 postes dans le secteur.

"Nous, en tant que syndicat, nous ne voyons que les entreprises conventionnées", relève pour sa part Francisco Pires. "Mais j'ai entendu que d'autres sous-traitants non conventionnés ont licencié - sauf que nous n'en parlons pas si les employés ne s'annoncent pas."

Quant à l'avenir sur le front de l'emploi, il reflète la tendance incertaine du secteur. "Dans d'autres régions actuellement moins touchées - le Jura, le Jura bernois -, des entreprises pourraient aussi annoncer des licenciements prochainement", craint Francisco Pires.

 

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