Rémunérations

Les très hauts revenus pas protégés par le droit du travail

Le Tribunal fédéral, dans une récente décision, a défini la notion de très hauts revenus. Des revenus si hauts que leurs bénéficiaires ne jouissent plus de la protection des règles spéciales du droit du travail.

Au-delà de 350'000 francs, les parties sont libres de prévoir ce qu’elles entendent pour les éventuels bonus ou plans d’intéressement qui s’ajoutent au salaire de base. L’employé ne peut prétendre à aucune protection spéciale pour ce revenu additionnel.

Le Tribunal fédéral rappelle (1) en premier lieu que le droit suisse ne contient aucune disposition qui traite du bonus. Il y a ainsi toujours lieu de déterminer s'il s'agit d'un élément du salaire ou d'une gratification.

Pour ce faire, il faut établir si le bonus est déterminé/déterminable ou indéterminé/indéterminable. S’il est déterminé/déterminable, c'est-à-dire qu’il n’est pas dépendant de l’employeur, mais est objectivement calculable, l'employé dispose d'une prétention à ce bonus, ce dernier étant considéré comme un élément variable du salaire.

Si le bonus n'est pas déterminé/déterminable, l'employé ne dispose en règle générale d'aucune prétention, la rémunération dépendant du bon vouloir de l'employeur et le bonus étant alors qualifié de gratification. Dans cette dernière hypothèse, la jurisprudence a opéré des distinctions en fonction de l'importance du revenu de l'employé.

Lorsque l’employé perçoit un revenu moyen ou supérieur, un bonus équivalent ou même supérieur au salaire, versé régulièrement, doit être considéré comme un salaire variable même si l'employeur en réservait le caractère facultatif. La gratification doit en effet, selon la jurisprudence, rester accessoire par rapport au montant du salaire. En revanche, lorsque l'employé perçoit un très haut revenu, le bonus doit toujours être considéré comme une gratification, le critère de l'accessoriété n'étant pas applicable.

Dans le litige en question, un employé engagé par une banque en 1985 en qualité de stagiaire universitaire a gravi les échelons et atteint le 1er janvier 2001 le statut de Managing Director, avec un salaire fixe de 300'000 francs. S’y ajoutait une rémunération sous forme d’actions (annulables si non réalisées au moment de la démission, ci-après «ISU») pour des montants compris entre 480'000 francs et 760'000 francs, ainsi qu’un bonus annuel en espèces.

Pour l’année 2009, l’employé a ainsi perçu, en sus de son salaire fixe, 501'719 francs sous forme d’ISU et un bonus de 848'282 francs en espèces. Avant le paiement de ce dernier bonus, la banque avait introduit un nouveau plan de fidélisation des employés à teneur duquel le bonus était sujet à restitution, pro rata temporis, si l’employé devait démissionner dans les deux années suivant le paiement.

En mars 2009, l’employé a résilié son contrat de travail. L’ayant libéré de son obligation de travailler avec effet immédiat, son ancien employeur lui a versé son salaire pour les six premiers mois de l’année – soit 150'000 francs - et a sollicité la restitution partielle (clause de «clawback») de son dernier bonus conformément au plan de fidélisation.

A défaut de remboursement, la banque a exercé la compensation à due concurrence par le débit du compte de l’employé ouvert auprès d’elle. L’employé a alors ouvert action à l’encontre de son ancien employeur en paiement de son bonus (entre autres).

Le litige porte notamment sur le système d'intéressement réglementant la partie en espèces du bonus destiné à l'employé. Ce dernier estimait que le bonus doit être considéré comme une part salariale et que la banque ne pouvait en «récupérer» une partie, la banque estimant pour sa part qu'il s'agissait d'une gratification et qu’elle avait droit au remboursement, sur la base de la convention de fidélisation des employés souscrite.

Restait pour le Tribunal fédéral à déterminer le seuil ou le mécanisme de détermination de ce dernier à partir duquel le revenu est considéré comme très haut. Les juges ont choisi d’arrêter ce seuil sur la base d’un multiple du salaire médian suisse.

Au regard de la doctrine, le Tribunal fédéral a ainsi retenu, et c’est la nouveauté, qu’un facteur de cinq est adéquat pour déterminer le plafond de la protection sociale du travailleur et le besoin de limiter la liberté contractuelle dans ce domaine. Le seuil s’établit ainsi aux alentours de 350'000 francs.

Ainsi et dorénavant, lorsque le salaire total est égal ou supérieur à 350'000 francs, à savoir cinq fois le salaire médian suisse, le salaire doit être qualifié de très haut. Dans ce cas, le bonus constitue toujours une gratification dépendant du bon vouloir de l'employeur et pour laquelle les parties sont libres de prévoir ce qu’elles désirent.

(1) Arrêt 4A_653/2014 du 11 août 2015.

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Spécialiste en droit des sociétés et droit des contrats, Vincent Tattini est avocat et fondateur de l'étude Watt law à Genève.

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