On en parle

Mon chef a changé de sexe

Selon des statistiques officieuses, 80% des personnes transgenres perdent leur travail après leur coming out. Mais que savons-nous exactement de ces gens? Etat des lieux d’un phénomène qui donne du fil à retordre aux RH. 

Il y aurait en Suisse, selon les sources, entre 6000 et 42 000 personnes transsexuelles et transgenres. C’est-à-dire des personnes qui s’identifient à des degrés divers au sexe opposé au leur. Elles adoptent ainsi une identité de genre et donc des manières différentes de celles qui sont associées à leur sexe de naissance. Certaines d’entre elles décident d’effectuer une opération chirurgicale dite de réassignation sexuelle. De manière plus générale, le «transgendérisme» désigne toute personne qui ne s’identifie pas aux règles traditionnelles des genres masculins et féminins.
 
Mais qui sont ces personnes qui se font appeler trans*? Où les retrouve-t-on dans les organisations? Aucune donnée n’est disponible. Et pour la majorité, une fois leur passage d’un genre à l’autre, elles se fondent dans la masse. Elles occupent ainsi tout type de postes et exercent à tous les niveaux professionnels et hiérarchiques. Mais, en fonction de l’organisation et du niveau d’acceptation de l’employeur, leur transition peut s’avérer plus ou moins compliquée et s’accompagner de discriminations, voire de déclassement social. Comment sortir des schémas négatifs, venir à bout des incompréhensions mutuelles, aider à la fois l’organisation et la personne intéressée? Une voie semble possible: celle de la communication du changement, c’est-à-dire le coming out.
 

Un petit espoir d’amélioration

Mais commençons par faire le point de la situation. Le but de toute organisation professionnelle est normalement de maintenir la performance à un haut niveau, en vue de mieux répondre au marché. Dans le cas des personnes transgenres, la réflexion ne devrait en principe pas sortir de ce cadre mais, dans la réalité, ce n’est pas le cas. Jusqu’au milieu des années 2000, des réactions comme le déni, le rejet (allant parfois jusqu’à l’évacuation de la personne) et le déclassement social étaient choses courantes. Aujourd’hui, il semble qu’il y ait un petit espoir d’amélioration, même si, globalement, le constat est mitigé. Le quotidien des personnes transgenres reste difficile. Elles sont encore massivement victimes de discrimination ou de transphobie frontale (lire glossaire ci-dessous). Environ 80% d’entre elles perdent leur travail après leur coming out.
 
Si l’on se place du point de vue du management ou de la direction d’une organisation, quelle stratégie appliquer? Quoi qu’il arrive dans les prochaines années, de plus en plus d’organisations feront face au défi de devoir accompagner une personne trans* lors de sa transition, puis au-delà, lorsqu’elle aura intégré son nouveau genre. Alors, mieux vaut sans doute instaurer précocement un dialogue avec la personne concernée. La confiance mutuelle est primordiale. Pour cette tâche, les services RH représentent les interlocuteurs privilégiés et se retrouvent dans un rôle de relais. Ils doivent faire en sorte que la personne concernée puisse se sentir en sécurité et poursuivre son activité au mieux. Des réaménagements de postes ou de fonction sont parfois à envisager. Ainsi, dans le cas concret d’une employée MTF (male-to-female) travaillant dans la production ou le secteur du bâtiment et des travaux publics, autrement dit dans un univers masculin, peut-être faudra-t-il commencer par procéder à un aménagement spécifique des vestiaires et/ou une affectation dans un lieu de travail mixte. Ce qui peut impliquer une formation ou une réorganisation interne.
 

Un bousculement des croyances

Si la confiance mutuelle est fondamentale, c’est notamment parce que la sortie du système d’identification binaire des genres finira tôt ou tard par poser problème si rien n’est entrepris. Changer de genre, c’est aussi, parfois, remettre en cause les valeurs et les croyances des individus. Pour la direction en particulier, il s’agit, d’une part, de se souvenir que la personne conserve entièrement ses compétences intrinsèques tout au long de ce processus de transformation, et, d’autre part, que ce même processus peut susciter des réactions de rejet chez les collègues. L’expérience semble montrer que les choses se passent d’autant mieux que l’accompagnement de la personne concernée commence tôt et en total accord avec elle. Tout comme lors de la mise en place d’un processus qualité, la direction doit faire preuve d’une volonté d’action qui sera relayée sur le terrain par les services RH.
 
Une fois la relation de confiance établie avec la personne trans*, il s’agit pour les RH de trouver, avec le soutien de la direction, les solutions les mieux adaptées au cas particulier. Toute transition s’accompagne de changements physiques et psychologiques plus ou moins visibles et vécus avec des degrés d’intensité différents selon les sujets. Aussi, il n’existe aucune recette magique ou vérité absolue. Il s’agit d’œuvrer avec bon sens. Parfois, il est utile de solliciter une aide psychologique ou psychiatrique auprès d’un expert spécialisé dans les questions de genres. Le challenge des RH est de soutenir la personne transgenre pour qu’elle garde confiance en elle-même lors de ce processus complexe et parfois pénible du point de vue administratif, juridique et personnel. En raison de son changement profond, la personne trans* va devenir beaucoup moins «lisible» ou identifiable pour l’organisation qui, en règle générale, n’aime pas le flou et le non-défini. La question du coming out, en particulier, se posera inévitablement lorsque les changements physiques deviendront impossibles à cacher.
 
Une personne trans* qui réussit son parcours représente une mine de nouvelles compétences. Arriver au terme d’un tel parcours constitue un challenge multimodal qui peut s’apparenter à un véritable test de survie. Au travers de cette expérience parfois surprenante, elle va pouvoir développer de réelles capacités d’adaptation, de résistance à la pression, de résilience, de patience et de combativité, qui sont autant de talents recherchés par toute organisation performante. Dans ce cas, le changement devient alors un réel atout, et synonyme de réussite.
 

Il manque encore un cadre légal

Pour que toutes les personnes transgenres arrivent à cette situation «idéale», il reste du chemin à faire. Pour le moment, il n’existe en Suisse aucun projet-pilote favorisant le suivi et l’intégration professionnelle des transgenres. La fondation Agnodice, membre du réseau Transgender Network Switzerland, est particulièrement active en Suisse romande dans le domaine de la reconnaissance de leurs droits et de leurs obligations. Son réseau est composé de psychologues, psychiatres, endocrinologues et travailleurs sociaux spécialisés. Sur demande, elle peut conseiller les organisations. Mais il manque encore un cadre légal qui indiquerait à chacun ses droits et ses obligations. Cela permettrait d’éviter certaines situations ubuesques, comme celle d’une personne d’apparence féminine qui est désignée sous son prénom masculin sur les fiches de pointage ou les courriers internes. 
 

Glossaire

  • Personne transgenre ou trans*: toute personne qui ne se reconnaît pas, complètement ou partiellement, dans le sexe qui lui a été assigné à la naissance et au rôle socio-sexuel qui lui est associé. Une personne transgenre peut avoir besoin, dans certains cas, de modifier son apparence physique pour correspondre à l’identité de genre ressentie.
  • Personne transsexuelle: personne ayant entrepris une transition médicalisée du genre, pouvant aller jusqu’à la chirurgie de réassignation génitale du sexe.
  • Transition: phase de la vie qui marque le moment ou une personne a commencé son traitement hormono-chirurgical, mais ne s’inscrit pas encore dans le genre d’arrivée souhaité.
  • MTF (male-to-female): personne assignée au sexe masculin à la naissance et qui transitionne vers le genre féminin.
  • FTM (female-to-male): personne assignée au sexe féminin à la naissance et qui transitionne vers le genre masculin.
  • LGBT: Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Trans*
  • Transphobie: aversion pour les personnes transsexuelles ou transgenres.

 

 

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Sylvain Hugon, professeur à l’Ecole de haute ingénierie et de gestion du canton de Vaud (HEIG-VD).
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