Portrait

Patron posé

Après une carrière de DRH, Frédéric Sudan a repris la direction d’une petite PME fribourgeoise, active dans le multimédia. Son expérience RH influence fortement sa posture managériale.

Il est revenu sur le terrain de jeu de son enfance. Après avoir parcouru le monde et multiplié les expériences professionnelles, le Fribourgeois Frédéric Sudan a repris en 2013 la direction de netplusFR SA, un fournisseur multimédia basé à Bulle. Lui qui a grandi dans la ville de Gruyères, au pied du Moléson, est donc revenu à ses premières amours. DRH chevronné, avec une expérience de différents secteurs d’activité et de fonctions dans l’entreprise, Frédéric Sudan dirige désormais une entreprise de 31 personnes, avec un fort ancrage dans le tissu économique local. Il nous accueille durant la première semaine de janvier 2017. La neige a recouvert la région durant la nuit et le Moléson est voilé par un nuage d’hiver arctique. Dans un coin du bureau, une petite armoire à vin révèle son goût pour la bonne bouteille.

Nous lui demandons si le millésime 2016 a répondu à ses attentes? «Absolument! Nous avons gagné plus de 1000 nouveaux clients l’an dernier et avons pu rembourser toutes nos créances. Nous allons dégager nos premiers bénéfices cette année», annonce-t-il, sans langue de bois. Pour comprendre l’ampleur de la tâche, il faut s’arrêter un instant pour décrire le contexte. netplusFR est un fournisseur de multimédia (télévision, Internet et téléphonie). Ses concurrents sont les géants Swisscom, UPC et Sunrise. Cette PME est actionnaire de netplus.ch, une société créée par les distributeurs d’énergie des cantons du Valais, Vaud et Fribourg. Avec 15000 clients, netplusFR détient 60 % de parts de marché dans les districts de la Glâne et de la Gruyère, mais seulement 3,7 % ailleurs dans le canton. Ils sont le David contre les Goliath du multimédia.

Stratégie très locale

«Effectivement, sourit Frédéric Sudan, nous avons encore une très grande marge de progression. Mais notre stratégie très locale semble fonctionner. Nos produits et services sont faits par des Fribourgeois pour des Fribourgeois. Nous misons également beaucoup sur l’innovation. Nous avons par exemple été les premiers à proposer un service de Replay sur sept jours dans le segment TV, ce service est devenu une commodité aujourd’hui. Autre exemple, le bouclier téléphonique, un anti-spam qui bloque les appels commerciaux indésirables que nous avons introduit il y a plus de deux ans et qui, sous la pression de la Fédération Romande des Consommateurs, sera mis en place en ce début d’année chez les grands opérateurs.»

Il insiste aussi sur l’avantage concurrentiel d’être une petite entreprise: «Nous sommes plus mobiles, très proches de nos clients et donc très réactifs». Autre indicateur de la qualité de leurs services: le magazine Bilanz leur a accordé en 2016 le deuxième rang dans les catégories télévision et téléphonie et le premier rang en 2015 dans la catégorie Internet. Enfin, depuis la création de netplusFR en 2012, le nombre d’abonnés au «package téléphonie+Internet+télévision» est grimpé de 1000 à plus de 8000. Le patron est donc content.

Cette sérénité s’explique aussi par sa bonne connaissance des enjeux RH de la gestion d’une entreprise. Il a par exemple réussi à imposer quelques idées qui lui sont chères à son conseil d’administration. Notamment celle-ci: un tiers des bénéfices est redistribué aux collaborateurs, sous forme de prime exceptionnelle. Le deuxième tiers paie les dividendes et le troisième est réinvesti dans l’entreprise. Une autre spécificité de Frédéric Sudan est de ne jamais prendre une décision tout seul. «Nous en parlons avec le comité de direction et la décision est prise collectivement. Cela permet de tenir compte de différentes sensibilités», argumente-t-il.

«L’homme à abattre»

Agé de 50 ans cette année, il a déjà derrière lui un gros bagage professionnel. Son côté «patron serein» n’est donc pas un hasard. Durant les années 2000, il fut le DRH des contrôleurs aériens de Skyguide. Pendant son mandat, un nouveau CEO est engagé et lui annonce sa décision de ne plus inviter le DRH aux comités de direction. Frédéric Sudan dépose sa lettre de démission et s’envole vers de nouveaux horizons. Sans regrets? «Non pas du tout. J’ai beaucoup appris durant mes années chez Skyguide. J’y avais été engagé pour renégocier à la baisse les conventions collectives. Ce furent des négociations très dures. J’étais devenu l’homme à abattre de l’organisation.»

Un autre épisode illustre la lente maturation de sa fibre patronale. Nommé DRH d’EMC2 en 2008 (une société informatique américaine qui vient d’être rachetée par Dell), il doit licencier 15 % du personnel à peine entré en fonction. Il sert le poing et conteste l’ordre venu d’en haut en proposant de réduire les coûts de 15 %. Il gagne son bras de fer et organise un brainstorming avec les équipes de Zurich pour concrétiser ces économies. Résultats? Le personnel accepte une réduction de salaire de 5 % sur une durée limitée. L’entreprise favorise les congés sabbatiques non-payés en finançant les assurances sociales du collaborateur pendant son absence et encourage les temps partiels. «Toutes ces mesures nous ont permis au final de réduire les licenciements à 3% des effectifs», glisse Frédéric Sudan, le sourire modeste. Et de poursuivre: «J’estime qu’un DRH est là pour aider les collaborateurs et pour aider le business à développer sa stratégie. J’ai toujours refusé d’être uniquement considéré comme le gendarme de l’organisation et l’homme de main de la direction générale.»

Son arrivée à la tête de netplusFR est également un épisode mouvementé de sa carrière. Alors qu’il vient de quitter EMC2 pour fonder sa propre société de conseils RH (FS2B sàrl), il est mandaté pour coacher le directeur de netplusFR. L’entreprise vient de prendre son envol et déjà elle prend l’eau de toutes parts. Après quelques séances de coaching, Frédéric Sudan jette l’éponge. Deux mois plus tard, le président du conseil d’administration, Claude Thürler, est à nouveau au bout du fil: il cherche un directeur ad interim. Frédéric Sudan: «J’ai accepté le défi, mais la situation était critique. Le personnel me considérait comme un traître, car il pensait que j’avais manœuvré pour éjecter l’ancien directeur.» Ambiance. Il commence par faire le ménage et licencie un quart du personnel. Il mise aussi sur la transparence et la communication en organisant des séances d’informations trimestrielles pour partager les chiffres clés. «J’ai également instauré une culture du succès, un peu à l’américaine. Ainsi, deux à trois fois par mois, nous nous retrouvons autour d’un verre pour célébrer nos réussites», détaille-t-il. Trois ans plus tard, le voilà donc solidement établi à la barre avec tous les indicateurs au vert. Derrière nous, la brume se lève et le Moléson retrouve son éclat.

Nestlé, Mirador et Conforama

L’heure est au bilan de carrière. Après son enfance dorée dans la ville de Gruyères, Frédéric Sudan choisit l’Ecole hôtelière de Lausanne et une licence en économie à l’Université de Fribourg. Il entre ensuite chez Nestlé Suisse, comme assistant RH puis comme contrôleur de gestion. Cinq ans plus tard, il reprend la direction des finances, RH, achats et IT de l’hôtel Mirador au Mont-Pèlerin. En 2000, il est nommé directeur général du Golf de Pont-la-Ville (canton de Fribourg). Il se souvient: «C’était une entreprise de taille comparable. J’y assumais la direction, mais étais également l’homme à tout faire. Si une femme de ménage était malade, je montais nettoyer les chambres et refaire les lits...». En 2001, il rejoint le groupe Conforama où il devient directeur financier et RH de la centrale d’achats. Ce sera sa période d’expatriation puisqu’on lui demande d’ouvrir plusieurs bureaux de sourcing en Inde, Chine, Vietnam, Pologne, Roumanie, Italie et France. Dans chaque pays, il trouve des locaux, créé la société, engage les premières personnes et établit une politique RH. «Je voyageais quatre jours par semaine. C’était très éprouvant, mais passionnant de découvrir les différentes cultures et législations du travail. Si j’ose la comparaison, c’était clairement plus compliqué en France et en Italie.» Frédéric Sudan dit les choses sans trop se soucier des susceptibilités. C’est l’avantage des patrons posés.

Bio express

  • 1991 Master en gestion hôtelière, Ecole Hôtelière de Lausanne
  • 1993 Master en économie, Université de Fribourg
  • 2001 Directeur administratif et financier chez IHTM (Conforama)
  • 2005 DRH de Skyguide
  • 2008 DRH EMC2
  • 2009 Master en Développement du capital humain, HES Arc Neuchâtel
  • 2013 Directeur netplusFR SA
  • Executive Assessment
  • Management Assessment

 

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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