Avis aux recruteurs

Pinocchio à l’entretien d’embauche

Lors de l’entretien de présentation, 20% des candidats ne sont pas authentiques. Les recruteurs en seraient largement inconscients.

Mauvaise nouvelle pour les recruteurs: ils seraient peu doués pour détecter les candi­dats qui font de la flagornerie ou qui se présentent sous un jour particulièrement flatteur ­ et nous ne parlons même pas de ceux qui mentent carrément sur leurs qualifications. Une série d’études menées sous la direction de Nicolas Roulin, Professeur ­assistant à l’Université du Manitoba (Canada), montrent que les recruteurs ne perçoivent pas plus de 18,4% de ces tentatives plus ou moins convenables et admissibles pour les impressionner*.
 
Les recruteurs expérimentés et qualifiés se révèlent aussi peu habiles que des novices à détecter ces comportements. Ce constat ressor­tait déjà de travaux effectués en 2004 par le psy­chologue Aldert Vrij à l’Université de Portsmouth en Grande-­Bretagne. Selon ce psychologue, les professionnels «sont plus confiants que les novices en leurs capacités, mais pas plus effi­caces».
 
Quelque 282 recruteurs professionnels pou­vant justifier de quatre à dix années de pratique et travaillant en Suisse dans des entreprises, des administrations ou des organisations, ont parti­cipé aux trois études pilotées par Nicolas Roulin. «C’est à notre connaissance l’une des rares études de terrain», précise-­t-­il. «Les résultats suggèrent que les recruteurs ont tendance à faire preuve d’un excès de confiance ­ comme si l’expérience induisait une illusion de compétence... «Parce que la plupart des candidats qu’ils embauchent donnent ensuite satisfaction, ils en concluent qu’ils peuvent se fier à leur intuition ou qu’ils détiennent une méthode de sélection efficace», déclare encore Nicolas Roulin.
 

Méthodes peu efficaces

Les méthodes connues pour déjouer les ma­nipulateurs, comme l’interprétation des signes non verbaux, s’avèrent souvent peu efficaces. La majorité des indices classiquement associés au mensonge (typiquement, un regard fuyant) ne seraient en réalité pas «du tout reliés» à un manque de sincérité, selon des travaux menés en 2002 au département de recherche sur le mensonge de l’Université de l’Etat du Michi­gan.
 
Se fier à son intuition n’est pas une garantie non plus. En 2008, Stephen Porter, chercheur et consultant en psychologie criminelle à l’Université de Colombie britannique au Cana­ da, a démontré qu’il suffit d’une centaine de millisecondes pour se faire une idée sur un in­connu... et accorder sa confiance à un crimi­nel!
 
«Cuisiner» un candidat pour le tester n’est pas forcément une meilleure idée car, s’il est doué pour vous emberlificoter, cela peut lui fournir une occasion d’exercer son talent. Une chose est sûre: mentir lors d’un entretien d’embauche est effroyablement banal. D’après les re­cherches de Nicolas Roulin, 20% des candidats mentiraient sur des points essentiels, comme leurs compétences. Ce qu’il faudrait aux recru­teurs pour qu’ils ne se fassent plus manipuler? Un feedback. Mais ils n’en ont pas puisqu’aucun candidat ne vient ensuite leur avouer qu’il a men­ti. «Une idée serait de leur faire visionner des en­tretiens filmés, puis de donner aux recruteurs des informations sur les mensonges qui ont été dits», remarque Nicolas Roulin. La chose est faisable en laboratoire, plus difficilement dans la pratique. Ironiquement, des recherches menées à l’Univer­sité de l’Etat du Michigan suggèrent que les candidats sont mieux armés pour s’améliorer, du fait qu’ils peuvent vérifier immédiatement s’ils sont crus.
 

Rechercher sincèrement la vérité

«Il ne faut pas se contenter de bouts d’informations. Il faut être curieux et demander par exemple au candidat d’expliquer concrète­ment comment il est arrivé aux résultats qu’il prétend avoir obtenus», affirme Maxime Morand, consultant indépendant et fondateur du cabinet Provoc-­Actions, à Carouge. Tout comme il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, il n’y aurait donc pire mauvais recruteur que celui qui ne veut pas absolument connaître la vérité...
 
 
* Roulin, N., Bangerter, A. & Levashina, J. (2015). Honest and deceptive impression management in the employment interview : Can it be detected and how does it impact evaluations ? Personnel Psychology.
68 (2), 395-444
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Typographe de premier métier, Francesca Sacco a publié son premier article à l’âge de 16 ans pour consacrer toute sa vie au journalisme. Elle obtient son titre professionnel en 1992, après une formation à l’Agence télégraphique suisse, à Berne. Depuis, elle travaille en indépendante pour une dizaine de journaux en Suisse, en France et en Belgique, avec une prédilection pour l’enquête.

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