Débat

Tests de personnalité: peut-on s'y fier?

Il en existe des milliers sur le marché. Les tests de personnalité sont très appréciés par les RH lors de recrutement ou du développement des cadres. Mais ces tests sont controversés. Les consultants Daniel Held et Xavier Camby en débattent.

Pour : Daniel Held

«Cela fait plus de 20 ans que j’interviens en entreprise, sur des sujets de plus en plus complexes de développement des talents et du leadership, de stratégie et de transformation organisationnelle. Depuis plusieurs années, je ne fais presque plus rien sans avoir fait passer WaveTM à tous les dirigeants et cadres concernés, parce que cet outil a révolutionné ma manière de travailler avec les leaders et les organisations et m’a permis d’augmenter significativement l’impact des missions. Pourquoi? Parce que l’exceptionnelle précision de cet outil offre aux acteurs (le cadre et le consultant) des clés pour aborder les changements avec le plus de chances de succès, en valorisant les talents de chacun et en évitant de prendre des risques inutiles. Aussi parce que cela permet de mettre les vécus individuels en perspective, d’identifier ce qui pourra ou ne pourra pas être réussi dans l’organisation et surtout de rendre les cadres acteurs des transformations.

Cet enthousiasme ne vaut évidemment pas pour tous les outils, qui ne sont pas tous conçus pour réussir ce type d’exercice dans un environnement complexe. Je parle d’ailleurs d’outil ou de questionnaire, et pas de test, car si on ne peut tester des aptitudes, on ne peut tester la personnalité (on ne sait pas en soi ce qui est bon ou mauvais). Pour savoir si un outil est «à la hauteur», il s’agit de s’interroger sur: la rigueur scientifique dans son développement et sa mise à jour; sa capacité à prendre en compte des référentiels culturels divers (globalisation); sa pertinence (mesure-t-on ce qui est clé aujourd’hui en entreprise?); sa fiabilité (la personne a-t-elle répondu sincèrement, donc peut-on faire confiance aux résultats?); sa validité (les résultats permettent-ils de prédire le succès professionnel?); sa contribution à un réel dialogue (l’entretien permet-il une prise de conscience et la progression?). Ces questions sont celles qui m’ont fait faire le choix que j’ai fait, et qu’il s’agit aussi de poser à vos éditeurs. Vous serez surpris du nombre d’outils qui n’y résisteront pas.

La qualité de l’outil est une chose. Mais il ne faut pas oublier les compétences et la formation des évaluateurs, car interpréter un profil est tout sauf un exercice trivial. Il s’agit en effet de savoir mettre les résultats/indicateurs dans leur contexte (parcours, situation actuelle) et d’utiliser l’outil pour découvrir les talents, les excès potentiels, les zones de risques, mais aussi les schémas comportementaux d’une personne, pas pour la juger. Il s’agit ensuite d’en tirer, ensemble avec le candidat, les enseignements appropriés. Il se peut que l’acceptation des résultats relève plus de l’effet «Barnum» (on tend à se reconnaître dans un résultat, quel qu’il soit) que d’une réelle pertinence.

Mon engagement fort pour les questionnaires de personnalité est donc étroitement lié à la qualité de l’outil et à la compétence de l’évaluateur. Ce n’est en aucun cas un «chèque en blanc».

Contre : Xavier Camby

«Depuis des années, et plus encore lorsque j’étais chasseur de tête et dirigeant, j’ai constaté l’ineptie des tests dits «de personnalité», souvent appelés «psychométriques» pour leur donner un vernis scientifique. Après les astres et le zodiaque, après les lignes de la main et la morphopsychologie, après la numérologie, la graphologie et la radiesthésie, notre moderne rationalisme a inventé le test, nouvelle boule de cristal omnisciente et prophétique. Plus de 40 000 tests séviraient dans notre monde, prétendant révéler, en mode sans échec, l’intimité profonde d’une personne, d’un candidat ou d’un collaborateur!

Très empiriques, sans autre légitimité que des observations (parfois pertinentes, souvent biaisées) ou des extrapolations (j’en connais de parfaitement absconses), ces tests veulent cerner l’entier comportement humain, pour le rendre prévisible. Quitte à le réduire à quelques
archétypes efflanqués: 3 ou 4 couleurs, 5 à 8 adjectifs suffiraient pour qualifier une personne humaine, comme on calibre une patate.

Le 1er problème de ces tests consiste en la «réduction de tête» qu’ils opèrent. Vouloir encapsuler le merveilleux mystère d’humanité de chacun dans des catégories plus qu’étroites est vain et stérile. En plus d’être dangereux, car risquant d’inhiber toute pensée libre, toute perception subtile, toute intuition d’une réalité complexe! Je connais des dirigeants maraboutés par ces tests, s’enfermant eux-mêmes dans des jugements (à base de couleurs) aussi superficiels que ridiculement étroits, au mépris de leur intelligence.

Le 2ème reproche est plus essentiel. Beaucoup de ces tests sont utilisés – en théorie – pour prendre «une bonne décision». Dans les faits, ils servent à essayer d’éviter tout risque d’erreur. Le test, réducteur au point d’en devenir mensonger, permet cette illusion et fonde ainsi des décisions idiotes, hallucinées d’inepties. Nombre de dirigeants m’ont appelé pour se plaindre d’un de leurs collaborateurs, avec cet argument extraordinaire: «Je ne comprends pas... Sa grapho était excellente»? En lieu et place d’une personne humaine réelle, ils avaient seulement managé un test...

Le dernier grief n’est pas le moindre. Trop souvent, ces tests sont imposés – plutôt que proposés – lors de recrutements ou d’évaluations. La grande majorité des «testés» vivent cet exercice contraint comme une angoissante intrusion. D’autant plus que les commettants s’étant abstenu de solliciter leur libre accord, oublient ensuite de leur en donner une solide restitution (faute de savoir les commenter). Cette intrusion forcée obère gravement la confiance: «Que veut-on savoir de moi, que je ne puisse leur dire ni connaître?»

Réducteur jusqu’à la caricature, bancale béquille décisionnelle, destructeur de confiance, l’usage de ces tests révèle un regrettable et singulier manque de courage: celui de prendre le risque de l’infiniment riche et admirable altérité de l’autre!»

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Daniel Held, Dr. Sc. Econ, est fondateur du cabinet PIMAN, Empowering for change. www.piman.ch
 
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Xavier Camby est Directeur du cabinet Essentiel Management, qui forme les dirigeants à la gouvernance du futur, et auteur de «48 clés pour un management durable».
 
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