La chronique

Un Mars et ça repart!

Nous vivons une époque formidable, vous en conviendrez. Depuis une dizaine d’années, les budgets formation enflent jusqu’à la boursouflure. Jamais les entreprises n’ont autant investi d’argent dans des programmes de formation en tout genre. Bizarre bizarre, non?

Avez-vous remarqué que le discours managérial sur la formation est un discours miraculeux, une fable, voire un mythe des temps modernes? Question: que raconte-t-il à nos oreilles ébahies? Réponse: que la guerre économique est désormais à notre porte, que les entreprises risquent réellement de pâtir de la globalisation et des effets de la concurrence. Et que pour survivre aux sursauts du marché, les directions doivent obtenir un haut degré de motivation de leurs ressources humaines. Qu’en effet, c’est l’intelligence et l’engagement des collaborateurs qui feront la différence. Et que, c’est bien connu, la formation reste le vecteur privilégié le plus efficace pour motiver et favoriser l’implication de tous.

Il s’avère que ce discours naïf et mythologique s‘appuie sur trois vices de raisonnement:

  • les collaborateurs ne sont pas naturellement motivés
  • la formation est l’instrument de transformation des individus dans leur motivation au travail
  • la formation des individus suffit à transformer l’organisation en la rendant efficace

Tout cela, il convient de l’écrire définitivement, n’est en réalité qu’une mauvaise farce. Nous pourrions même défendre l’hypothèse polémique contraire et asséner que plus une entreprise investit dans des budgets formation, plus elle signe son aveu d’impuissance à changer. Pourquoi? Car un séminaire résidentiel de deux jours, même onéreux, n’a pas le pouvoir de transformer un collaborateur. Les pragmatiques parlent alors – avec des grands cris de vierge effarouchée – de résistance au changement… sans se rendre compte qu’ils succombent à la pensée magique «un Mars et ça repart!».

Peut-être serait-il plus intéressant, mais certainement plus risqué d‘examiner - non pas la résistance des collaborateurs au changement - mais bien la capacité de l’organisation à bloquer le transfert de pouvoir des collaborateurs au sein de leur entreprise.

Refuser de s’attaquer aveuglément aux collaborateurs qui «pétouillent», selon l’expression malheureuse de Norbert Alter, permettrait alors de réfléchir aux fonctionnements de l’organisation qui induisent ces comportements. Ce déplacement du regard, du nombril au système, ouvre de nombreuses perspectives d’analyses et génère immédiatement mille et une pistes d’amélioration sous la forme d’hypothèse de travail: les petits chefs qui se contentent de régner et qui construisent des «organidrames», le management déficient qui ressemble davantage à du ménagement, le règne des procédures et des directives qui ralentissent la bonne marche des affaires au détriment des résultats, les incessants discours sur le changement perçus par la base comme un simple changement de discours, l’extrême découpage taylorien du travail brisant les champs d’autonomie et la responsabilisation des individus, l’absence de culture «projet», l’invisibilité d’une véritable politique de ressources humaines, sans oublier l’auto-démotivation et la résignation galopante.

On le voit, chacun en prend pour son grade, l’individu comme l’organisation. Mais en ouvrant le regard du psychologique au sociologique, nous évitons de tomber dans le piège de la stigmatisation gratuite. Il est sain de rappeler que les mots Formation et Performance partagent la même racine étymologique: oui la formation professionnelle a pour objectif d’accroître l’efficience, l’employabilité et les résultats. Mais de grâce évitons de nous bercer d’illusions et chassons des catalogues les formations anesthésiantes qui endorment, qui rendent aveugle et qui permettent au dirigeant de s’acheter une bonne conscience tout en pointant du doigt les résistants au changement.

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Stéphane Haefliger est psychosociologue de formation, membre de direction du cabinet Vicario Consulting et chargé de cours régulier dans les universités romandes. Il est également l’auteur de: DRH et Manager, levez-vous! Vie et mort des organisations, Editions EMS, Paris, 2017.

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