Le recrutement affinitaire

Une technique de drague appliquée au recrutement

Lorsque le principe des agences matrimoniales est transposé aux RH, cela donne le recrutement affinitaire. Les Français adorent. Les Suisses romands hésitent encore.

Après le job dating, voici le recrutement affinitaire, directement inspiré du concept des agences matrimoniales. Depuis 2016, plusieurs startups ont créé des plateformes sur le modèle des sites de rencontre pour permettre aux employeurs de trouver les candidats de leurs rêves. L’idée est qualifiée de «tendance RH du moment» par le site indicerh.com, dont la newsletter est distribuée à 45 000 professionnels du secteur.

Le principe est simple: le recruteur poste une offre d’emploi sur l’une de ces plateformes en prenant bien soin de préciser les exigences professionnelles, les qualités personnelles souhaitées et les éléments clés de la culture de l’entreprise. Les candidats qui postulent passent un bref test psychométrique en ligne. Un algorithme se charge ensuite de dénicher, dans la base de données, les individus qui correspondent le mieux au profil désiré. Leur niveau d’adéquation apparaît sous forme de graphe, parfois avec un score.

Evidemment, pour que cette opération réussisse, il faut que l’entreprise se connaisse bien elle-même. D’ailleurs, elle doit normalement remplir un questionnaire psychologique avant de poster une annonce. Dans tous les cas, elle doit être capable de décrire les particularités de sa culture et les qualités essentielles de ses collaborateurs. Les résultats des évaluations annuelles peuvent être utilisés pour tenter de cerner la personnalité des meilleurs éléments.

«Cette méthode a l’air intéressante»

En Suisse romande, le recrutement affinitaire est accueilli avec une certaine réserve. La Poste Suisse, par exemple, s’intéresse de loin à cette technique qui peut «sans doute être une bonne chose, si elle favorise l’échange entre candidats et recruteurs», selon Nathalie Dérobert Fellay, porte-parole. «La Poste Suisse va se tourner de plus en plus vers les outils électroniques, mais la question de savoir si ce seront effectivement des outils de recrutement affinitaire n’est pas encore tranchée.» Les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) sont, eux aussi, déjà familiarisés avec le terme. «Nous n’utilisons pas cette méthode actuellement, mais nous y viendrons peut-être si elle devait faire ses preuves», déclare Anne-Laure Roudaut, chargée de communication.

Chez Assura, en revanche, c’est la découverte: «Nous n’en avions pas encore entendu parler, mais cette méthode paraît intéressante», répond Julie Perret, stagiaire en communication. «Nous attachons déjà beaucoup d’importance aux qualités personnelles et aux compétences émotionnelles. Comme le recrutement affinitaire va dans ce sens, nous allons l’étudier, pourquoi pas, l’utiliser à l’avenir.» «Très intéressant pour attirer les jeunes générations et permettre une meilleure adéquation entre le poste, le candidat et l’environnement de travail», estime Anne-Claire Steiner Mellot, porte-parole de Services industriels de Genève (SIG). Utiliser cette méthode? Les SIG ne l’excluent pas. Elle semble permettre un «ciblage des meilleurs profils en amont, un raccourcissement de la durée du processus de recrutement et une meilleure intégration des candidats».

«Il y a des points positifs», réfléchit Igaël Derrida, responsable du recrutement au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). «J’ai répondu au test psychologique sur la plateforme Talent Today, j’ai trouvé intéressant et cela ne m’a pas pris plus de vingt minutes. C’est gratuit, ce qui est une bonne chose, mais je doute que cela puisse le rester. Il n’est pas exclu que nous utilisions ce type de produit un jour, même si ce n’est sûrement pas la panacée. Il faudrait aussi vérifier certains points juridiques. Je pense en particulier à la protection des données sur une plateforme externe.» «C’est vrai que c’est une question», reconnaît la coach professionnelle Marie-Marthe Joly, spécialiste RH, branding et réseaux sociaux chez Expression Coaching à Nyon. «En fonction des législations cantonales, les entreprises ne sont pas toujours autorisées à confier certaines données à un hébergeur situé à l’étranger. Cela peut donc constituer un problème. Espérons que la Suisse trouvera bientôt des solutions. Cela dit, si les données relatives aux candidats ont déjà été publiées sur Facebook ou LinkedIn, il me semble a priori qu’on devrait avoir le droit de les réutiliser. Passer par les réseaux sociaux serait alors effectivement une possibilité.»

Recrutement prédictif, un pléonasme?

En France, il est moins compliqué pour les recruteurs de tenter l’expérience puisqu’il existe dans ce pays plusieurs plateformes de recrutement affinitaire – AssessFirst, Cosh, Talent Today, Monkey Tie et Jobr, principalement. «Anticiper de manière fiable les probabilités de réussite d’un salarié.» Tel est le message publicitaire d’AssessFirst (plus de 18 000 recrutements). «Cosh, c’est l’assurance de trouver des candidats qui vous correspondent et qui, donc, réussiront», proclame de son côté le CEO Arthur Philippe, qui revendique l’ouverture de 250 comptes clients depuis le lancement de sa plateforme en 2016. Contacté par mail, le fondateur de Monkey Tie Jeremy Lamri raconte avoir mis au point son algorithme vers 2013 alors qu’il était sans emploi: son but était de dénicher une entreprise qui lui conviendrait. Et c’est en discutant avec un directeur RH qui voulait savoir si cet algorithme fonctionnait aussi en sens inverse qu’il a eu l’idée d’en faire un produit commercial. Il peut aujourd’hui se prévaloir de 1800 entreprises clientes et 40 000 offres d’emploi.

Certains ne promettent pas seulement de rendre possible les «coups de foudre» (sic). Talent Today, par exemple, va plus loin en proposant «une analyse prédictive de la façon dont les candidats vont se comporter dans certaines situations professionnelles». On parle alors de recrutement prédictif. Ce vocable semble diviser les RH en deux camps: ceux qui y croient, et ceux qui n’y croient pas. Sur son blog spécialisé, Farouk Sakji, consultant senior chez Selescope à Paris, prétend que «le hasard n’existe pas dans le recrutement». Sa vision du métier de recruteur, qu’il pratique depuis seize ans, est celle d’un «profileur à temps plein qui travaille avec acharnement ses combinaisons de jeu et les statistiques. Nous scannons toutes les facettes du candidat, recherchons toujours la bonne adéquation entre un profil de poste et une personnalité». Interrogé par mail, il tempère: «Le fait de matcher des données à lui seul ne suffit pas. Les algorithmes ne donnent que des pistes, des suppositions. Il faut relativiser tout cela.»

«En fait, on a très peu de recul, on en est encore au stade de l’expérimentation», constate Marie-Marthe Joly. Il n’y aurait, à sa connaissance, pas d’études de validation scientifique en cours au sein des entreprises clientes. Significativement, certaines d’entre elles refusent de parler de recrutement prédictif «par souci de rigueur», car la science n’a pas encore justifié cette prétention. Le terme «affinitaire» ne les satisfait pas davantage. Expert consultant pour le réseau «référence RH» de l’Association française pour la promotion des ressources humaines (APRH), François Geuze, contacté via LinkedIn, dénonce un pléonasme: le recrutement ne se veut-il pas de toute façon affinitaire et prédictif? Un point de vue partagé par le consultant Nicolas Galita, également approché via LinkedIn: «C’est comme l’expression «monter en haut» ou «démocratie participative». On rajoute un synonyme pour créer un concept vague», remarque cet expert de la formation au sourcing et au recrutement chez le leader français Link Humans.

Reproduire la magie d'une rencontre?

Certes, le fondement du recrutement affinitaire repose sur un fait incontestable: il y a toujours un peu de magie dans une belle rencontre. Mais
peut-on la reproduire volontairement? «C’est là toute la question», souligne Igaël Derrida. François Geuze pense que l’on ne peut pas maîtriser toutes les variables (déjà fort nombreuses) qui influencent la performance d’un collaborateur. Prenez la motivation, par exemple: tout comme l’appétit qui vient en mangeant, elle apparaît parfois chez des individus peu motivés au départ, mais qui finissent par dépasser ceux dont on admirait le bel enthousiasme initial. La déception peut être rude pour les RH.

Le recrutement affinitaire postule aussi que pour trouver la perle rare, le recruteur doit savoir ce qu’il veut. Pourtant, tout le monde a été, au moins une fois dans sa vie, surpris de constater qu’on peut se tromper sur ce point et que le hasard pourvoit souvent à nos besoins. Physicien à l’Université de Catane, en Sicile, Andrea Rapisarda a longuement étudié les vertus du hasard dans le monde du travail. D’après lui, l’être humain est d’une nature trop complexe pour être prévisible. «Mais là où il n’y a que des coïncidences, les experts préfèrent croire à des liens de cause à effet.» Et si on recrutait au hasard? C’est la question que s’est posée Nicolas Galita. «En fait, on peut se demander si l’on ne recrute pas déjà au hasard, car le hasard entre pour une grande part dans le recrutement.» Les analyses graphologiques et les tests de personnalité, par exemple, ont une valeur prédictive discutable. «On a toujours envisagé le hasard comme quelque chose de négatif. Mais on pourrait l’utiliser positivement, par exemple en introduisant un tirage au sort après les entretiens, quand il faut trancher entre plusieurs candidats. Que fait-on généralement dans cette situation? On s’appuie sur des critères souvent subjectifs, déjà proches du hasard, finalement. Alors, plutôt que de faire preuve d‘injustice, pourquoi ne pas tirer à pile ou face?»

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Typographe de premier métier, Francesca Sacco a publié son premier article à l’âge de 16 ans pour consacrer toute sa vie au journalisme. Elle obtient son titre professionnel en 1992, après une formation à l’Agence télégraphique suisse, à Berne. Depuis, elle travaille en indépendante pour une dizaine de journaux en Suisse, en France et en Belgique, avec une prédilection pour l’enquête.

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