La culture d’entreprise en mutation

Vue des coulisses de l’ethnographie

«Capturer» une culture d’entreprise est un exercice complexe, mais possible!
Il s’agit d’observer et d’interroger les employés sur leurs pratiques de travail. En procédant ainsi, on ne se limite pas à établir une liste de valeurs abstraites et vides de sens. On obtient un juste reflet de la richesse actuelle de l’entreprise. 

What people say, what people do, and what they say they do are entirely different things», disait la célèbre anthropologue Margaret Mead («Ce que les gens disent, ce qu’ils font et ce qu’ils disent qu’ils font, sont des choses complètement différentes»). Cela signifie que, pour arriver à cerner la réalité d’une culture d’entreprise, il faut comparer ce que les gens disent avec des observations sur ce qu’ils font. Observer les habitudes des gens au quotidien est à la base de l’ethnographie.
 
La force de cette approche est de décrypter une situation au-delà des mots et des apparences, et de sonder ainsi l’inconscient collectif. Des données très concrètes sont récoltées, comme des citations, des photos, des cartes d’utilisation de lieux, des dessins de processus, des films, etc. C’est comme un instantané de ce qui se passe réellement dans l’entreprise. Ces informations seront une base optimale pour lancer des discussions «sans langue de bois» afin de déterminer des valeurs et pratiques futures, ou nourrir des projets de marque employeur. Observer et interroger les pratiques quotidiennes est avant tout une approche bottom-up. La culture n’est ni décrétée, ni imposée vers le bas, mais construite à partir de ce qui existe. Elle permet de relier les gens avec ce qu’ils sont et de les rendre conscients de ce qu’ils font automatiquement – et dont ils peuvent être fiers. Elle aide à savoir d’où on vient et qui on est pour mieux savoir où on va.
 
Décryptage qualitatif de la culture
Il est recommandé que le projet d’observation des pratiques ne soit pas délégué à des spécialistes ou ethnographes externes, mais se fasse avec des employés de l’institution, coachés par des spécialistes. Il est de ce fait important de déterminer d’emblée une équipe de base qui représente différents départements de l’entreprise. Cette équipe se mettra d’accord sur un plan d’attaque: combien de personnes à observer? Qui veut-on observer? Quels sont les points clés à observer et questionner? Quelles photos récolter?
 
L’équipe observe et questionne les pratiques des employés pour essayer de comprendre en profondeur leur métier et les valeurs qui guident leurs gestes. Elle est à la recherche de ce qui fonctionne bien, qui rend les gens fiers, heureux de faire leur métier. Ou au contraire, qu’est-ce qui fait qu’ils ne se sentent plus en accord avec leur organisation?
 
Voici quelques observations et citations recueillies dans une entreprise industrielle. Un mécanicien: «Il y a différentes qualités de finition au niveau de la machine. Par exemple, avant, on toilait des pièces à la main avec du papier de verre pour que les raies sur la pièce soient linéaires. Maintenant, c’est fini, le marché ne le demande plus, alors on fait au laser.» Dans cette même entreprise, un chef d’équipe avait collé sur un miroir, il y a des années de cela, le message suivant: «La qualité de nos produits dépend de vous et de la qualité de votre travail.» Les casiers et établis étaient rangés selon certaines règles. Un ouvrier: «Quand on était apprenti, on se faisait enguirlander si notre casier n’était pas rangé correctement.» La disposition des pièces reflétait aussi les modèles mentaux de l’organisation. Le bureau du chef n’était plus au-dessus des ateliers, mais bien au milieu. La culture de qualité était encore très ancrée, mais avait évolué pour faire place au client et à un leadership collaboratif.
 
Et après? Dialogue et formalisation
Durant ce processus, l’équipe récolte des images (photos, films), des témoignages qui étayent la culture existante, et découvre de nouvelles facettes de leur entreprise. Les graines de la confiance sont plantées.
 
Un dialogue authentique peut alors être lancé autour de toutes ces données récoltées. On peut discuter concrètement des vraies valeurs, des habitudes. Le management doit également participer à l’exercice et vérifier la cohérence avec la stratégie, et, au besoin, la faire évoluer. Quelles pratiques conserver afin de soutenir l’identité, de quoi peut-on être fier? Que ne veut-on plus? Cela peut se faire à travers des jeux, ou de manière plus formelle à travers des groupes de discussion en ligne ou en face à face.
 
Ce dialogue peut ensuite être formalisé dans des chartes, un règlement, des critères de recrutement et la marque entreprise. La culture d’entreprise se traduira dans de nouveaux logos, habits, couleurs, templates de document. Mais cette fois, elle aura été co-construite.
 
Une fois la culture définie et communiquée, des projets ciblés peuvent être lancés pour la renforcer. Si un point clé de la culture est l’orientation client, on pourra par exemple monter un groupe de travail pour revoir le suivi des clients depuis l’appel au help desk au passage au magasin. Les données précédemment récoltées seront une source riche d’information pour démarrer ces initiatives.
 
Un exemple d’initiative
Dans le cadre d’un mandat réalisé pour le canton de Genève, nous avons mis en place et animé pendant deux mois une communauté autour du thème de la mobilité. Il y avait au cœur de cette demande de la ministre en charge un désir de changement de culture: rapprocher l’État des citoyens. Nous avons pour cela recruté une communauté de Genevois, et d’experts de la mobilité employés au canton.
 
Pendant deux mois, ces participants ont posté sur le site des témoignages et photos de comment ils vivaient leur mobilité au quotidien (le recueil ethnographique). Les participants ont posté en moyenne sept articles par jour, et cent idées d’amélioration de la mobilité ont été co-crées en ligne.
 
Impact
À la fin de ces deux mois, pour aller plus loin dans la concrétisation de nos idées, nous avons organisé un workshop où nous avons imaginé cinq prototypes en groupe. Les ingénieurs nous ont confié après ce workshop: «Je peux enfin mettre des visages sur mes comptages», «Pour une fois je ne reçois pas des lettres de plaintes des citoyens». Et les citoyens nous ont dit qu’ils comprenaient mieux la complexité du métier d’ingénieurs en mobilité. Des barrières avaient été détruites, on pouvait commencer à construire ensemble l’avenir. Les graines du changement de culture avaient été semées.
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