Droit et travail

Contrôle de l’égalité salariale: la pression monte

Dans son message du 5 juillet 2017, le Conseil fédéral demande que «tout employeur qui occupe au moins 50 travailleurs au début d’une année doit effectuer à l’interne une analyse de l’égalité des salaires pour l’année en question». Ce contrôle sera répété tous les quatre ans. Analyse.

L’égalité salariale a fait couler beaucoup d’encre et elle fait généralement peur, associée qu’elle est à une perte de maîtrise des employeurs sur leurs coûts salariaux et sur leur liberté de négociation. Pourtant la notion est assez restrictive: il ne s’agit pas de payer à tout le monde le même salaire, mais de rémunérer de manière égale l’homme et la femme qui effectuent un travail égal ou de valeur égale. Est seule prohibée toute différence de salaire entre hommes et femmes qui ne s’explique ni objectivement ou rationnellement par les caractéristiques des personnes comparées ni par les particularités et exigences du poste, qu’elle soit totalement inexpliquée (inexplicable) ou qu’elle découle de la prise en considération de facteurs discriminatoires.

Relevons d’emblée que la notion de salaire doit être entendue au sens large de rémunération globale pour les services de l’employé-e; y sont inclus, outre le salaire de base, la part variable, la gratification, le bonus, le paiement des allocations familiales et d’éventuelles allocations prévues dans des CCT voire même des frais de formation.

Pourquoi un durcissement de la législation?

Quand bien même la LEg a fêté l’an dernier ses 20 ans, le constat fait en 2016 est plutôt amer: la loi est encore largement inappliquée sous l’angle de l’égalité salariale. Fortes de cette constatation, et considérant que l’égalité salariale n’allait pas s’imposer naturellement, alors que tel était le but de la loi, les autorités ont décidé d’intervenir par le biais de l’arsenal législatif.

Dans son message du 5 juillet 2017, le Conseil fédéral introduit une révision de la loi sur l’égalité pour inciter les employeurs, par des mesures de surveillance, à instaurer au sein de leur entité l’égalité salariale entre femmes et hommes. Le dispositif envisagé, jugé beaucoup trop soft par de nombreux organismes, mais largement trop contraignant par d’autres, prévoit que tout employeur qui occupe au moins 50 travailleurs au début d’une année effectue à l’interne une analyse de l’égalité des salaires pour l’année en question; cette analyse doit être répétée tous les quatre ans sauf si un tel contrôle a déjà été fait officiellement notamment dans le cadre d’une demande de subvention ou d’une soumission de marché public. La méthode d’analyse n’est pas déterminée strictement et permet à chacun de choisir comment procéder. L’outil gratuit Logib, développé par la Confédération, permettra de se limiter à une vérification formelle, sous le contrôle final d’une entreprise de révision, alors que l’analyse sera plutôt matérielle si elle se fonde sur une autre méthode scientifique et non discriminatoire, dont le contrôle sera confié à un spécialiste reconnu de l’égalité salariale. Enfin, l’employeur pourra même convenir avec une organisation (notamment syndicale) ou la représentation des travailleurs de la portée, formelle ou matérielle, de la vérification. Le résultat de l’analyse de l’égalité des salaires sera ensuite porté par écrit à la connaissance des travailleurs et, pour les sociétés cotées en bourse, des actionnaires.

Quel intérêt pour l’employeur à cette démarche?

La question peut légitimement se poser, dans la mesure où, volontairement, aucune sanction n’a été prévue pour les entreprises qui ne respecteraient pas leurs obligations et/ou l’égalité des salaires, pas même une liste noire comme il en existe pour les contrevenants aux lois sur les travailleurs détachés ou sur le travail au noir. Cependant, l’employeur peut tirer profit du temps consacré à cette démarche et saura ainsi comment il se situe sous l’angle d’éventuelles discriminations salariales. Il en va de la cohérence de son échelle de salaire, qui n’est généralement pas aussi structurée que celle d’une administration, mais ne saurait être totalement arbitraire et doit inévitablement reposer sur des critères objectifs. A cet égard, le programme Logib de la Confédération propose un certain nombre d’éléments susceptibles de constituer des critères pertinents notamment l’âge, le degré de formation le plus élevé, l’ancienneté, le niveau de compétences, la position professionnelle, la fonction. L’analyse salariale faite au moyen de cet instrument présente un double intérêt pour l’employeur: elle montre d’une part les grandes tendances salariales de l’entreprise, en reliant les critères évoqués ci-dessus avec le sexe et le salaire effectivement alloué; elle permet d’autre part de repérer les extrêmes et de réfléchir à leur salaire, qu’il soit très bas ou très haut. Si certains employés peuvent avoir quelque crainte que leur bonne situation soit remise en question, une certaine marge de négociation demeure, puisque les écarts de plus ou moins 5% sont considérés comme admissibles dans cette vérification globale.

Tout autre sera la solution si une collaboratrice porte en justice la question d’une éventuelle discrimination salariale: dans ce cadre-là, l’employeur devra prouver, si l’employée a apporté des indices, que le salaire versé n’est pas discriminatoire, sans aucune marge de tolérance. Les tribunaux ont eu l’occasion de réévaluer le salaire de certaines collaboratrices compte tenu du fait que la différence de montant avec le ou les hommes auxquelles elles se comparaient apparaissait injustifiée. On voit là tout l’intérêt de l’employeur à éviter des actions individuelles et à montrer à ses employés, par le biais d’un système tel que Logib, qu’il respecte globalement les dispositions légales en matière d’égalité salariale. A terme, cela devrait d’ailleurs permettre d’éviter des différences salariales entre personnes de même sexe également, la publication des salaires ayant probablement pour conséquence de mener à une certaine harmonisation.

commenter 0 commentaires HR Cosmos
CS

Christine Sattiva est avocate au cabinet Sattiva – Gétaz Kunz à Cully. Elle est spécialiste FSA en droit du travail, vice-présidente du tribunal des prud’hommes de l’administration cantonale, chargée de cours à l’UNIL. Lien: avocates-lavaux.ch

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