Gouvernance

La Fondation Ethos, 20 ans d'investissement responsable

Salaires des grands patrons, doubles mandats, indépendance de Sika: la Fondation Ethos fête 20 ans d'engagement en faveur de l'investissement socialement responsable. Créée en février 1997 à Genève pour gérer les fonds d'une poignée de caisses de pension, cette pionnière de l'actionnariat actif a depuis gagné l'écoute des multinationales.

(ats) Pour le grand public, ce n'est pas toujours clair qui est cet "investisseur institutionnel actif" qui rejette l'étiquette d'activiste. Pourtant, les 218 membres de la Fondation Ethos - surtout des institutions de prévoyance - rassemblent l'épargne de plus d'un million d'assurés, actifs ou retraités.

"En comptant les ménages, on arrive à 2 millions de personnes, soit le quart de la population suisse, qui sont touchées par Ethos. Et qui n'en savent peut-être rien", relève Dominique Biedermann, président de la fondation, en entretien avec l'ats. Les membres cumulent une fortune d'environ 216 milliards de francs, le quart du 2e pilier suisse.

Convaincre les syndicats

Visage depuis deux décennies d'Ethos, Dominique Biedermann dirigeait la Caisse de prévoyance du personnel enseignant de l'instruction publique et des fonctionnaires du Canton de Genève (CIA). Il s'agit à l'époque de vaincre les réticences des représentants des fonctionnaires au sein du Conseil de fondation fortement politisé de la CIA.

Dominique Biedermann souffle l'idée "des critères de durabilité". Reste à trouver une banque capable de gérer un tel portefeuille. Sans succès d'abord, car si les "fonds verts" émergent à peine dans le sillage de l'Agenda 21, aucun institut n'a la fibre de la responsabilité sociale.

La Caisse paritaire de prévoyance de l'industrie de la construction à Genève - privée - se joint à l'aventure. La Fondation d'investissements Ethos voit le jour. A la fin de la première année d'activité, elle compte 25 membres et un portefeuille de 270 millions d'actions suisses et européennes.

Contre la fusion UBS et SBS

Très vite se greffe le mandat des recommandations de votes aux assemblées générales. En 1998, Ethos est parmi les seuls actionnaires à s'opposer à la fusion d'UBS et SBS. Elle met en garde contre un "risque systémique" pour la place financière helvétique. "Personne ne nous a pris au sérieux", se souvient le président. Dix ans plus tard, l'histoire donnera raison à Ethos.

La société Ethos Services est créée en 2000, pour assurer les services - payants - de gestion et de conseil, poursuit Vincent Kaufmann, qui a repris en 2015 la direction de la fondation. Elle gère ses propres fonds valorisés aujourd'hui à 1,4 milliard de francs.

Mais l'exercice du droit de vote ne suffit pas. "Car 10% de non lors d'un vote en assemblée générale est un signal important", estime Ethos. Ses membres sont prêts à financer le dialogue avec les directions d'entreprise, pour clarifier des points critiques ou mettre ceux qui manquent à l'agenda, comme les émissions de carbone ou le respect des droits humains.

Dialogue discret

Ce mandat se concrétise dans "l'Ethos Engagement Pool" (EPP) lancé en 2004 en collaboration avec la Caisse de pension de la Ville de Zurich et celle des hôpitaux de Genève. L'objectif: engager le dialogue direct avec les 150 plus grandes sociétés cotées en Suisse et les sensibiliser à leur responsabilité environnementale et sociale, ainsi qu'aux "bonnes pratiques" de gouvernance.

Une démarche surprenante au point que les présidents des conseils d'administration en personne veulent rencontrer ces actionnaires d'un nouveau type. Fin 2016, Ethos a lancé un programme de dialogue similaire à l'international.

Aujourd'hui, les participants à l'EEP pèsent 182 milliards de francs, 1,5% de la capitalisation helvétique. Mais pour être efficace, ce dialogue doit rester discret. C'est pourquoi Ethos ne rend public que les "thèmes" de dialogue et non pas le détail de ses démarches - et les résultats - réservé à ses membres.

Un tournant

La fondation n'en a pas moins des succès tangibles. L'assemblée générale de Nestlé en 2005 marque un tournant. La résolution d'Ethos contre le cumul des fonctions de président et CEO après la nomination de Peter Brabeck obtient 36% de soutien. Vu l'importance des voix critiques, le géant de l'alimentaire refondra ses statuts. En 2002, pareille intervention avait déjà contraint Lukas Mühlemann au Credit Suisse et Rolf Hüppi chez l'assureur Zurich à capituler.

Quels constats après 20 ans? "Il y a une prise de conscience. Nombre d'investisseurs ont commencé à intégrer les facteurs extra-financiers, qui peuvent représenter des risques sur la performance", analyse Dominique Biedermann.

Mais du côté des sociétés, l'autorégulation ne fonctionne souvent qu'à moitié. Même après l'entrée en vigueur du texte de l'initiative Minder, trop peu d'entreprises cotées fixent une limite raisonnable au salaire variable. Et la moitié des sociétés de l'indice élargi SPI n'a toujours pas de rapport environnemental et social, selon Vincent Kaufmann.

Ethos lance son propre indice à la Bourse suisse

En marge de son 20e anniversaire, Ethos lance en collaboration avec la Bourse suisse son propre indice, qui tient compte des critères de bonne gouvernance. La fondation genevoise va aussi ouvrir l'ensemble de ses fonds de placement au public.

Première sur le marché helvétique des titres, l'Ethos Swiss Corporate Governance Index (ESCGI) privilégie les entreprises suisses qui respectent les meilleures pratiques en matière de gouvernement d'entreprise, annonce la fondation. L'indice permet ainsi de réduire la pondération de sociétés "à risques".

"La méthodologie novatrice de cet indice permet de mitiger les risques liés à une mauvaise gouvernance qui sont ignorés par les indices classiques", explique Vincent Kaufmann, directeur de la Fondation Ethos, cité dans le communiqué. La collaboration avec SIX Swiss Exchange, opérateur de la Bourse suisse, apporte l'expertise en matière de construction d'indices.

L'ESCGI peut carrément exclure les mauvais élèves. Il sous-pondère les firmes avec d'importantes émissions de carbone ou celles qui présentent une controverse sur le plan environnemental ou social. La structure du capital, du conseil d'administration et les rémunérations des dirigeants pèsent aussi sur la balance.

L'expérience Sika

Tandis que l'environnement des taux bas et négatifs met les caisses de pension sous pression, le recours à la gestion indicielle augmente, explique à l'ats Vincent Kaufmann. Et l'affaire Sika a fait bouger les choses. Très vite, Ethos s'était opposée à la décision des héritiers de la famille Burkard (qui détient 16% du capital et 52% des droits de vote) de vendre leurs actions au concurrent Saint-Gobain.

Au coeur du litige toujours en suspens, l'existence de deux catégories d'actions, la limitation des droits de vote et la clause d'opting-out inscrites dans les statuts. Cette dernière permet à l'acquéreur de prendre le contrôle de Sika avec seulement 16% du capital et sans passer par une offre publique d'achat.

En Suisse, les groupes Swatch ou Schindler présentent une constellation similaire, ce qui constitue un risque important, selon Ethos. En vertu des critères du ESCGI, le numéro un mondial de l'horlogerie est sous-pondéré en raison de l'existence de plusieurs catégories d'actions, d'une dérogation de faire une OPA en cas de changement de contrôle et du manque d'indépendance de son conseil d'administration.

Investisseurs privés

Ethos entend par ailleurs ouvrir l'ensemble de ses fonds de placement aux investisseurs privés. La demande d'autorisation a été déposée auprès de l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA).

D'ici quelques semaines, sous réserve de l'aval du régulateur, les personnes privées pourront alors souscrire à des parts des fonds Ethos, aux mêmes conditions que les investisseurs institutionnels. La gestion de ces fonds, selon les critères de l'investissement socialement responsable définis par Ethos, est déléguée à des banques privées.

 

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