La flexibilité du temps de travail

Les modèles de flexibilité du temps de travail en Suisse: premier bilan

L’Université de Fribourg a mené une étude sur les différents 
modèles de flexibilité du temps de travail pratiqués dans 
les entreprises de Suisse. Généralement, le temps est flexibilisé au niveau hebdomadaire et annuel, plus rarement au niveau mensuel. Le temps partiel, les congés non payés et le télétravail sont les pratiques de flexibilité les plus fréquentes.

Plusieurs études soulignent la diffusion de modèles de temps de travail flexibles et une augmentation des demandes d’horaires de travail flexibles en Suisse. La demande de flexibilité vient autant des employés (pour s’adapter aux rythmes familiaux, pour se former, pour planifier des projets, pour gérer la mobilité…) que des entreprises (pour s’adapter aux impératifs et aux cycles d’activité, ou pour gérer les temporalités multiples et élastiques de leurs sites et de leurs clients internationaux). Cette flexibilité prend des formes très diverses: flexibilité sur la journée, la semaine, l’année, voire sur l’ensemble de la carrière, flexibilité sur des périodes spécifiques selon des rythmes saisonniers ou hebdomadaires, réduction de temps de travail, job-sharing ou rachat de congé, flexibilité de lieu de travail (home office, mobile office) qui entraîne une porosité de plus en plus grande entre temps privé et temps professionnel. L’attribution du prix de l’innovation RH 2012 du CRQP au modèle de «congé épargné» du CERN confirme une tendance de fond en 
Suisse romande: de plus en plus d’entreprises mettent en place des mesures ou des modèles pour flexibiliser le temps de travail de leurs employés.

L’expérience de 39 entreprises

Nous avons mené une étude exploratoire* par entretiens entre octobre 2011 et mars 2012  auprès de 39 entreprises (20 en Suisse alémanique et 19 en Suisse romande) pour mieux comprendre les difficultés de la mise en œuvre des mesures de flexibilisation du temps de travail. Dans les entreprises de notre échantillon, le temps partiel, les congés non payés et le télétravail sont les pratiques de flexibilité les plus fréquentes. Généralement, le temps est flexibilisé au niveau hebdomadaire et annuel, plus rarement au niveau mensuel. La saisie des temps de travail est rarement systématique malgré le cadre légal, surtout à partir de certains niveaux hiérarchiques. Diverses possibilités de réduction de temps de travail, avec ou sans réductions de salaire, sont proposées, par exemple via des rachats de temps libre, congés non payés ou sabbatiques. Les demandes de réduction du temps de travail, de rachat de congé ou de home office sont de plus en plus souvent accordées aux managers, y compris chez les hommes, pour des raisons familiales au sens large (présence auprès des enfants, mais aussi auprès de parents vieillissant, lieu de résidence familiale éloigné du lieu de travail…) ou pour des raisons de formation ou de projet personnel.

Les démarches de flexibilité semblent plus généralisées et plus structurées dans les entreprises rencontrées en Suisse alémanique. La plupart des responsables RH interrogés soulignent que l’individualisation, la flexibilisation ou la réduction du temps de travail correspondent à des demandes d’employés, mais ne cachent pas que la flexibilisation des horaires de travail, lorsqu’elle est bien menée, amène souvent une meilleure performance des heures travaillées, permet de rendre les horaires plus élastiques et de réduire l’absentéisme.

Difficultés et risques de la flexibilité

La mise en œuvre de modèles de flexibilité ne se fait pas sans risques, difficultés ou obstacles. Le premier problème est celui du contrôle, moins facile qu’avec des horaires réguliers et avec de plus grands risques d’abus, surtout lorsque la flexibilité du temps de travail est associée à une flexibilité de lieu. De manière générale, la flexibilité du temps de travail rend le travail des superviseurs  plus complexe: il est plus difficile de contrôler mais aussi de coordonner les agendas des membres d’une équipe pour organiser des séances, plus difficile de faire vivre une culture commune d’équipe lorsque les unités de temps et de lieu des membres sont différents. Surtout qu’une culture d’équipe se développe beaucoup dans les moments de pause ou les moments informels qui sont par définition peu planifiés. La coordination d’équipe devient un vrai challenge pour les superviseurs, d’autant plus qu’ils peuvent eux aussi souhaiter avoir des horaires flexibles ou des horaires réduits…

Les praticiens RH  rencontrés considèrent que l’absence d’un manager pendant les horaires de travail «réguliers» de l’équipe est plus difficile à faire accepter que l’absence des autres, que cette absence soit liée à des journées de home office, à une réduction ou une récupération de temps de travail. Pour certains responsables RH, le blocage semble être plus dans les têtes – les représentations stéréotypiques d’un manager (omni)présent – que dans la réalité de la performance. La mise en œuvre d’un dispositif de job-sharing de managers (ou top-sharing) nécessite un vrai travail sur ces représentations. Pour certains groupes professionnels, la flexibilité est plus difficile à mettre en 
œuvre à cause de contraintes professionnelles spécifiques, par exemple celles des processus de production ou de la disponibilité par rapport aux clients. Se posent alors des problèmes d’équité lorsqu’un modèle de travail flexible est accordé à certains employés et pas à d’autres.

Pour ces raisons, la mise en œuvre d’un projet de flexibilité du temps de travail, même modeste, nécessite une approche de changement organisationnel prenant en compte différentes dimensions du travail: le contenu et les processus, les interactions avec l’environnement ainsi que les représentations des acteurs concernés.

Conseils aux praticiens RH

Quelques recommandations pour la mise en oeuvre

Face à ces difficultés, les praticiens de l’étude formulent plusieurs recommandations récurrentes:

1 Analyser les spécificités du contexte organisationnel et les contraintes objectives de chaque position dans l’organisation pour voir quelles marges de flexibilité sont envisageables.

2 Analyser les capacités et besoins des individus: certains individus ont besoin de plus de contrôle ou d’encadrement que d’autres, par exemple lorsqu’ils sont nouveaux dans leur poste.  

3 Mettre en œuvre par étapes: de nombreux responsables recommandent de démarrer avec des projets pilotes sur des individus ou des groupes, avec une concertation régulière et une analyse exhaustive des conséquences avant de définir des règles définitives.

4 Se concerter avec les parties prenantes (collaborateurs, superviseurs, collègues…) pour analyser  les conséquences, adapter la démarche à l’environement ou agir sur les représentations et les blocages.

5 Adapter le mode de supervision à une organisation plus virtuelle nécessitant des contrôles différents (entretiens planifiés, dispositifs de feedback, objectifs formulés…) ainsi qu’une planification de temps communs de socialisation et d’échange pour maintenir la culture d’équipe.
 

  • * 
Ravasi, Bovey, Moreau-Shmatenko, Schroeter, Davoine: «La mise en œuvre des modèles de flexibilité du temps de travail – synthèse d’une étude exploratoire», Chaire RHO/Careerplus, Décembre 2012.  
L’étude a été réalisée avec le soutien du groupe Careerplus que nous remercions.
commenter 0 commentaires HR Cosmos

Professeur à l'université de Fribourg, Chaire RHO

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Diplômée de master en management de l'université de Fribourg

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