Génération Y: entre nouveau péril et crainte ancestrale

Ils ont entre une quinzaine et une petite quarantaine d’années et, sur le marché du travail, poseraient des problèmes intergénérationnels aux responsables RH. La génération Y, info ou intox?

Que de papier a été noirci sur la génération Y, dont l’arrivée sur le marché du travail représenterait une problématique nouvelle pour les responsables RH, en raison de la compatibilité limitée de sa mentalité avec celle de la génération précédente. Info ou intox?
Pour ceux qui n’auraient pas suivi, le terme «génération Y» désigne les individus nés approximativement entre 1980 et l’an 2000. Contrairement à la génération précédente, elle a grandi dans un monde marqué par les ordinateurs, l’Internet, les vidéo-clips et les jeux en ligne. Elle a baigné dès l’enfance dans les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Elle a également été influencée par les restructurations et, au niveau sociétal, l’éclatement des familles. A partir de cette réalité objective, diverses théories plus ou moins solidement documentées et étayées ont été établies pour tenter de cerner et de décrire les spécificités de la génération Y. Les auteurs de référence sont surtout nord-américains – citons les sociologues William Strauss et Neil Howe, principaux «découvreurs » de ce nouveau phénomène générationnel.
 

«Les Y recherchent un projet de vie et voient le travail comme une ‹occupassion›» 

Le portrait habituel de la génération Y n’est pas spécialement flatteur. Ses représentants seraient infidèles aux employeurs, réfractaires à l’autorité, peu investis dans le travail et portés sur les revendications. A tel point que l’on parle parfois de «péril jeune». Selon la psychologue belge Marie-Paule Dehou, fondatrice de l’European coaching association Belgique, les personnes de cette génération sont réputées individualistes, impatientes, dénuées de grands idéaux, peu confiantes dans les entreprises, plutôt ingrates et peu respectueuses des convenances. Mais on leur reconnaît également des qualités propres: elles seraient autonomes, apprendraient vite, désireuses de trouver un job stimulant et ouvertes aux expériences nouvelles. «Elles recherchent un projet de vie et voient le travail comme une «occupassion», explique Marie-Paule Dehou.
 
L’expression «génération Y» est entrée dans le Petit Robert en 2013 et l’on trouve plus de 70 synonymes (lire encadré). Il existe également une quantité impressionnante de livres destinés à donner aux directeurs RH des clés pour gérer cette nouvelle donne. Ainsi, dans le guide pratique «Manager la génération Y», publié en 2011 aux éditions Dunod, la journaliste Florence Pinaud et la directrice du cabinet de recrutement diagora.fr Marie Desplats affirment que «les managers ont intérêt à revoir leurs basiques».
 
Cependant, la popularité de la génération Y suscite l’incrédulité de certains auteurs. En France, par exemple, le psychologue et docteur en sciences de gestion Jean Pralong estime que les attentes et la façon de se comporter au travail sont en fait très semblables d’une génération à l’autre. Après tout, pour quelle raison le passage à l’ère du numérique entraînerait- il de plus grandes difficultés d’ajustement que la révolution de Mai 68, l’Entre-deux-guerres ou, pour remonter vraiment loin, la fin de l’Inquisition? Et si la génération Y n’était finalement qu’un «concept marketing» permettant de faire vendre des livres et des formations en tout genre? Sur son blog www.lesjeunesexpliquesauxvieux.blogspot.com, Denis Monneuse exprime le plus grand scepticisme: «Méfions-nous de ceux qui voient des conflits intergénérationnels partout: c’est avant tout une excellente excuse pour se poser en victime d’évolutions sociétales.»
 
En tout état de cause, il semble difficile de démêler les impressions personnelles sur l’évolution des mentalités et les observations strictement sociologiques. Si l’usage de la notion de génération Y est consensuel en démographie, il n’en va pas de même dans les autres sciences sociales, où le lien entre appartenance générationnelle et comportements est controversé. Globalement, les travaux réalisés jusqu’ici sont davantage descriptifs que comparatifs. Selon Michel Ferrary, professeur en gestion des ressources humaines à l’Ecole des hautes études commerciales de Genève, «les multiples recherches sur la génération Y débouchent sur des résultats contrastés». Professeur de marketing et de management stratégique des PME de l’Ecole hôtelière de Lausanne, Christine Demen Meier considère pour sa part que «prétendre que ces gens sont peu impliqués ou encore individualistes crée une absurde homogénéité».
 

A la recherche du dialogue, plutôt que d’une explication 

Une chose apparaît tout de même «clairement», selon Marie-Paule Dehou: le management se trouve «totalement désemparé» face aux conflits interpersonnels imputés à l’existence de la génération Y. Dès lors, on peut se demander s’il est utile de tenter de déterminer si la génération Y correspond bel et bien à une réalité tangible. A quoi sert en effet de se pencher sur un problème – que l’on a peut-être créé de toutes pièces! – si toute cette réflexion ne fait que générer le sentiment de se trouver dans une impasse? Car il n’est vraiment pas certain que toutes les théories qui circulent et les foisonnants bons conseils prodigués de toutes parts soient réellement susceptibles de redonner à ceux qui les écoutent le sentiment de maîtriser la situation. Sur le terrain, tout le monde s’accorde généralement à dire que la solution consiste davantage à chercher le dialogue avec l’autre qu’à relire la page 137 ou 346 d’un livre écrit par un expert de renom.
 
Significativement, l’entrepreneur genevois Lionel Lourdin pense qu’au lieu de se focaliser sur la barrière de l’âge, il vaut mieux tenter l’écoute et le respect de la vision de l’autre (lire interview p. 22). Finalement, peut-être que rien n’a vraiment changé: quelle que soit l’époque, les jeunes sont toujours différents de leurs aînés!
 

Plus de 70 synonymes

La génération Y fait suite aux «babyboomers ». Elle englobe donc les personnes qui ont entre 15 ans et une quarantaine d’années. Cette appellation aurait plusieurs origines possibles. Elle pourrait avoir été inspirée par la lettre «Y» dessinée par le fil du baladeur qui pend sur les torses des plus jeunes. Elle pourrait aussi venir de leur façon de laisser leurs jeans retomber très bas sur leurs fesses, et qui suggère également un «Y». Mais l’expression pourrait tout aussi bien provenir du fait que la génération précédente était appelée X. Pour d’autres, elle s’expliquerait par la phonétique anglaise du mot «why» (pourquoi), représentatif de la mentalité de ces personnes qui remettent facilement les choses en question.

Il existe de nombreuses autres qualificatifs, par exemple, les «enfants du millénaire » ou «millenials» en anglais, «GenY», «Yers», «digital natives», «net generation» ou encore «echo boomers» (les enfants des «baby boomers»). En tout, on trouverait plus de 70 synonymes.

Génération Y: que disent les sondages?

Un fait est généralement admis à propos des jeunes de la génération Y: ils changeraient souvent d’emploi. Ce qui leur vaut de passer pour volages, voire déloyaux. Des sondages effectués auprès des intéressés révèlent un autre aspect de cette réalité. Ainsi, les réponses à un questionnaire de PricewaterhouseCoopers suggèrent que 72 pour cent de ces jeunes sont hantés par l’insécurité de l’emploi et sont relativement nombreux à accepter des emplois sousqualifiés par rapport à leur formation. En outre, ils transigent assez fréquemment avec leurs prétentions salariales pour trouver un emploi qui leur convient. 
 
D’après un autre sondage, réalisé par le site américain beyond.com auprès de 6000 demandeurs d’emploi âgés de 19 à 26 ans et des responsables RH, il existe des différences flagrantes dans la façon dont la génération est perçue et celle dont elle se perçoit elle-même. Ainsi, 84 pour cent des jeunes diplômés sont persuadés de posséder de solides atouts face aux recruteurs, s’estimant «sérieux et travailleurs», mais seuls 11 pour cent des RH sont de cet avis… Ils ont plutôt tendance à les trouver «peu motivés», voire «paresseux» et «fainéants». Et si 82 pour cent des jeunes se décrivent comme fidèles à l’employeur, seuls 1 pour cent des responsables RH interrogés partagent ce sentiment. 
 
En Suisse, la Haute école de gestion de Genève, mandatée par Bilan, a réalisé un sondage exploratoire sur les attentes des jeunes travailleurs dans le bassin lémanique. Surprise: d’après les résultats, la majorité des 200 jeunes interrogés sont tout à fait capables de rester fidèles à une entreprise! S’ils ont effectivement tendance à changer plus souvent de poste que leurs aînés, ce ne serait pas suite à des coups de tête, mais parce qu’ils ont pris conscience que l’emploi à vie n’est plus garanti et qu’il vaut mieux faire preuve de souplesse pour tirer son épingle du jeu dans ce contexte. Leur profil psychologique serait «proche du résigné». Presque «fatalistes», ils seraient habités par une «vision négative» du monde du travail et le regret de devoir opérer des choix trop tôt, «alors qu’ils n’ont aucune idée de l’avenir». Chiffre éloquent: 14 pour cent d’entre eux avouent avoir de faibles espoirs de trouver du travail et 41 pour cent sont tentés de s’établir à leur compte pour contourner le problème.

 

commenter 0 commentaires HR Cosmos

Typographe de premier métier, Francesca Sacco a publié son premier article à l’âge de 16 ans pour consacrer toute sa vie au journalisme. Elle obtient son titre professionnel en 1992, après une formation à l’Agence télégraphique suisse, à Berne. Depuis, elle travaille en indépendante pour une dizaine de journaux en Suisse, en France et en Belgique, avec une prédilection pour l’enquête.

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