Les RH et les chiffres

La mise en œuvre stratégique: la mine d’or des données RH

Sept conseils pour dénicher les pépites d’or dans les données internes. Quelles données faut-­il récolter? A quelle fréquence? Une fois ces données stockées, comment les faire parler? Les conseils de l’expert.

Quand bien même les RH ont le titre et la légitimité, elles peinent encore à jouer leur rôle de Business Partner des directions alors qu’elles contribuent à au moins deux tiers de la valeur perçue par les clients, et donc à leur satis­faction et fidélité. Dans un environnement toujours plus en recherche de performances, comprendre et optimiser la mise en œuvre stratégique est un véritable besoin pour les entre­prises. Etonnamment, c’est un territoire dont aucune direc­tion n’a la responsabilité directe. Pour la RH, l’investir est l’op­portunité d’être reconnue comme un partenaire stratégique. Elle doit pour cela valoriser sa mine d’or: les données internes. Voici sept conseils pour récolter, utiliser et valoriser les don­nées internes de l’entreprise.

1. Analyser tout le filon
Pour commencer, il faut comprendre dans sa totalité le proces­sus de mise en œuvre stratégique de votre entreprise et identi­fier les données internes (RH et autres) nécessaires pour mesu­rer son fonctionnement et sa performance. Les données à ré­colter couvrent idéalement trois domaines.

En premier la Mission et les Objectifs. Cette partie permet d’analyser l’impulsion de la mise en œuvre stratégique. Il faut pour cela des données par rapport aux objectifs, à la mission, aux valeurs et aux processus clés: par exemple la mission est­-elle connue, comprise, partagée, inspirante? Comment mesu­rer la pratique de la valeur «confiance»?

Vient ensuite la mise en œuvre par l’organisation. Cette partie permet d’analyser le fonctionnement interne suite à l’impulsion donnée par la Mission et les Objectifs. Ici, le spectre des données utiles est très large. Deux sources de données sont généralement privilégiées: 1. Les données provenant de l’acti­vité RH comme l’absentéisme, la formation initiale des colla­borateurs, le niveau de compétence, l’âge et l’ancienneté. Et 2, les données provenant des enquêtes collaborateurs sur leur perception de leur activité et du fonctionnement interne, leur état d’esprit et comportements ou leur évaluation des presta­tions internes des Fonctions Support (RH, IT, ...).

Enfin les Performances réalisées. Cette partie donne à l’exercice sa véritable dimension stratégique et une orienta­tion «business» à la fonction RH: identifier les écarts entre ré­sultats et objectifs et rechercher les causes. Dans ce domaine, la RH doit ratisser plus large que juste son jardin. Les données d’enquêtes clients sont des données de performances pour la fonction RH: par exemple, la satisfaction et la fidélité client, l’évaluation de la disponibilité ou de la compétence du person­nel. De même, des données financières comme la croissance ou la profitabilité d’unités du front sont des données de perfor­mance à prendre en compte. Il faut bien sûr négocier avec les autres départements l’utilisation de leurs don­nées, mais l’enjeu en vaut la chandelle.

2. Définir comment exploiter votre filon avant de creuser
L’important n’est pas de collecter des données pour en faire une belle analyse, mais d’aller au­d-elà et d’en faire quelque chose. Trop d’en­ quêtes sont lancées sans aucune réflexion préa­lable sur la phase d’exploitation des résultats et des plans d’action. L’analyse du processus faite au point 1 facilite la réflexion sur l’exploitation des résultats, le contrôle et le suivi des actions qui seront faits, ce qui dynamise le processus.

3. Traiter la collecte de données comme une action de «comm»
Il faut vendre la démarche de collecte de données. La collecte en soi n’est pas dérangeante comme très souvent ressentie, c’est la manière de la faire qui la rend dérangeante: elle est généralement traitée comme un flux unidirectionnel d’infor­mations. Les collaborateurs sont de moins en moins motivés à participer à des démarches qui les flattent dans un premier temps: «Votre opi­nion est importante», pour ensuite ne plus leur donner d’information et ne pas les associer à l’ex­ploitation des résultats.

Pour développer la motivation à participer, il faut envoyer des signes de considération et d’écoute sincère avant, pendant et après la col­lecte et les respecter. Pour cela, le plan de commu­nication doit expliquer le pourquoi, le but de la démarche et ce qui va être fait en retour du temps consacré par chacun. La motivation peut devenir un engouement lorsqu’un enjeu est attaché au relevé: vos réponses vont permettre de choisir entre les projets A et B.

Une enquête bien «vendue» se caractérise par un taux de réponse immédiat (30 à 40 % dans la première journée dans les cas exceptionnels), un taux de participation élevé (généralement 90% et plus) et surtout la qualité et la quantité des données recueillies.

4. Collecter des données régulièrement et en continu
La fréquence et la méthode des relevés ont une incidence sur la pertinence des données. Il faut déjà commencer par dissocier la collecte avec le traitement des données. Ce sont deux opérations différentes qui peuvent être traitées séparément dans le temps. Par exemple, une collecte trimes­trielle et un traitement annuel.

Mis à part quelques indicateurs comme l’ab­sentéisme et le taux de rotation, la fréquence des relevés est trop espacée (par exemple tous les deux ou trois ans pour les enquêtes collabora­teurs), ce qui donne un éclairage ponctuel de la situation, mais ne permet pas de développer une vraie connaissance de la mise en œuvre straté­gique et de sa dynamique.

Il faut collecter des données en continu (atten­tion à bien les stocker! un point à régler très tôt) et non au coup par coup, même pour les enquêtes internes. Par exemple, les relevés par voie d’en­quête sont traités comme une activité unique, c’est­-à-­dire sans suite immédiate une fois termi­née. Pourtant, au cours de l’analyse, très souvent nous aimerions poser de nouvelles questions aux personnes interrogées et ne faisons rien car l’enquête est fermée. L’informatique permet au­jourd’hui de développer des enquêtes ouvertes: une fois qu’un questionnaire est complété, il est possible de continuer l’enquête avec de nouvelles questions suite aux réponses reçues, comme si vous meniez un entretien. Cette approche conduit à repenser la structure et le déroulement des ques­tionnaires en architecture ouverte.

5. Collecter les données, c’est les préserver
Dans ce domaine, le gâchis d’argent est phéno­ménal! La valeur long terme d’un relevé, d’une enquête, c’est en premier la donnée. Aujourd’hui, dans plus de 90 % des cas, une enquête terminée signifie des données perdues. Les données peuvent être utilisées plusieurs fois dans le temps: à court terme, pour analyser une situation, à moyen et long terme, pour voir des tendances, pour revenir sur des situations antérieures afin de comprendre des phénomènes nouveaux pas­sés inaperçus lors de l’analyse. Les RH doivent donc réfléchir au stockage de ces données brutes, car même si elles ne les exploitent pas aujourd’hui, elles pourront toujours le faire plus tard. Elles doivent aussi conserver le question­naire, la méthode de relevé et d’exploitation ce qui permet de comprendre le sens des données brutes et qui fait cruellement défaut lorsqu’il faut reprendre des données anciennes. Et dans les cas où elle ne participe pas à des enquêtes internes, la RH doit chercher à récupérer une copie des données (et bien les stocker).

6. Valoriser vos données
La valeur d’une donnée est son opérationnalité et sa disponibilité permanente, c’est-­à-­dire son accès et son utilisation rapide. L’opérationnalité d’une donnée est le sens de ce qu’elle mesure par rapport au but de l’analyse. Il y a deux moyens de l’amélio­rer: la première est de recoder vos données. Par exemple, l’opérationnalité de la donnée «forma­tion des collaborateurs» définie selon les échelles de qualification de la confédération (Haute école universitaire (UNIL, EPF) – Master, formation professionnelle supérieure, apprentissage complet, etc...) est faible car le sens est trop dilué. Par contre, si cette donnée est recodée en deux profils (1. Formation supérieure, 2. Formation terrain, apprentissage), elle a une opérationnalité forte car elle donne un éclairage analytique immédiat. Une autre manière de valoriser les données est de mon­ter des indicateurs à partir de données alignées sur un thème commun et pouvant provenir de diffé­rentes sources. Par exemple, si l’innovation est une dimension de succès de l’entreprise, il est pos­sible de monter un indicateur de performance de cette dimension en consolidant des données d’en­ quête sur les comportements et attitudes internes face à l’innovation, des données sur le temps de travail consacré à de l’innovation et des données de performance comme la part du chiffre d’af­faires liée à l’innovation. Les indicateurs sont des outils analytiques très puissants pour analyser les performances de mise en œuvre, surtout lorsque consolidés dans un tableau de bord.

La disponibilité d’une donnée répond aux be­soins de veille continue sur le fonctionnement interne et de faire des analyses suivies et sponta­nées. Pour cela, les données doivent être stockées et traçables dans une base de données interne ou externe en ligne. Un tableur Excel est trop limité, surtout si les données proviennent de sources dif­férentes: relevés internes, enquêtes collabora­teurs, enquêtes inter départements, base de don­nées Finance, Vente.

7. Indexer vos données
L’indexation, c’est le marquage des données à des périmètres, c’est-­à-­dire des dénominateurs com­muns: une équipe, un lieu, un processus, une ancienneté ou une combinaison des trois. L’in­dexation permet dans un premier temps de trans­former des données quantitatives en qualitatives. Par exemple, l’absentéisme et le taux de rotation sont des données quantitatives qui deviennent qualitatives si elles sont indexées au lieu (le ser­vice, le pays), au moment (haute, basse saison), au contexte (crise, croissance), etc. De même des données quantitatives comme l’effectif, l’âge, la formation ou l’ancienneté deviennent qualita­tives si indexées à des équipes ou des lieux.

L’indexation permet surtout d’établir des passerelles et des corrélations entre les données des trois domaines de la mise en œuvre stratégique à savoir: 1. La mission et les objectifs, 2. Le vécu de la mise en œuvre et 3. Les résultats: par exemple ana­lyser la corrélation entre la satisfaction, l’engage­ment collaborateur et la satisfaction client ou entre la rentabilité des unités du front, les évaluations des clients des collaborateurs du front et la satisfac­tion des collaborateurs de leur travail et l’absen­téisme ou entre les indicateurs de performance des dimensions de succès et un indicateur d’adhésion des collaborateurs à la politique menée.

Ainsi, pour se positionner en expert de la mise en œuvre stratégique, la RH doit commencer par réfléchir à ces sept points et définir sa politique de gestion des données d’entreprise, ses buts, ses limi­tes, son processus. Cela lui permettra de progresser avec sérénité, sinon le risque de découragement, d’indigestion ou de noyade est garanti. C’est alors que la mine d’or brillera de tous ses éclats.

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Olivier Saurais est directeur de MSR SA, conseil en Expérience Client et Collaborateur, et concepteur de Mbee.M, solution en ligne de mesure et d’accompagnement de l’exécution stratégique.

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