Compétences collectives

Les avantages et les inconvénients de l’évaluation collective des performances

L’évaluation du personnel au niveau individuel est de plus en plus critiquée, notamment en raison des biais auxquels le processus est soumis et du temps qu’il requiert. Dans un monde complexe où les services et produits requièrent la collaboration de nombreuses personnes, la gestion des objectifs de travail au niveau collectif intéresse de plus en plus les entreprises. Avec quelles conséquences? Une étude de la HEIG-VD, dont les premiers résultats sont dévoilés ici en primeur, donne quelques réponses.

Quels sont les avantages et les risques d’une évalua­tion collective des performances? Cet article révèle les premiers résultats d’une recherche auprès d’entreprises ba­sées en Suisse et dont le personnel est géré au niveau col­lectif, à savoir avec des objectifs d’équipe et une récompense partagée entre les membres sous forme d’une prime ou d’un bonus. Notre recherche montre que la plupart des personnes interrogées sont satisfaites du système collectif, mais que seulement un tiers d’entre elles pense que leur performance est meilleure, la moitié pensant qu’il n’y a pas de différence entre le collectif et l’individuel. Ainsi, le système au collectif semble apprécié, mais pas forcément lié à plus de performance individuelle.

Plus de solidarité et un meilleur partage
des connaissances


A y regarder de plus près cependant, les personnes que nous avons interrogées indiquent que le système collectif apporte de nombreux avantages, comme par exemple: la collabora­ tion, la solidarité, l’échange d’information, la communica­tion, l’entraide, plus d’engagement au travail, le partage de compétences, et l’obligation de ne pas décevoir le groupe. Le collectif apporte une culture d’entraide et de solidarité qui pousse les indivi­dus à s’investir plus dans leur travail, à partager leurs connaissances et ainsi permettre à l’organisation d’avoir des employés plus actifs et concernés.

Le collectif permet aussi une meil­leure ambiance de travail, grâce à la solidarité et le but commun («On se serre les coudes pour y arriver», «On s’intéresse plus à ce que font les autres et on leur donne des conseils», «On ap­prend plus les uns des autres»). Ainsi, si les indi­vidus ne pensent pas forcément que leur perfor­ mance augmente avec un système collectif, ce­lui-­ci amène tout de même de nombreux atouts pour la bonne marche de l’organisation. En particulier, la solidarité et le partage des con­naissances, des forces importantes pour l’entreprise d’aujourd’hui.

Les limites du modèle: les passagers clandestins et les «top performers»

Travailler au collectif apporte donc de nombreux avantages mais aussi des inconvénients. Selon notre enquête, le principal désavantage est le passager clandestin (le free rider), celui ou celle qui ne fait rien et profite des résultats de l’équipe pour recevoir sa récompense. Le passager clan­destin est le risque majeur du système. Si une personne de l’équipe ne participe pas ou est de mauvaise volonté, alors le système ne fonction­ne pas.

Il peut fonctionner cependant si cer­taines conditions sont remplies: avoir avant tout un bon manager capable de contrôler et reca­drer le travail de ses équipes, avoir des objectifs réalistes, de la communication et de la con­fiance au sein de l’équipe, et obtenir l’adhésion de toutes les personnes.Pour que le système marche, il faut donc un bon processus de ges­ tion et un management équitable qui permette à l’équipe de créer un climat de confiance et de communication.

Un autre désavantage du système est qu’il ne convient pas aux «top per­formers» car ceux­-ci ne veulent pas partager leur succès avec les autres, leur bonus ou prime se retrouvant réduite par la moindre perfor­mance de leurs collègues. Les top performers sont prêts à aider leurs collègues pendant un certain temps, mais à la longue se lassent d’être la «vache à lait» de l’équipe. Ils risquent ainsi de moins performer ou de s’en aller. Notre enquête révèle que le collectif convient bien aux emplo­yés qui performent dans la norme, mais pas pour les meilleurs qui devraient plutôt être gérés avec un système majoritairement individuel.

Le modèle nécessite des managers capables de gérer leurs équipes


Selon notre enquête, le travail au collectif ap­porte de nombreuses compétences stratégiques pour l’entreprise (partage des connaissances, collaboration, entraide, communication). Le système collectif permet aux employés d’avoir une vue plus globale de leur travail, étant évalu­és vis­-à­-vis d’objectifs au niveau de toute leur division ou groupe. Il permet à l’entreprise de mieux délivrer des produits et services qui sont le fruit de la collaboration de nombreuses per­sonnes.

Le collectif est donc positif pour l’entreprise. Encore faut-­il avoir des conditions remplies, no­tamment avoir de bons managers capables de gérer leurs équipes (surtout de gérer les passa­gers clandestins), d’avoir des objectifs réalistes et créer la communication au sein de l’équipe. La mise sur pied d’un système collectif pour l’évaluation du personnel est possible mais elle passe avant tout par des managers formés, no­tamment au feedback et contrôle du travail. Sans équité, le système ne fonctionne pas et crée des jalousies ou frustrations, surtout chez les forts du groupe qui ne voient pas pourquoi ils devraient travailler pour les autres. Le collectif est possible mais il est fragile. Il appartient à l’entreprise de bien en être consciente si elle tient à bénéficier de tous ses avantages stratégiques.

Recherche entreprises

Forts des constats mettant en évidence des contradictions entre les discours qui louent le collectif («ensemble, nous sommes forts!») et les pratiques d’évaluation qui mettent l’accent sur la performance individuelle («entretien individuel d’appréciation»), nous avons souhaité en savoir plus sur les pratiques de l’évaluation de la performance collective. Ainsi est né ce projet de recherche réalisé par l’Unité «Ressources Humaines & Management» de la HEIG-VD et financé par la Haute Ecole Spécialisée de Suisse occidentale - HES-SO. A ce stade, nous recherchons désormais des entreprises où transférer ces connaissances, autrement dit, des entreprises intéressées à développer et mettre en œuvre des dispositifs de gestion de la performance collective sur la base des résultats de cette recherche. En cas d’intérêt, merci de s’adresser au soussigné.

François Gonin, Professeur, Management des ressources humaines, Directeur de l’Unité «Ressources humaines & Management», HEIG-VD. francois.gonin@heig-vd.ch

A quel niveau situer le collectif?

La gestion du personnel au niveau collectif peut se faire soit au niveau des équipes, avec des objectifs de groupe et des récompenses partagées entre les membres, soit au niveau de toute l’organisation, en regard d’objectifs liés au chiffre d’affaires global ou au résultat net de l’entreprise par exemple. Les objectifs à un niveau trop éloigné des personnes n’étant pas motivants, il est plutôt conseillé de gérer le personnel au collectif avec des objectifs au niveau de l’équipe dans laquelle elles travaillent. Les objectifs d’équipe sont alors proches des personnes qui doivent les atteindre. Les individus peuvent voir concrètement leur apport, alors que les objectifs au niveau de toute l’entreprise sont comme la pluie et le beau temps, hors de portée.

Peu d’entreprises utilisent un système collectif au niveau équipe, la majorité se situant au niveau individuel ou organisationnel. Au vu des avantages que le système amène, il semble toutefois intéressant d’essayer le travail avec des objectifs de groupe. Il s’agit alors d’arriver à établir des objectifs d’équipe qui soient SMART et d’avoir des managers capables de gérer le travail des personnes, notamment en recadrant, voire excluant, les passagers clandestins.

Le manager doit aussi savoir créer une culture de communication, par des réunions régulières, et de feedback, qu’il soit positif ou négatif. Pour créer la confiance requise par le système collectif, il est impératif d’avoir un(e) chef(fe) d’équipe mature et formé(e) aux techniques d’évaluation des personnes, ce qui n’est pas forcément donné à toutes les entreprises. Le collectif au niveau de l’équipe elle-même amène à de nombreux avantages stratégiques à condition de bien préparer le terrain. A l’inverse, dans une équipe où la dynamique est difficile voire négative, et avec un manager peu capable ou peu présent, le collectif peut être destructeur, démotivant, mal vécu, car il force des individus à travailler ensemble alors que leurs relations sont mauvaises. Il convient donc de bien cerner les cas où le collectif est possible, et de gérer ceux où il est plus difficile.

L'auteur

Jean Weidmann est Professeur en Manage­ment des ressources humaines et Respon­sable de CAS du MAS Human Capital Management, à la HEIG­VD, Haute Ecole d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud.

jean.weidmann@ heig­vd.ch.

 

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