Valeur perçue

Pour une fonction RH légitime à l’ère de l’intelligence artificielle

Depuis l’émergence du concept de «RH business partner», les critiques de la Fonction RH se multiplient. En voici la liste, avec plusieurs recommandations pour aller de l’avant.

Depuis une dizaine d’années, la fonction RH est victime de ce que l’on appelle le «RH bashing» autrement dit un «dénigrement systématique dans les médias» couplé à une critique partagée par les différents «clients de la fonction RH» (dirigeants, collaborateurs, managers, partenaires sociaux, ...). En effet, rares sont les enquêtes dans le monde qui dressent des lauriers à la profession. Et c’est même pire dans le monde artistique comme l’indique Benoît Raveleau (2017), qui pointe que sur la cinquantaine de films diffusés en France sur la période 1970-2015, où figure une DRH, ce dernier est systématiquement représenté comme «quelqu’un d’inhumain, sans pitié, face au mal-être des salariés».

Mais que reproche-t-on exactement aux RH?

Nos recherches ont montré que le «RH bashing» est apparu quelques temps après l’émergence du concept de «RH business partner». En cherchant à séduire les dirigeants (siéger au comité de direction, être au service de la DG), il semblerait que les RH aient perdu leurs autres «clients» sans pour autant conquérir ces derniers! Plus précisément, nous avons pu identifier sept familles de critiques:

  1. La fonction RH s’est déshumanisée, elle n’est pas assez proche des salariés et de ses parties prenantes. Elle ne crée pas une culture managériale positive et des conditions de travail épanouissantes;
  2. La fonction RH est autocentrée sur elle-même, elle ne se préoccupe pas de l’expérience utilisateur de ses clients («fait faire des choses que l’on déteste») quand elle crée des processus (entretien annuel, plan de formation, ...);
  3. La fonction RH se contente d’un rôle de gestion et d’exécution. Elle ne participe pas à la construction de la stratégie, n’incarne pas un contre-pouvoir (garant de l’équité, respect de principes éthiques). Elle ne sert que les intérêts de la direction générale;
  4. La fonction RH est trop centrée sur ses rôles transactionnels historiques: paie, administration du personnel au détriment des vrais sujets (développement des compétences, ...);
  5. La fonction RH n’innove pas, ne prend pas de risques, ne crée pas de valeur, n’améliore pas la compétitivité de l’entreprise;
  6. La fonction RH n’a pas pris le tournant du monde digital (SI, App, méthodes de travail, ...) et reste archaïque dans son fonctionnement, son organisation et ses missions;
  7. La fonction RH ne sait pas protéger les collaborateurs (absence d’anticipation des évolutions, faillite de la gestion prévisionnelle des compétences, réduction des effectifs, baisse de l’employabilité...) des soubresauts d’un environnement devenu incertain, complexe et ambigu. Elle ne joue pas suffisamment son rôle d’appui et de soutien.

Contrairement aux vœux de Dave Ulrich, les RH seraient donc tout sauf des «champions des salariés», des «partenaires stratégiques», des «facilitateurs du changement» voire des «experts administratifs».

Derrière ce constat, il y a le fait que la fonction RH n’a pas su suffisamment se réinventer face aux évolutions de l’environnement. Elle reste trop marquée par une organisation adaptée à la seconde révolution industrielle (fonctionnement en silo, outils structurés et rigides, ...) mais qui ne répond plus aux enjeux business actuels et aux nouvelles aspirations des individus marquées par de nouveaux rapports au temps, à l’espace, au travail, à l’autorité, aux autres et aux institutions. Il devient donc urgent de construire la fonction RH de l’ère digitale sous peine «d’ubérisation».

Il ne s’agit pas de faire la révolution. Au contraire, la fonction RH se doit d’être ambidextre (garder le meilleur du monde d’avant tout en se renouvelant): concilier obsession de la performance et qualité des relations humaines; promouvoir les technologies tout en préservant l’humanité de l’entreprise; créer de la valeur et contribuer au business tout en améliorant le bien-être et la qualité de vie au travail. C’est dans l’équilibre entre ses différents clients et rôles qu’elle justifie son existence.

Pour cela les RH vont d’abord devoir lever différentes barrières qui les empêchent de mener leur chantier de transformation: •Les barrières expérientielles avec des équipes RH trop «clonées» qui possèdent un portefeuille de compétences collectives faiblement diversifié et surtout les mêmes points faibles et forts!

Préconisation 1. Travailler l’hétérogénéité des profils RH (le stratège, le geek, le data analyst, le champion du dialogue social, le marketeur, le pro de la marque employeur le spécialiste du capital humain, le coach organisationnel, le digital detox, ...) pour adresser la multitude des problématiques RH et faire face aux imprévus et à la complexité;

Les barrières culturelles (culture de la conformité et du zéro risque) qui mettent les RH en posture passive (subir les événements) et les empêchent d’être proactifs et d’aider leur entreprise à se préparer à l’avenir;

Préconisation 2. Initier une culture du test & learn, du droit à l’essai et encourager vos équipes à proposer régulièrement des nouveaux services et des innovations et à faire de la prospective;

  • Les barrières structurelles et technologiques marquées par des processus inopérants et des outils rigides et des données mal exploitées pour prendre des décisions efficaces en matière de RH.

Préconisation 3. Tirer le meilleur parti des données, intégrer les avancées de l’intelligence artificielle mais surtout simplifier les processus et adopter des SIRH souples et agiles qui créent la meilleure expérience possible pour les collaborateurs;

Les membres de la fonction RH vont également devoir incarner les RH autrement et notamment:

  • Devenir des makers: engager par les actes et non par les discours;
  • Faire avec les autres plutôt que seul: co-construire les solutions;
  • Etre exemplaire: appliquer à soi-même ce que l’on demande aux autres pour éviter les injonctions paradoxales et les sentiments de trahison;
  • Etre visible, disponible et chaleureux: enchanter les liens sociaux plutôt qu’incarner la froideur des organisations anonymes;
  • Etre courageux: défendre le périmètre de la fonction et développer son leadership.
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Michel Barabel est professeur affilié à SciencesPo Executive Education. Il est notamment le directeur scientifique de l’Executive Master RH.

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