L’impact RH de la baisse des taux de conversion
La tendance actuelle à la baisse généralisée des taux de conversion n’a pas que des incidences sur les caisses de pensions, mais induit également des conséquences concrètes sur les ressources humaines de l’entreprise, notamment en termes de retraites anticipées.
La plus importante des décisions est évidemment celle du moment du départ, accompagné du choix du mode de perception des prestations (rente, capital, ou un mélange des deux).
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La grande majorité des caisses de pension suisses applique des plans de prévoyance dits en primauté des cotisations, c’est-à-dire que les salariés (ou assurés) accumulent durant leur période d’activité un capital, appelé avoir de vieillesse, qui est ensuite converti en rente au moment de la retraite au moyen d’un taux de conversion. Nombre de caisses de pension permettent à l’assuré de prendre tout ou partie de cet avoir sous forme d’un capital unique versé en espèces.
Le taux de conversion définit donc la règle d’équivalence entre capital et rente, et il dépend naturellement de l’espérance de vie des retraités, qui montre une tendance historique à l’allongement. Ainsi, l’espérance de vie à l’âge de 65 ans est passée entre 1991 et 2016 de 15.6 années à 19.8 années pour les hommes, et de 19.8 années à 22.6 années pour les femmes (source: Office fédéral de la statistique).
Le niveau du taux de conversion dépend également de la performance attendue sur les placements, puisque l’argent mis de côté pour le versement d’une rente est placé sur les marchés financiers et dans l’immobilier, ce qui permet d’améliorer les prestations versées. Plus les attentes de performance sont basses, plus le taux de conversion est soumis à une pression baissière, ce qui est le cas actuellement. En effet, les modèles financiers montrent que les performances historiquement observées risquent bien de ne plus se produire à l’avenir, et nombre de classes d’actifs financiers ont vu leurs attentes de performance fortement réduites (quand elles ne sont pas négatives).
Part surobligatoire mise sous pression
La tendance actuelle dans les caisses de pension est donc clairement à la baisse des taux de conversion, et ce malgré l’échec de la réforme PV 2020 devant le peuple, qui maintient le taux de conversion minimal légal de 6.8% à l’âge ordinaire de retraite selon l’AVS. Dans les faits, c’est la part surobligatoire, non protégée par le taux de conversion légal, qui est convertie à un taux sensiblement plus bas. Il n’est dès lors pas rare de voir des taux de conversion descendre en-dessous de 5.5%, voire même en-dessous 5.0% en fonction de la politique appliquée par la caisse de pension.
Qui dit baisse du taux de conversion dit diminution des prestations pour les salariés qui souhaitaient opter pour une retraite sous forme de rente. Les salariés qui optent pour une retraite entièrement en capital ne sont pas impactés par une telle diminution, car seule la conversion en rente est ajustée à la baisse.
Un tel changement au niveau des prestations de retraite n’est évidemment pas sans incidences sur le comportement des salariés, en relation avec leur expectative de rente à la retraite. En premier lieu, il convient de préciser que la baisse du taux de conversion ne peut intervenir abruptement, du jour au lendemain. La jurisprudence a plusieurs fois statué sur le fait qu’une période transitoire devait être mise en place, ceci afin de protéger les assurés et de leur laisser le temps de prendre des décisions adéquates, même si dans les faits la durée de cette période transitoire peut être relativement réduite. De plus, l’employeur accompagne parfois la baisse du taux de conversion de mesures compensatoires par le biais de versements complémentaires sur les avoirs de vieillesse des assurés les plus âgés, ou par l’introduction de cotisations d’épargne plus importantes. Ces mesures touchent très différemment les salariés en fonction de leur âge: l’augmentation de la part épargne de la cotisation aura un effet marqué pour les salariés les plus jeunes, et pratiquement nul pour les plus âgés. A contrario, l’employeur qui verse un complément unique sur les avoirs de vieillesse favorisera plutôt les salariés proches de la retraite.
Des effets sur les retraites anticipées
Dès lors, l’annonce d’une baisse plus ou moins progressive des taux de conversion et d’éventuelles mesures compensatoires l’accompagnant oblige le salarié âgé à prendre, parfois dans la précipitation, des décisions importantes quant à son futur professionnel. Il n’est ainsi pas rare de voir une baisse des taux de conversion telle que le taux de conversion applicable immédiatement est pratiquement équivalent, voire supérieur, au taux de conversion valable une année plus tard. Cela peut arriver lorsque la période de diminution des taux de conversion est définie par année civile, avec par exemple le taux de conversion pour un assuré de 63 ans en 2018 égal ou supérieur au taux de conversion pour un assuré de 64 ans en 2019. Dans un tel cas, le salarié souhaitant prendre sa retraite sous forme de rente aurait tout intérêt à partir immédiatement à la retraite, car différer son départ en rente d’une année ne lui apporte aucun gain en termes de taux de conversion.
Cette considération doit néanmoins être nuancée, car d’autres éléments entrent en ligne de compte. Tout d’abord, un départ en retraite anticipée dans la caisse de pensions doit également être envisagé de concert avec la rente de l’AVS. L’anticipation pour la rente AVS coûte en effet relativement cher (-6.8% par année d’anticipation), et l’ex-salarié aura peut-être intérêt à ne pas percevoir immédiatement de rente AVS, et il devra dès lors cotiser en tant que rentier. Un tel coût, s’il n’est pas couvert au moyen d’un pont AVS payé par la caisse de pension ou par l’employeur, peut être tel qu’un départ en retraite anticipée n’est pas souhaitable. De plus, même si le taux de conversion n’est pas augmenté en cas de report de l’âge de retraite, l’avoir de vieillesse continue lui d’être alimenté des cotisations épargne (dont la moitié au moins est à charge de l’employeur) et des intérêts crédités.
Aux RH d’anticiper ces conséquences
La décision d’un départ ou non en retraite anticipée consécutive à la diminution des taux de conversion dépend donc de nombreux facteurs, qui ont trait aux conséquences immédiates et futures d’un tel départ sur la prévoyance du salarié. Néanmoins, le signal donné par l’annonce d’une baisse des prestations de retraite, accompagné d’un tableau décrivant précisément les conséquences sur la rente de retraite d’un départ à tel ou tel âge, agit souvent comme un déclencheur, le salarié se retrouvant confronté, plus rapidement que prévu, à des décisions cruciales sur sa future retraite. La plus importante des décisions est évidemment celle du moment du départ, accompagnée du choix du mode de perception des prestations (rente, capital, ou un mélange des deux).
Du point de vue des ressources humaines, il convient de pouvoir anticiper de telles conséquences, notamment pour ce qui a trait à la perte prévisible de compétences suite à un départ massif en retraite d’assurés âgés concernés par la diminution de leur rente de retraite. Lorsque le plan de prévoyance, et en particulier le choix du taux de conversion, est en partie en mains de l’employeur, cela est plus facile car l’entreprise peut ajuster le calendrier des mesures selon ses besoins prévisibles de main d’œuvre. Il est ainsi possible de favoriser la retraite partielle par des mesures ciblées, ou d’empêcher des départs massifs en proposant une période transitoire d’abaissement du taux de conversion suffisamment longue. C’est beaucoup plus compliqué lorsque les décisions relatives aux prestations sont prises par un organe externe, avec une fenêtre d’anticipation beaucoup plus courte. Dans un tel cas, une résiliation du contrat d’affiliation est toujours possible, mais il n’est pas toujours garanti qu’une solution équivalente à la situation d’avant puisse être trouvée rapidement.