Conseils pratiques

Préparer le mental de l’organisation avant d’initier un changement

L’entreprise est un système vivant. Pour réussir un changement organisationnel, la phase de préparation en amont est essentielle. Un travail collectif complété par une approche ciblée sur 10 à 20% des effectifs permettra d’initier le processus. La transformation collective est d’abord individuelle.

Le niveau de préparation mentale des athlètes de haut niveau n’est pas souvent abordé ouvertement dans les médias, comme si cette facette de l’entraînement cachait les plus grands secrets, les spécificités qui permettent aux gagnants de maintenir leurs avantages compétitifs. Prenez Usain Bolt, Tiger Woods, Roger Federer ou encore Michael Jordan. Il se dégage indéniablement quelque chose de fort, de calme et de profond de ces personnalités. L’immense succès qu’ils ont rencontré n’est évidemment pas le simple fait de leurs aptitudes physiques. Nous parlons bien de force mentale et de sa préparation car ils ne sont pas nés champions.

L’entreprise est également un système vivant. Elle est formée d’une multitude de cellules semblables sans être identiques, les collaborateurs. Ils ont tous des rôles spécifiques. Si nous acceptons le principe que la préparation mentale du sportif est une condition essentielle à son succès, explorons l’idée que la préparation mentale de l’organisation est une condition sine qua non de sa réussite. Nous avons accompagné un grand nombre de managers, d’équipes et de sociétés sur la voie de la transformation et pouvons tirer un certain nombre d’enseignements. L’évolution vers une plus grande agilité organisationnelle nécessite un travail d’alignement collectif sur des sujets clés tels que les mécanismes relationnels, l’importance de l’entraide et la force des complémentarités. Si elle se limite au groupe, la préparation perdra de son impact dès le retour aux impératifs du quotidien. Compléter l’accompagnement collectif par un travail individuel ciblé permettra de modifier suffisamment les composantes du système pour qu’il change de manière durable. Cette étape de développement personnel peut être considérée comme le point de départ de la réussite collective, le socle sur lequel l’équipe parviendra à bâtir son intelligence collective. La transformation collective est avant tout une transformation individuelle.

La routine, tueuse de neurones

Les recherches récentes sur le cerveau démontrent que la routine altère les connections neuronales (voir Jacques Touchon: «La routine, cette tueuse de neurones», Université de Montpellier). La répétition des mêmes tâches, jour après jour, altère les capacités cognitives de l’individu. Ainsi, après plusieurs années de routine, notre cerveau éprouve d’énormes difficultés à gérer la nouveauté tant certaines connexions internes se sont renforcées. Exiger de collaborateurs à qui on a demandé de se conformer à des procédures strictes pendant plusieurs années de soudainement en changer crée une tension interne qui va au-delà de la volonté consciente de la personne. Nous avons accompagné plusieurs personnes qui étaient entrées en résistance suite à un changement. Elles finissaient par saboter leurs relations aussi bien avec leurs managers qu’avec leurs collègues, alors que la cause première de résistance était une incapacité ressentie à envisager une autre manière de faire.

Si le changement nous fait sortir de notre zone de confort, c’est aussi le cheminement naturel qui permet l’apprentissage. Combien de fois avez-vous demandé à l’un de vos collaborateurs de changer de comportement? Et combien de fois avez-vous pu effectivement constater un changement rapide? Pour comprendre le défi, déplacez votre poubelle à papier de gauche à droite et observez-vous pendant une seule journée. Le changement d’habitudes comportementales est difficile, car il n’est pas que le résultat d’une décision consciente. Les recherches montrent que le comportement d’un individu est principalement inconscient. Il est le reflet de la structure neuronale de son cerveau. La bonne nouvelle est que celui-ci est très plastique, c’est-à-dire que la personne peut décider consciemment de développer de nouvelles connexions neuronales. C’est pour ainsi dire une question d’apprentissage. Ainsi, un collaborateur introverti peut décider d’apprendre à améliorer sa prise de parole en public, par exemple au travers d’un accompagnement de quelques séances en changement génératif*. Cet apprentissage peut concerner aussi bien des questions de leadership, d’agressivité, de stress, de confiance, de procrastination, de peur que de réactivité émotionnelle.

Comment insuffler une vision positive

Nous le voyons bien, le changement relève de l’attitude individuelle, à la fois reflet de la pensée consciente et inconsciente de tout un chacun. Il en va de même pour toute organisation. Si vous souhaitez mettre en place un changement, envisagez de commencer par là. Essayez sur vous: êtes-vous prêt à vous remettre en question? Etes-vous d’accord de sortir de votre zone de confort et de partager ouvertement vos doutes, vos envies, vos craintes, vos espoirs, vos limites et vos certitudes? Êtes-vous prêt à développer de nouveaux chemins neuronaux? Lors d’une séance préparatoire avec le Comité de direction du département Finances d’une grande société, le directeur s’est laissé aller à exprimer son ras-le-bol face à l’attitude attentiste et passive de certains collaborateurs. Le terme de «feignasses» est alors lâché et provoque un éclat de rire approbateur de tout le Comité. Cet événement, apparemment anodin et sans importance, révèle pourtant un schéma collectif de pensées. En effet, comment la direction pourrait-elle insuffler une vision positive à une équipe qu’elle ne tient pas en haute estime? Cette prise de conscience est importante car elle indique l’attitude authentique à adopter pour mobiliser ses collaborateurs.

Nous parlons bien d’éléments subtils et intangibles, souvent mal compris et peu valorisés: les facteurs émotionnels de succès (voir l’encadré ci-contre). Ce sont tous ces petits signaux, émis de manière inconsciente par l’un et instantanément décodés par l’inconscient de l’autre. Des éléments comme l’écoute, l’empathie, l’intérêt sincère, l’enthousiasme, l’ouverture, l’appréciation, la confiance etc. en font partie. Ce sont des muscles qu’il est possible d’entraîner, de stimuler et de renforcer. Ils expliquent les raisons pour lesquelles une personne se sent portée par son manager ou fortement déstabilisée par un simple regard du directeur financier alors que ni l’un ni l’autre n’a encore ouvert la bouche. C’est là que nous retrouvons l’essentiel de la préparation mentale au changement. Le travail en groupe crée les conditions d’accomplissement du changement par la prise de conscience des attitudes à développer. L’accompagnement génératif permet de les aborder et de les intégrer émotionnellement. Un travail individuel et ciblé sur 10 à 20% des effectifs est suffisant pour initier le processus collectif de transformation d’une organisation.

Temps psychologique, temps business

Un élément incontournable du changement est le temps. Il y a en effet une grande différence entre le temps business (dimension rationnelle de l’entreprise) et le temps psychologique du changement (dimension émotionnelle des collaborateurs). Notre expérience montre que le temps psychologique donne le rythme du changement. Lorsqu’il est abordé comme une ressource, il en devient une. Démarrer la préparation mentale d’une organisation plusieurs mois avant la mise en place du changement offre une soupape permettant d’absorber l’inévitable phase de régression pour rebondir vers l’expansion.

«Pourquoi est-ce que j’y participerais?», s’écrie un collaborateur. Derrière cette objection au premier abord agaçante, se cache un grand bon sens. Répondre à la question de manière ciblée revient à soulever la question des motivations qu’ont les individus, le groupe et l’organisation à adhérer au projet. Lorsque tous les membres de la direction sont en mesure d’y répondre individuellement, avec leurs propres mots, en exprimant en toute simplicité la même chose, ils portent le sens du projet.


*Le changement génératif a été développé conjointement par le Dr Stephen Gilligan et Robert Dilts, tous deux élèves des légendaires Milton Erickson et Gregory Bateson. L’idée centrale du changement génératif est d’apprendre à activer sa force créative et à dépasser ses propres barrières conscientes et inconscientes.

Les facteurs émotionnels de succès

Lorsque vous observez un iceberg, vous n’en voyez, de prime abord que la partie émergée. Pourtant, il ne vous viendrait pas à l’idée de réfuter l’existence de la glace immergée qui, à elle seule, prend plus de 90% du volume total. Il en va de même pour les facteurs émotionnels de succès. Nous parlons bien d’éléments tels que l’écoute, l’empathie, l’intérêt sincère, l’enthousiasme, l’ouverture, l’appréciation, la confiance etc.. Ces éléments consomment 90% de l’énergie disponible dans l’entreprise, raison pour laquelle il est essentiel d’en comprendre les principes et le fonctionnement.
Par exemple, la loi de l’immatériel pose qu’un élément partagé se multiplie alors que dans le monde matériel un bien partagé se divise. Prenez une pomme et donnez- en la moitié à votre collègue, il ne vous en reste alors qu’une moitié. En revanche, le plaisir de la manger, une fois partagé, s’est multiplié parce que ressenti par les deux. Que se passe-t-il lorsqu’une personne ne se sent pas respectée par son manager et qu’elle le partage avec ses collègues?
Une manière de voir le manquement autrement, et qui change la perception que l’on peut avoir de l’Autre, est de se convaincre que «chacun fait du mieux qu’il peut à chaque instant». Si vous acceptez d’intégrer cette affirmation, vous essayerez de comprendre les raisons qui l’ont poussé à agir de la sorte plutôt que de vous énerver. Cette manière d’aborder l’Autre paraît a priori par trop «subtile». Elle fait pourtant toute la différence car c’est elle, en fin de compte, qui donnera le rythme auquel votre organisation avancera, évoluera et atteindra, ou pas, ses objectifs.

 

commenter 0 commentaires HR Cosmos

Olivier d'Eternod et Maia Wentland sont les fondateurs de Human Venture, une société de conseils RH. humanventure.ch