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Bâtiment et mines: le combat désespéré des ouvriers retraités de Bosnie

"S'il le faut, on mourra pour nos droits", dit Jasmin Arific. Chaque matin, cet ancien ouvrier et ses ex-collègues de la compagnie publique Hidrogradnja, tous sans emploi, se rendent au gouvernement à Sarajevo pour défendre leur retraite.

(ats afp) Hidrogradnja fut un fleuron du secteur des entreprises de bâtiment et travaux publics, un de ces mastodontes industriels sur lesquels était bâtie l'économie yougoslave, employant jusqu'à 4000 personnes.

Mais après la guerre de Bosnie (1992-95), la société a lentement périclité, comme nombre de ces entreprises publiques ruinées par la transition vers une économie privée pour laquelle elles n'étaient pas taillées, mais aussi souvent par la gabegie. En 2016, Hidrogradnja a fait faillite.

Deux ans plus tard, Jasmin Arific et ses collègues, dont huit observent une grève de la faim, réclament toujours leur dû. "Nos cotisations à la retraite n'ont pas été payées depuis 2003 et nous n'avons pas touché 36 mois de salaire", dit cet homme de 51 ans, père de trois enfants chômeurs et étudiants.

Hidrogradnja lui doit 11'000 euros (12'650 francs) d'arriérés de salaire, une fortune pour sa famille qui vit des 205 euros mensuels que son épouse gagne dans un commerce.

Clientélisme

La faillite de 2016 a laissé 600 employés sur le carreau. La petite moitié qui pensait faire immédiatement valoir ses droits à la retraite a réalisé que rien ne serait versé, faute de cotisations.

Le problème est massif: selon les syndicats, entre 50'000 et 65'000 personnes sont concernées, employés actuels ou passés de compagnies publiques, des mines, des hôpitaux ou des transports publics.

Selon l'administration fiscale, les impayés de cotisations sociales s'élèvent à 2 milliards d'euros, soit la moitié du budget public annuel de la Bosnie. Plus de la moitié de cette somme est imputable aux seules compagnies publiques.

Pour Redzo Kuric, un responsable syndical de l'industrie forestière, ces deux milliards représentent "une année entière de pensions" pour les 670'000 retraités du pays. Le non-paiement des cotisations est illégal, mais l'Etat a fermé les yeux pendant des années.

Cette situation arrangeait beaucoup de monde. Selon l'analyste économique Zarko Papic, les partis font embaucher par les entreprises publiques "leurs cadres, militants et électeurs". "Il y a partout plus d'employés qu'il n'en faut. Pour que cela tienne, on ne paye pas les impôts et les contributions", explique-t-il.

La Bosnie, un pays de 3,5 millions d'habitants qui est l'un des plus pauvres d'Europe, compte officiellement 40% de chômeurs. Mais beaucoup travaillant au noir, le taux de chômage réel est estimé à 28% par la Banque mondiale, selon qui un quart de la population vit sous le seuil de pauvreté absolue. "C'est-à-dire qu'ils ont juste de quoi manger", souligne Zarko Papic.

Suicide et colère

La grève des anciens d'Hidrogradnja n'est qu'un exemple. En décembre, le suicide à 55 ans d'un ex-mineur de Zenica (centre), Sefik Sisic, empêché de prendre sa retraite car les cotisations n'avaient pas été versées, selon ses collègues, a déclenché la colère de ceux-ci, qui ont même menacé de s'immoler par le feu dans une maison appartenant à la mine de charbon.

"Sefik ne s'est pas suicidé. Il a été tué par l'Etat", a commenté un analyste politique de renom, Dragan Bursac.

"Ce n'est pas un problème que nous pouvons régler en une nuit, nous avons besoin de patience (...) je supplie surtout les ouvriers de s'abstenir d'actes radicaux", avait exhorté le Premier ministre de l'entité croato-bosniaque du pays, Fadil Novalic.

La mine de Zenica, qui emploie près de 1500 personnes, a accumulé plus de 50 millions d'euros de dettes. Elle ne paye plus de cotisations depuis 2009, selon Tevhid Svriko, parti en retraite en mai, comme une quarantaine de ses collègues. "J'aurais dû recevoir à ce jour huit mois de pension, mais je n'ai encore rien touché", déplore cet homme de 55 ans.

Au bout de plusieurs jours de grève de la faim, les mineurs ont obtenu la promesse que le problème serait réglé.

Mais après cette crise, ce sont les 340 employés d'une aciérie de Zenica, en faillite depuis janvier, qui ont pris le relais de la protestation, bloquant notamment une route nationale, pour réclamer 13 mois de salaire et 15 ans de cotisations.

En attendant une très hypothétique victoire, ils survivent: "Si on prend le petit-déjeuner, on saute le déjeuner et si on déjeune, alors pas de dîner", résume son employée, Fata Imamovic, 56 ans.
 

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Texte: ATS

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