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Débat
Bureau rangé ou encombré?
Willy Knüsel, coach et formateur, estime que les bureaux bien rangés stimulent la performance au travail. Ralf Metz, CEO de Partner bei me & me, préfère laisser la liberté au collaborateur. «Les règlements internes pour maintenir l’ordre dans les bureaux sont contre-productifs», dit-il.
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Pour : Willy Knüsel
Ne comparons pas les pommes avec les poires. J’entends par là: la confusion entre l’efficacité et l’innovation. On entend souvent dire que l’ordre et la structure tuent la créativité. Peut-être. A mon avis, la question est plutôt: «Avons- nous vraiment besoin de créativité pour accomplir des tâches administratives?» Quand je prépare des factures pour mes clients, je n’ai pas besoin d’être créatif. Ce sont plutôt l’ordre et la structure qui vont m’aider à terminer au plus vite sans commettre d’erreurs. En ce moment par exemple, j’écris un article pour HR Today. Sur mon bureau règne un joli chaos: j’ai ressorti plusieurs articles sur le sujet et je les parcours en m’inspirant de réflexions glanées ici et là. Mes pensées se bousculent et je saute d’une idée à l’autre dans un parfait désordre.
Imaginez au contraire un chirurgien qui s’apprête à commencer une opération à cœur ouvert: chaque geste doit être parfait, ses ustensiles sont disposés au millimètre près afin que tout se déroule sans encombre. La créativité n’a pas de place ici. En revanche, quand le chirurgien se retrouve dans son bureau à réfléchir à de nouvelles techniques d’intervention, c’est fort possible que son bureau soit jonché de livres, de dessins et de papiers divers. Retournons au bureau: la créativité sera-t-elle vraiment nécessaire pour un responsable administratif ou un chef de projet qui doit s’assurer des délais et du respect des exigences techniques? Il ou elle aura plutôt besoin d’être concentré et d’avoir une vision globale de la situation. Evidemment, certains métiers nécessitent plus de créativité.
Mais là-aussi, la mise en pratique d’un processus créatif implique une certaine discipline. Si le processus créatif est mal structuré, avec des objectifs peu clairs, l’innovation risque bien de se perdre dans un labyrinthe d’idées avortées et de tâches incomplètes. Ce qui va générer du stress et un sentiment d’impuissance. Ces situations sont courantes et je me demande où se situe la créativité, à qui tout le monde attache une si grande importance dans notre économie de la connaissance.
Il y a quelques années, j’ai rendu visite à un célèbre artiste dans son atelier. Je m’attendais à y trouver un immense «chaos créatif». A mon grand étonnement, j’ai découvert un atelier très bien rangé, propre et où chaque objet avait sa place. Quand je lui ai fait la remarque, il m’a répondu: «Le travail d’un artiste exige d’avoir un objectif précis et de rester très concentré. Comment pourrais-je m’investir pleinement dans ce processus créatif si je devais commencer par nettoyer mon pinceau et retrouver le bon pot de peinture dans le désordre de mon atelier?» Il y a d’ailleurs eu des études qui confirment cette approche. Des personnes assises à un bureau encombré de dossiers et de papiers divers ont mis environ 10 pour cent de temps en plus pour effectuer un test d’intelligence, par rapport au groupe de personnes dont le bureau était bien rangé. Et la psychologie du travail ne dit rien d’autre: les piles de dossiers alignées sur notre bureau sont des obstacles psychologiques qui réduisent notre efficacité et notre efficience!
Contre : Ralf Metz
Au premier abord, les bureaux bien rangés n’ont rien à voir avec le travail en équipe et le développement des compétences collectives. Mais à y regarder de plus près, si. Je vois, grosso modo, deux raisons majeures qui plaident en faveur des bureaux bien rangés. Il y a tout d’abord une exigence liée au service-client: s’assurer que les informations sensibles de la clientèle soient gérées d’une manière optimale. L’autre raison est aussi liée au client: s’assurer que les bureaux que le client risque de voir (front office) soient impeccables. Une troisième raison est apparue avec la pratique de plus en plus courante du desk-sharing.
Alors comment est-il encore possible de défendre le désordre sur la place de travail? Le chef du Adidas Learning Campus a mis le doigt sur ce point sensible dans une récente vidéo: «Les entreprises cherchent à engager des talents. Mais une fois recrutés, ils les traitent comme des enfants en bas âge». Il touche là, à mon avis, à la faille des règlements internes qui imposent l’ordre sur la place de travail. Un tel règlement reflète un management «directif et hyper-contrôlant». L’idée derrière ce style de management est pourtant séduisante. Avec très peu de moyens, il est possible de modifier et de contrôler le comportement des collaborateurs. De plus, les récalcitrants sont vite démasqués. Mais cette idée du «une taille pour tous» ne correspond pas à la diversité humaine. Nous avons au contraire besoin de solutions originales pour chaque individu. Cette approche nécessite la participation des collaborateurs. Car comment un dirigeant pourrait-il connaître ces spécificités sans être à l’écoute? Pensons-nous vraiment que les êtres humains ont besoin d’être encadrés et réglementés dans chaque dimension de leur vie? Pensez-vous vraiment être plus à même de savoir ce qui est bon pour vos collaborateurs qu’eux-mêmes le sont? Et que se passerait-il à l’avenir si nous proposions de discuter et de décider ensemble la ligne de conduite à suivre en entreprise? Les neurosciences ont découvert depuis quelques années que les collaborateurs dont on a demandé l’avis sont plus engagés. De plus, leur sentiment d’appartenance au groupe est renforcé. Mais passer du rôle de suiveur à celui de participant n’est pas si simple. Et il ne suffira pas de le déclarer et de publier un nouveau règlement allant dans ce sens pour y parvenir.
Imaginez que l’entreprise demande à ses collaborateurs: «Comment pourrions-nous économiser de l’espace dans nos bureaux?» Comment réagirait le personnel? Quelles solutions proposerait-il? Sans aucun doute, les idées seraient nombreuses et variées. Ces solutions répondraient en revanche à un besoin de l’entreprise et seraient portées par le personnel.
Avant d’évoluer vers un style de management participatif, il est nécessaire d’installer une culture d’entreprise basée sur la confiance, la communication et la reconnaissance. Une autre option serait d’introduire un règlement sur la propreté des bureaux afin de sensibiliser les collaborateurs à cette problématique. Sans heurter les personnes qui ne se sentent pas concernées par le sujet.