Ce que révèle le choix des femmes et des hommes pour des professions atypiques
Les hommes exerçant des métiers typiquement féminins et les femmes choisissant des secteurs fortement masculinisés présentent des résultats scolaires supérieurs à la moyenne. Les entreprises ont tout à gagner en les aidant à surmonter les obstacles auxquels ils se heurtent.
La responsable du projet Prof. Dr Andrea Maihofer (à g.) avec trois des rédactrices: Dr Nina Wehner, Center for Gender Studies; Dr Karin Schwiter, TREE – Transitions de l’École à l’Emploi, Séminaire de sociologie de l’Université de Bâle et Dr Sandra Hupka-Brunner et Bureau pour l’égalité entre femmes et hommes du canton de Zurich (de gauche à droite). Photo: DR
En principe, en Suisse, tous les métiers sont accessibles aussi bien aux hommes qu’aux femmes. Ainsi, de nombreux jeunes adultes achèvent chaque année un apprentissage dans le secteur commercial ou dans la vente au détail. Cependant, dans de nombreux métiers où se dessine une pénurie de professionnels, la relève est exclusivement fournie par un seul sexe. Les jeunes femmes se spécialisent dans le domaine social et médical, tandis que les jeunes hommes privilégient les formations d’informaticien, d’installateur-électricien ou de polymécanicien.
De même, en 2010, tout juste 14 pour cent d’hommes sont sortis des hautes écoles spécialisées avec un bachelor dans le secteur de la santé. Dans les métiers du secteur technique et informatique, 6 pour cent seulement des bachelors ont été délivrés à des femmes. Une large part de la main-d’œuvre potentielle de ces domaines d’activité reste par conséquent inexploitée, ce qui contribue à la pénurie de professionnels dans ces branches.
Pourquoi les techniciennes et les infirmiers restent-ils si rares?
Le besoin de professionnels dans la technique, l’informatique, la santé et l’enseignement va vraisemblablement continuer à croître. Dans cette optique, il est important de déterminer pourquoi le nombre de femmes reste si faible dans les formations d’informatique ou d’électrotechnique et pourquoi si peu de jeunes hommes optent pour des études d’orthophoniste ou d’employé de santé spécialisé. Dans le cadre du Programme national de recherche «Egalité entre hommes et femmes» (PNR 60), un groupe de chercheurs de l’Université de Bâle (1) s’est donné pour objectif de mettre en lumière les facteurs et les mécanismes sous-jacents à cette ségrégation de genre dans le monde des études et du travail en Suisse.
Le groupe de recherche a étudié à cet effet les cursus de formation de quelque 6000 jeunes. (2) Ceux-ci avaient participé à l’enquête PISA en l’an 2000, à l’issue de leur scolarité obligatoire – soit en principe à l’âge de 16 ans – et ont été régulièrement interrogés depuis au sujet de leur carrière professionnelle. Par ailleurs, 33 personnes sélectionnées, ayant quitté l’école dix ans plus tôt, ont été interrogées sur leurs expériences durant leur formation et dans leur vie professionnelle.
Les personnes exerçant des métiers atypiques ont des aptitudes supérieures à la moyenne
Qui sont les hommes et les femmes qui choisissent des filières de formation atypiques pour leur sexe? Les résultats des études révèlent que ce ne sont pas les écoliers et les écolières les plus faibles qui sont poussés vers des professions atypiques parce qu’ils ne parviennent pas à entrer dans d’autres filières. Bien au contraire: les hommes qui passent un diplôme typiquement féminin ou les femmes qui visent un métier typiquement masculin peuvent fréquemment se targuer de résultats scolaires supérieurs à la moyenne.
Tant en lecture qu’en mathématiques, ces jeunes adultes ont obtenu des résultats sensiblement meilleurs au test PISA que leurs camarades du même âge ayant opté pour des filières typiques de leur sexe. Par ailleurs, ils se distinguent par une efficacité personnelle supérieure à la moyenne. En d’autres termes, ils ont la conviction de pouvoir atteindre les objectifs qu’ils se fixent.
Ces résultats livrent également des enseignements précieux pour les entreprises: en effet, lorsqu’elles embauchent des collaborateurs du sexe sous-représenté, elles n’ont pas à craindre que ceux-ci satisfassent moins bien aux exigences du poste. Bien au contraire, il s’agira très probablement de personnes douées de capacités supérieures à la moyenne. Octroyer volontairement à des candidats masculins des postes (d’apprentissage) dans des secteurs féminisés et envisager davantage de candidatures féminines dans les branches à dominante masculine est par conséquent une stratégie payante.
Obstacle n°1: «Le salaire suffira-t-il à nourrir une famille?»
Comme l’étude le montre également, la fondation d’une famille peut notamment être un obstacle pour les jeunes adultes exerçant une profession atypique pour leur sexe. Les hommes comme les femmes se demandent comment concilier leurs projets familiaux et leur carrière. Plusieurs hommes exerçant une profession typiquement féminine craignent de ne pas gagner assez pour nourrir une famille un jour. Même s’ils adorent leur métier, ils sont en quête d’une activité plus rémunératrice. Un infirmier témoigne: «En tant qu’infirmier, quiconque souhaite fonder une famille est quasiment obligé de suivre une formation complémentaire pour espérer gagner un peu plus d’argent.» Ainsi, les infirmiers interrogés projettent-ils très tôt de quitter leur activité de soins au chevet des malades pour se spécialiser dans l’anesthésie, la formation professionnelle ou la direction d’un institut de soins.
Obstacle n°2: «Se résigner à des postes de moindre valeur à temps partiel?»
Les femmes exerçant des métiers typiquement masculins soulignent en premier lieu la difficulté à concilier leurs futures obligations familiales avec une activité professionnelle où le travail à temps plein est une norme difficile à remettre en question. Elles craignent que la maternité ne leur permette pas de continuer à exercer leur profession actuelle et les contraigne à opter pour des activités moins intéressantes. Si elle demande à réduire son temps de travail pour cause de maternité, une électricienne s’attend par exemple à devoir échanger son poste sur les chantiers contre une fonction moins intéressante à ses yeux, dans les bureaux ou dans l’entrepôt de son entreprise.
De même, une horticultrice explique: «Pour exercer mon métier à temps partiel, je devrais être caissière dans une grande surface de jardinerie. Les autres postes sont généralement à temps plein.» En raison de cette incompatibilité présumée entre la profession et les obligations familiales, les femmes ayant opté pour un métier à dominante masculine sont renvoyées à des activités typiquement féminines au plus tard lorsqu’elles fondent un foyer: l’électricienne quitte le chantier pour le bureau et l’horticultrice devient caissière dans une jardinerie.
Obstacle n°3: «Des métiers qui sont écartés d’office.»
La perspective des difficultés à concilier vie professionnelle et familiale ne se joue pas uniquement au moment de satisfaire réellement le désir d’enfant. Elle peut dissuader d’office de s’engager dans une voie donnée des jeunes présentant pourtant un intérêt ou une aptitude pour des activités atypiques pour leur sexe. Notre analyse a révélé que les femmes qui dès l’âge de 16 ans accordent beaucoup d’importance au fait d’avoir des enfants souhaitent plus souvent exercer des métiers typiquement féminins, une situation qui se vérifie généralement dans les faits sept ans plus tard.
Ces résultats démontrent que, bien avant de choisir leur métier, les jeunes estiment qu’une profession atypique pour leur sexe sera difficilement conciliable avec de futures obligations familiales. Cette vision justifie probablement une grande partie des différences liées au genre dans le monde des études et du travail. Elle fournit une explication fondamentale au nombre toujours aussi faible de polymécaniciennes et d’éducateurs de jeunes enfants. Du point de vue des entreprises, cela signifie que le potentiel de jeunes talents présentant un intérêt pour une profession atypique de leur sexe demeure largement sous-exploité.
Aider les jeunes talents à surmonter les obstacles
Le problème de la conciliation entre activité professionnelle et vie familiale est connu. Beaucoup d’entreprises ont déjà entrepris des efforts considérables pour améliorer la cohabitation entre vie privée et travail. Jusqu’à présent, les efforts ciblaient avant tout les femmes. Le présent projet de recherche fait néanmoins le constat essentiel que le problème de la conciliation vie privée/vie professionnelle peut constituer un obstacle pour les femmes et pour les hommes, notamment lorsqu’ils exercent une activité professionnelle non typique de leur sexe.
Si les hommes doivent combler le déficit de professionnels dans les hôpitaux, les établissements médico-sociaux et les jardins d’enfants, une revalorisation des salaires de ces métiers est incontournable. De même, si l’on veut attirer un nombre croissant de femmes dans les filières informatiques et techniques, il ne suffit pas de leur proposer des postes à temps partiel sous forme d’emplois peu exigeants, assimilables à des voies de garage.
Le défi pour les responsables des ressources humaines consiste à ouvrir l’organisation du travail et la rémunération – dans tous les secteurs et pour tous les profils d’activité – à divers projets de vie, indépendamment du fait que ce soient des femmes ou des hommes qui assurent la subsistance financière du foyer ou s’occupent de la famille. Ceci permettrait aux entreprises non seulement de développer la diversité au sein de leurs équipes, mais aussi de séduire des professionnels talentueux.
(1) Manfred Max Bergman, Éveline Huber, Sandra Hupka-Brunner, Shireen Kanji, Andrea Maihofer, Karin Schwiter et Nina Wehner. (http://genderstudies.unibas.ch/forschung/ forschungsprojekte/geschlechter-ungleichheiten- in-ausbildungs-und-berufsverlaeufen)
(2) Notre analyse se base sur les données de l’étude longitudinale nationale TREE (www.tree-ch.ch), qui porte sur les parcours de formation et les parcours professionnels des jeunes. L’échantillon de TREE comprend environ 6000 jeunes qui ont participé à l’enquête PISA (Programme for International Student Assessment) en 2000 et ont terminé l’école obligatoire la même année (moyenne d’âge de 16 ans). Huit volets d’enquête complémentaires ont été menés depuis lors, dont le dernier s’est déroulé en 2010. Cet échantillon est représentatif tant sur le plan national qu’au niveau des régions linguistiques.
PNR 60
Cette étude fait partie du Programme national de recherche «Egalité entre hommes et femmes» (PNR 60). Les chercheurs et les chercheuses du PNR 60 étudient les causes des inégalités qui subsistent entre femmes et hommes en Suisse. Dans le cadre de 21 projets, ils réunissent des connaissances fondées sur tous les aspects essentiels de la société. Leurs recherches s’articulent notamment autour du monde du travail, des chances de formation et de carrière, ainsi que des familles et des ménages privés. Le PNR 60 est mené par le Fonds national suisse sur mandat du Conseil Fédéral.