Ce sont les gens qui font la boutique!
Le succès et la réputation d’une entreprise repose exclusivement sur les personnes qui l’incarnent et la font vivre au quotidien. L’entité «entreprise» elle-même ne fait rien du tout!
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Tout directeur que je suis, je n’en reste pas moins un humain et, à ce titre, un travailleur comme un autre. J’ai besoin de savoir pourquoi je me lève chaque matin, d’engranger régulièrement des satisfactions et de disposer d’une marge de manoeuvre dans la façon d’accomplir ma mission. Rien ne m’indispose plus que l’absence de confiance, la mesquinerie et l’ingérence perpétuelle.
J’aime qu’on me donne un cap à tenir, des valeurs à respecter, puis qu’on me fiche la paix jusqu’au compte-rendu des résultats. Dans mon rôle de manager, j’évite d’infliger à autrui ce que je n’aimerais pas qu’on me fasse. Avec mes équipes, j’applique le style de management que je souhaite avoir pour moi-même. Ça tombe bien, parce que je n’ai pas la moindre vocation de garde-chiourme. Le contrôle est dénué d’intérêt, c’est une perte de temps qui consiste à enquiquiner une majorité de gens qui bossent bien, dans l’espoir de se prémunir d’une infime minorité de passagers clandestins. Souvent en pure perte, d’ailleurs. Je préfère prendre le risque de devoir exceptionnellement remettre une pendule à l’heure que de m’embêter à surveiller sans cesse une collection de coucous ponctuels.
À trop vouloir tout maîtriser (quelle illusion!), tout quantifier, mesurer, objectiver et réglementer, je crois que le monde du travail a perdu de vue l’essentiel. Sa quintessence, ce sont des hommes et des femmes. Des êtres humains, avec toute leur part d’imprévisibilité. Et c’est justement tout ce qui les différencie d’une machine qui les rend irremplaçables.
La magie, le merveilleux, l’extraordinaire que l’on rencontre dans une entreprise relève exclusivement de l’humanité. Nous avons tort de vouloir absolument dompter l’immatériel. Souvenons-nous que la pénicilline a été découverte accidentellement. Si Fleming avait appliqué un strict contrôle de qualité, il n’aurait rien trouvé du tout. Rien n’est plus gratifiant que de voir émerger des talents autour de soi, d’apporter modestement un peu d’eau et d’engrais là où c’est nécessaire et, surtout, de veiller à leur laisser assez de lumière pour pousser. Mon jardin créatif à moi, c’est le terreau humain.
Mon ambition du moment est que «ma» banque régionale soit une entreprise libérante, organisée de façon à encourager l’autonomie et la responsabilité. Le domaine bancaire est fortement réglementé. Ces normes-là ne dépendent pas de nous. Il y a tout un pan de notre activité où nous ne pouvons pas décider de faire autrement. En revanche, dans tout ce qui relève de notre cuisine interne, nous voulons enlever tout ce qui – au mieux – ne sert à rien ou – au pire – met des bâtons dans les roues de celles et ceux qui aiment leur boulot et ont envie de travailler. Le mieux étant l’ennemi du bien, nous avons je crois une fâcheuse tendance à nous compliquer la vie, en empilant les directives, les règlements et les notes internes.
Nous voulons moins de hiérarchie, plus d’interaction, moins de cloisons et plus d’échanges. Nous voulons nous concentrer sur le sens, le «pourquoi» de notre activité, et laisser chacun s’en emparer, le faire vivre et décider du «comment».
Nous préférons l’adjectif «libérante» en lieu et place de «libérée», car il met l’accent sur le processus, sur la philosophie, et non sur le résultat. Celui-ci sera forcément évolutif et dépendra de ce que nous inventerons collectivement. Je crois à la force de l’équipe et je pense qu’un fonctionnement participatif offre plus de proximité, de réactivité, d’agilité et d’ingéniosité.
Cette approche est une façon de rendre à César ce qui lui appartient. Le titre de cet article «Ce sont les gens qui font la boutique» est l’une de mes devises favorites. Parce qu’être patron, ce n’est pas faire ou ordonner, mais donner envie et laisser de la place.