«C’est le collectif qui fait le succès d’une entreprise, qu’elle soit à but commercial ou pas»
Fondateur et président de l’événement culturel «Tous en Chœur», Pierre Smets détaille ici la mécanique humaine et bénévole derrière ce concept unique en Suisse.
Capture d'écran: tousenchoeur.ch
«Bénévolat: cet engagement en faveur de la vie en société est fortement marqué dans la tradition helvétique même si on le dit aujourd’hui menacé. Combien de clubs sportifs, d’associations à but humanitaire, d’événements culturels existent grâce à des femmes et des hommes dont la passion est l’unique moteur? «Tous en Chœur» est de ce tissu-là. Ce concept unique en Suisse rassemble chaque année plus de 200 choristes romands qui pendant cinq mois répètent un concert-création qu’ils partagent pendant trois soirs en décembre avec un artiste reconnu dans le prestigieux Auditorium Stravinski, à Montreux. Parmi les chanteurs qui ont participé, citons Francis Cabrel, Laurent Voulzy, Maurane ou encore Bastian Baker. Autour des choristes, une équipe efficace s’affaire pour installer et nettoyer les lieux de répétitions, servir les repas, repasser les tenues de scène, écouter, rassurer, transporter et bien d’autres tâches encore. Ainsi, entre septembre et décembre, c’est à chaque fois une troupe de près de 300 personnes qui se met en marche. Le comité, bénévole lui aussi, gère à l’année finances, recherche de sponsors, promotion et communication, bref, autant de postes que l’on trouve dans le monde professionnel.
Quelle est alors notre motivation? Elle repose sur un seul mot: «Ensemble». Jacky Locks, notre directeur artistique, a d’ailleurs un leitmotiv: «Tout le monde est important, personne n’est indispensable». En clair, c’est le collectif qui fait le succès d’une entreprise, qu’elle soit à but commercial ou pas. Comment embarque-t-on nos amis, collègues, relations dans notre univers? Comment prévient-on l’incompréhension qui peut générer la frustration? Voilà tout un art. Et le côté bénévole de «Tous en Chœur» m’a appris à guetter le moindre signe de relâchement. En effet, l’engagement désintéressé peut être le bon prétexte pour revendiquer une absence, une faiblesse, un manquement. J’ai toujours contesté ce rapprochement. Le bénévolat n’induit pas l’approximation. On peut avoir l’ambition de la perfection!
Mais ne soyons pas naïfs, celle-ci devient rare dans notre société actuelle. Sa réalité est conditionnée à deux paramètres. 1) La juste perception du travail à fournir et son utilité par l’employé et 2) La reconnaissance du travail accompli par l’employeur.
Dans le bénévolat, ceci est primordial sachant que l’engagement n’est motivé par aucun salaire et la relation cadrée par aucun contrat. Un constat fort: au sein de l’association «Tous en
Chœur», nous avons par le passé eu des personnes qui sous couvert du collectif ont tenté de profiter de notre organisation pour assouvir leurs ambitions personnelles: recherche exacerbée de reconnaissance, incapacité de se fondre dans un groupe, à déléguer et, au final, perte de maîtrise dans la réalisation des tâches. Rarement cependant, le comité a dû exiger le départ d’une personne. Celles qui ont quitté notre association l©ont fait de manière volontaire. La réalité du collectif est tellement forte qu’elle prive les individualistes de la place naturelle qu’ils recherchent. Formidable système immunitaire!
Depuis quatre ans, le 98% des bénévoles qui reviennent d’une année à l’autre pour toutes les tâches de logistiques sont exactement les mêmes! En 10 ans d’existence du concept, je me plais à croire que c’est signe de bonne santé et que chacune, chacun se sent utile et s’épanouit.
Pourquoi dès lors ne pas avoir la même ambition dans le monde professionnel? Pour toutes celles et ceux qui ont eu l’opportunité de choisir leur métier, en tous cas. Notre ère nous montre trop d’employés «hors sol», déconnectés de leur entreprise, sans plus aucune compréhension de leur métier. Bien sûr le monde de l’économie tel qu’on le voit aujourd’hui porte une lourde responsabilité. La pression du résultat nous conduit à «gagner du temps» en faisant l’économie d’un relationnel constant, et non virtuel, avec son environnement. Il est grand temps de remettre l’humain au centre de nos préoccupations pour le reconnecter à son univers personnel et professionnel.»