Changer le comportement d’un cadre: les solutions du marché suisse romand
Le manager doué techniquement mais analphabète des relations humaines: un casse-tête classique de la vie en organisation. Pour corriger le tir, les responsables RH de Suisse romande ont le choix entre plusieurs types d’accompagnement et de formation. En voici une vue panoramique avec les avantages et inconvénients de chaque modèle.
Photomontage: Ulrike Kobelius
Comment agir sur un cadre dont le comportement ne convient plus vraiment à la culture d’entreprise ou aux nouveaux objectifs? C’est l’exemple du manager trop autoritaire qui dispose néanmoins d’un excellent réseau commercial. Les approches à disposition des responsables en ressources humaines sont souvent plus étendues que supposé, notamment dans les domaines de la formation ou de la form’action.
Les solutions usuelles - les séances bilatérales avec recadrage, l’entretien d’appréciation anticipé, voire même l’avertissement – sont souvent peu appropriées, surtout si la personne en question conserve la confiance de sa hiérarchie et dispose d’une expertise professionnelle à laquelle l’employeur ne souhaite pas renoncer.
Le coaching individuel et le moulinet d’un assessment
Le réflexe premier dans les institutions bénéficiant de moyens financiers sera de recourir à un coaching individuel. Certes, c’est une méthode efficace mais elle va énormément dépendre de la qualité du coach retenu.
Et en Suisse romande, la qualité professionnelle des indépendants se réclamant de ce profil reste très variable. De plus, un coaching dont le but est de véritablement changer le comportement d’un cadre exigera un effort soutenu. Avec plusieurs séances à des tarifs horaires variant souvent entre 220 et 400 francs, le mandant verra rapidement sa facture passer à quelques milliers de francs, sans compter le temps passé à sélectionner et briefer le coach.
Autre solution souvent retenue: l’assessment. La méthode consiste à mettre le cadre sous tension en l’exposant à plusieurs mises en situation de management délicates. Les observateurs présents espèrent ainsi révéler les schémas comportementaux du cadre et en déduire ses capacités, voire ses valeurs professionnelles. La quinzaine de cabinets spécialisés en Suisse romande ont en général une expertise reconnue et appréciée.
Le risque des assessments réside plutôt dans le peu de soin investi dans les mises en situation pour s’adapter aux compétences requises par le mandant. Pour réduire les coûts, les cabinets ont tendance à réutiliser toujours les mêmes exercices et donc à appauvrir la pertinence du bilan final. Côté prix, un assessment complet coûte souvent 5 à 10 000 francs par participant. Et ceci sans compter le programme individuel de formation venant à la suite. L’autre désavantage de l’assessment est de nuire considérablement à la confiance du cadre si ce dernier est mal évalué.
Formation: aller au-delà du cours traditionnel de 3 à 5 jours
D’autres approches sont à chercher du côté de la formation, souvent méconnues car moins familières. Evidemment, il s’agit d’aller au-delà du cours traditionnel de trois à cinq jours, insuffisant en termes de durée, d’intensité et d’implication: qu’espérer d’un cadre restant plus de 90 pour cent du temps en mode «participant cognitif... souvent passif...»! Des cours où souvent, au mieux, il ne participera qu’à une mise en situation légèrement impliquante au niveau de ses émotions et de son corporel, ce qui n’est évidemment pas suffisant pour changer durablement des comportements managériaux.
En Suisse romande, les filières comportementales longues sont peu nombreuses. IMD ou CRPM restent dans des approches classiques du leadership. Les exceptions sont internes à des grandes entreprises, donc méconnues du grand public. Sous le nom de «management development», «development center», ou plus ciblées: «behaviouring school» ou «camp d’entraînement», leurs durées sont variables, en général comprises entre 10 et 20 jours à la suite ou réparties sur 12 à 18 mois.
Dans le secteur public, ce sont les HES qui tiennent le créneau. A titre d’exemple, dans le cadre de son pôle «facteur humain», la HEIG-VD offre un Master of Advanced Studies (MAS) dédié aux intangibles de l’entreprise et intitulé «Human System Engineering» qui, par une approche systémique et très différente des MBAs, aide à déclencher de nouveaux comportements en entreprise. Suivi en entier, l’effort pour le participant et son employeur sont cependant conséquents: plus de 60 jours de cours, près de 2000 heures de travail et un coût de plus de 25 000 francs.
Nouveau CAS à la HEIG-VD avec programme d’entraînement
Depuis 2010, la HEIG-VD (en collaboration avec le soussigné) propose aussi un nouveau Certificate of Advanced Studies (CAS) d’entraînement managérial basé sur un cursus de dix-huit jours où l’entraînement de multiples mises en situations interpersonnelles est au cœur de l’apprentissage (www.cas-emc.ch).
A l’image d’un sportif ou d’un musicien, le manager devra se fixer des objectifs de progression pour développer des compétences de communication managériale dites intégrées: savoir s’adapter, s’ancrer corporellement, se référer à une vision et oser décider. Il s’agit d’un modèle de compétences visant aussi à gagner de la confiance en soi et développer le capital confiance chez autrui. Le prix, sans options de coaching, démarre à 8150 francs.
Avec des dimensions moins comportementales, on peut encore citer d’autres CAS comme Leadership Transformationnel de la HEG de Genève ou le cours intercantonal Manager Public Vecteur du Changement organisé par le CEP (Centre d’éducation permanente) et qui est actuellement en phase de refonte. Toute autre est l’approche Seitenwechsel, mise en œuvre en Suisse romande par la fon-dation Transfaire.
Le principe est le suivant: un cadre va aller travailler dans un environnement opposé au sien pendant une semaine. Une experte en gestion de fortune ira par exemple dans un asile de réfugiés ou dans un foyer pour handicapés et vice versa. L’impact est garanti et reconnu par les rares participants ayant pu bénéficier de cette méthode, plutôt prisée par les grandes entreprises.
Reste à savoir si la nature du changement est maîtrisable à l’avance… Le coût est également important: environ 4000 francs par personne. L’«assignement» est une version plus classique de changement provisoire de contexte professionnel: prise de responsabilités nouvelles dans une culture de travail différente, souvent dans un pays étranger.
Lourd et complexe à organiser, l’impact est également fort mais cela reste plutôt l’apanage des multinationales. Un cas public connu et souvent cité est celui du cadre d’une grande banque suisse qui était venu reprendre en main les questions financières d’Expo 2002. A entendre, son témoignage, l’expérience fut très riche et impactante sur sa manière d’appréhender des équipes de projet non bancaires.
Les avantages et les risques du modèle collectif: le teambuilding
S’il est compréhensible de penser initialement à une solution individuelle pour supprimer les comportements non désirés d’un cadre, une solution plus collective peut s’avérer très puissante. Dans le modèle collectif, la prise de conscience des comportements et les retours seront beaucoup plus étendus et cumulatifs.
Le groupe va également mieux comprendre certains besoins, schémas ou valeurs du cadre en formation. Cela aura l’avantage que l’ensemble de l’équipe va aussi changer ses modes de faire et de réagir. Mais attention! Piloter de tels séminaires exige beaucoup de doigté, de rigueur intellectuelle et une grande dose de professionnalisme. Sinon, le risque est de générer des tensions supplémentaires et l’opération s’avérera déstabilisante.
Un projet crédible de teambuilding ou de coaching d’équipe, avec ou sans profil de personnalité ou 360°, est souvent dimensionné avec des journées de suivi: par exemple, deux jours d’affilée puis 2 à 3 journées de suivi isolées, à un rythme d’un mois d’intervalle. En fin de compte, à des tarifs journaliers de 2000 à 3000 francs pour le coach ou le formateur, le total avec les frais annexes approchera ou dépassera les 10 000 francs.
Généraliser ce type d’approche plus collective revient à introduire à une échelle limitée des concepts d’entreprise apprenante: faire en allant, «learning by doing». Si ces approches sont généralisées, on engagera alors plutôt un chef de projet qui devra détenir de multiples compétences pour catalyser les nouveaux fonctionnements et comportements attendus: debriefer ensemble, construire collectivement, faire émerger de nouvelles attitudes de communication, etc.
Certains auteurs parlent alors de mettre en place une «hygiène relationnelle» au sein d’une équipe ou d’une institution. A l’image de certaines de nos propres activités de santé, l’équipe va régulièrement prendre du temps pour s’occuper de son «état du relationnel».
Concrètement, cela peut être une heure par semaine pour se dire les choses en face et en attitude bienveillante: ce qui a été bien ou mal ressenti; ce qui est sur la bonne voie et en progression observable. En Suisse romande, un des seuls cabinets spécialisés dans de tels processus interpersonnels intégrant notamment aussi les techniques de psychodrames est l’institut ODEF à Genève.
En fin de compte, chaque responsable RH devrait aussi se rappeler qu’une des méthodes les plus efficaces est d’apprendre à son personnel à se donner régulièrement du feed-back. Avantage important: cela demande moins d’investissement financier en cash.
Mais cela exige de passer certains «tabous» sur la place accordée à la communication managériale dans l’entreprise et de prendre du temps «collectivement» pour ce feedback. Bénéfices assurés! Encore faut-il avoir appris à bien recevoir un feedback, le donner et aller le chercher...