La chronique

Comités d'indécision

Peut-être l’avez-vous observé? Sans doute en avez-vous déjà souffert? Comment donc peut-on expliquer que des personnes matures et responsables, éduquées et avisées, habituellement formées et informées, se réunissent pendant des heures et parfois à de multiple reprises, pour décider ensemble... sans y parvenir sereinement ni durablement!

Après des heures parfois d’arguties pesantes ou de négociations éprouvantes, après des logorrhées pénibles et de lourds silences, lorsqu’enfin s’esquisse un – médiocre – compromis, cette amorce de décision se voit souvent torpillée par celui qui dénonce «un consensus», toujours abusivement qualifié de «mou».

Un de mes professeurs de droit, qui se voulait aussi économiste, enseignait jadis que l’entreprise était une «communauté artificielle, réunissant en son sein des intérêts catégoriels ou individuels divergents, au service d’un intérêt global convergent». Je redoute qu’il ait ainsi légitimé des comportements illégitimes.

Dans de nombreux Comités de Direction, j’observe des assemblées d’experts (financiers, commerciaux, des RH ou de la production), trop médiocrement désireux de décider ensemble. Baronnets sans titre, ils se comportent en animaux solitaires, principalement soucieux de leur territoire particulier et de leurs privilèges. Petits prédateurs piégés par leurs peurs ou leur avidité, ils ignorent les immenses bénéfices d’un intérêt supérieur partagé. Leurs assemblées ressemblent à Verdun – la poudre à canon en moins – avec d’identiques cohortes de victimes. Et si d’aventure un embryon de décision émerge, imposé par la nécessité ou par un Président, certains irresponsables sortiront de cette séance transmués en avorteurs décisionnels, ruminant in petto: «Ils ont décidé que... mais moi je pense que...». D’autres enfin parviennent laborieusement à décider ensemble, mais plusieurs fois en quelques semaines, sinistres girouettes ballottées dès la moindre objection contraire.

D’escaliers en ascenseurs, cette peste de la division et de l’indécision va contaminer tous les étages de l’entreprise, égarant peu-à-peu chacun dans les sous-sols obscurs de la démotivation, bastion solitaire de la défense d’intérêts égoïstes. Alors, que faire?

Peut-être pouvons-nous commencer par promouvoir hardiment un nouveau référentiel? L’entreprise n’est pas une arène, mais bien une communauté vivante de personnes géniales et imparfaites, œuvrant ensemble pour créer ensemble un Bien Commun! Et ce Bien Commun, c’est une valeur ajoutée à partager. Humaine, sociale, culturelle, amicale, intellectuelle ou matérielle, écologique, ludique, esthétique, nourricière, économique, informative... celle-ci n’est jamais premièrement financière, ni réservée aux seuls actionnaires.

Exit donc les prédateurs, les spoliateurs et les spéculateurs de toutes écailles, monstres d’égoïsme et d’inconséquence, pour lesquels un Bien Commun n’existe que pour être dévoré, sans limite ni partage. C’est le deuxième mouvement d’une très actuelle symphonie pour un nouveau monde: partout se créent des entreprises où tous (dirigeants, salariées, actionnaires, clients, fournisseurs, partenaires...) contribuent ensemble! Favorisant les altruistes, s’initiant au vrai management, rejetant l’instrumentalisation de l’homme par l’homme, les pyramides toxiques ou les dogmes méprisants, ces entreprises inventent notre futur.

La troisième mesure de cette universelle mélodie consiste en la désintoxication progressive des contributeurs potentiels, de leurs croyances ineptes ou dangereuses, inoculées pendant des formations pontifiantes ou chez des employeurs venimeux. Rien donc désormais de plus essentiel et de plus délicat qu’un recrutement, de l’administrateur au client: il me semblerait même judicieux, dans certains cas de rétablir – par prophylaxie – des quarantaines...

La claire réalité au sein d’une entreprise, réunie pour créer un Bien Commun à partager, où chacun travaille selon ses capacités et reçoit en partage selon ses besoins et ses mérites, voilà ce qui unit, réunit, fait adhérer et motive. Les vraies décisions, humaines, courageuses, puissantes et durables se fondent invariablement sur ce Bien Commun, à construire ensemble, chaque jour.

commenter 0 commentaires HR Cosmos
Xavier Camby est Directeur du cabinet Essentiel Management, qui forme les dirigeants à la gouvernance du futur, et auteur de «48 clés pour un management durable».
 
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