La chronique

Comment fabriquer un saboteur

Le sabotage en entreprise prolifère. Parfois volontaire et relayé alors par la presse ou bien enflammant les réseaux sociaux, il est constaté a posteriori, lorsque ses dommages sont devenus aussi publiques qu’irrémédiables. Cependant, comme pour un iceberg, la partie émergée du sabotage, même spectaculaire, est sans doute la moins destructrice. Invisible, insidieux ou habilement dissimulé, il est massivement polymorphe, variable et masqué, actif ou passif, inconscient ou délibéré. Toujours pourtant il se reconnaît à la grave destruction de la valeur ajoutée, qu’en entreprise nous nous efforçons de créer. La recette pour engendrer un saboteur est simple.

Prenez tout d’abord un collaborateur sain. Il aime son travail et ses collègues. Il connaît l’utilité (humaine, sociale, culturelle, économique, financière...) de son labeur, se montre fier du résultat de celui-ci et rentre chaque soir chez lui, heureux de sa légitime fatigue physique.

Entamons la destructrice métamorphose. Versez-lui dans le cœur et l’intelligence, avec les meilleures des bonnes intentions, un subtil poison: demandez-lui régulièrement de plus en plus d’indicateurs de performance ou de résultat et obligez-le à encadrer son travail de toujours plus nombreuses normes, procédures et méthodes. «La délégation n’exclut pas le contrôle», répétait un leader de génie surnommé Lénine. Peut-être. Mais la vraie confiance, quant à elle, si! En son principe même, toute véritable confiance exclut le contrôle. C’est du bon-sens et le fondement même de toute réelle pédagogie. Plus donc vous renforcez le contrôle, plus vous entamerez sa perception de la confiance reçue. Et comme celle-ci est réciproque par essence, un premier malaise («ils» ne me font pas confiance) se transformera rapidement en méfiance ou en défiance de sa part, à votre encontre. Vous en doutez? Posez-vous loyalement la question: faites-vous vraiment confiance à quelqu’un qui se défie de vous?

Le décor est planté. Poursuivons. Ajoutez alors une louche de vexation, à caractère émotionnel. Prétendez savoir ce qui est bon pour lui sans le consulter, faites semblant de l’écouter lorsqu’il vous parle (vous avez mieux à faire, notamment à préparer déjà votre réponse), interrompez-le souvent ou interrompez-vous lorsqu’il rejoint un groupe au sein duquel vous parlez, différez vos rencontres prévues et oubliez parfois de l’informer d’une décision le concernant. Ergotez, argumentez, objectez autant que possible: il importe qu’il comprenne bien qu’il a tort, puisque vous avez raison. Mais surtout, négligez absolument ses éventuelles objections et de solliciter ses avis. Si vous omettez avec persévérance de lui permettre de communiquer avec vous, il s’abstiendra bientôt de collaborer avec vous.

La défiance se mélange désormais au mépris. Achevons. Saupoudrez le tout d’un peu de constante injustice: vantez devant lui les mérites de ses collègues, mais ne reconnaissez pas les siens. Efforcez-vous de relever chacune de ses limites sans célébrer jamais aucune de ses victoires, notamment lors de ses évaluations périodiques, unilatérales.

Bravo! Vous avez créé un saboteur au travail. Bien sûr que désormais démotivé, il ne fera que le minimum, de sorte d’être seulement irréprochable. Bien sûr qu’il découragera patiemment ses collègues, quoique vous fassiez ou disiez. Mais surtout, il retiendra chacune des informations qui pourrait vous être utile, ne vous préviendra d’éventuels risques que bien trop tard, veillant à ce que votre responsabilité soit entièrement exposée. Bien sûr qu’il ne manquera pas de noircir votre réputation (vous le méritez bien) en lançant des rumeurs et vous livrant à une médisance qui vous suivra alors partout. Bien sûr qu’il réservera chacune de ses bonnes idées, pour éviter que vous en profitiez éventuellement et que la qualité de service ne sera plus son affaire de même que la satisfaction de ses clients, internes ou externes, sera devenue le dernier de ses soucis. Il vous reste encore à courir vers votre HR Business Partner, pour l’informer qu’en dépit de votre management ultra bienveillant, un saboteur s’est infiltré dans votre équipe!

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Xavier Camby est Directeur du cabinet Essentiel Management, qui forme les dirigeants à la gouvernance du futur, et auteur de «48 clés pour un management durable».
 
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