Droit et travail

Contrats-type de travail: ce qu'il faut savoir

Il existe dans certains secteurs d'activité des contrats-type de travail. Ils s'appliquent en général à des professions non syndiquées pour parer à une sous-enchère salariale. Explications

La dénomination même de «contrat-type de travail» (CTT) pourrait logiquement faire penser qu’il s’agit d’un contrat de travail particulier ou même d’un modèle de contrat. Mais il n’en est rien. Le CTT est en réalité un ensemble de normes édictées par l’État: le Conseil fédéral est compétent pour édicter des CTT valables pour plusieurs cantons, et les cantons (en général le gouvernement cantonal) sont compétents pour en édicter sur leurs territoires respectifs. Il faut donc interpréter les CTT comme des lois. L’État peut ainsi intervenir, moyennant le respect de certaines conditions, dans des secteurs professionnels dans lesquels la position des travailleurs pourrait être menacée, souvent parce que la loi fédérale sur le travail (LTr) ne leur est pas applicable. Le Conseil fédéral ou les autorités cantonales sont en principe libres d’édicter des CTT dans les domaines qu’ils jugent nécessaires, sous réserve de deux exceptions: les cantons sont tenus d’édicter des CTT dans le secteur de l’agriculture et dans celui de l’économie domestique.

La procédure d’adoption

Avant d’être édicté, le projet de CTT doit être publié d’une manière suffisante, avec indication d’un délai pendant lequel quiconque justifie d’un intérêt peut présenter des observations par écrit. De manière générale, il est admis que les organisations de branches voisines ou celles d’un autre canton, dont l’activité pourrait être touchée, même indirectement, en fonction de certains critères retenus dans le CTT, puissent prendre position. Des associations de consommateurs pourraient aussi faire valoir leur point de vue, si les conditions du CTT pouvaient influer sur les prix de certains produits.

La publication doit se faire au moins dans la Feuille fédérale, pour ce qui est des CTT fédéraux, et dans le journal officiel du canton où sont également publiées les lois cantonales. Une fois la procédure terminée, le texte définitif et son entrée en vigueur doivent aussi faire l’objet d’une publication. L’autorité peut aussi décider d’apporter des modifications à un CTT existant ou encore envisager de l’abroger: la procédure est alors identique à celle de l’adoption d’un nouveau CTT.

Le contenu

Alors même qu’un CTT est édicté par l’État, il n’en contient pas moins des règles de droit privé. Ainsi, la violation d’une disposition contenue dans un CTT doit être invoquée auprès des tribunaux civils, souvent d’ailleurs devant les juridictions particulières mises en place pour les litiges en matière de droit du travail (telles que les tribunaux de prud’hommes). Les CTT règlent notamment la durée du travail et du repos et les conditions de travail des travailleuses et des jeunes travailleurs, mais dans la plupart des cas aussi des questions telles que les salaires minimaux, le droit aux vacances, le temps d’essai, les délais de congé, la prise en charge du salaire en cas d’empêchement de travailler, etc. En revanche, il existe tout de même une limitation en ce sens que, comme pour les conventions collectives de travail, le droit impératif de la Confédération et des cantons l’emporte. Des dérogations ne sont donc possibles que pour autant que le droit impératif ne s’y oppose pas.

Les effets

Un CTT s’applique directement aux rapports de travail qu’il régit. Cela étant, il prévoit souvent que les accords dérogeant à certaines de ses dispositions doivent être passés en la forme écrite. Peu importe que les parties aient intégré ou non le CTT dans leur contrat. Il s’appliquera de manière immédiate et directe même si les parties n’avaient pas connaissance de son existence. À défaut d’un accord écrit contraire entre les parties, le CTT s’appliquera dès son entrée en vigueur aussi aux rapports de travail déjà existants. Si les parties entendent déroger au CTT, il est vivement recommandé de prévoir des règles claires et non équivoques à ce sujet. Il est ainsi recommandé aux parties qui décideraient d’exclure totalement l’application du CTT de prévoir d’autres règles sur les points traités par le CTT ou alors de renvoyer à des dispositions précises, par exemple à un règlement du personnel. Cette précaution ne pourra que faciliter la preuve de la dérogation à tout ou partie du CTT. Si les parties ne dérogent qu’à un ou à quelques points seulement du CTT, les autres dispositions demeurent valables. Dans la majorité des cas, le CTT possède, comme une loi, une durée indéterminée et déploie ainsi ses effets jusqu’à ce que l’autorité le modifie ou l’abroge.

Le champ d’application

Le CTT possède toujours un champ d’application géographique. Ce sera en général toute la Suisse lorsque le Conseil fédéral ne prévoit pas de manière expresse que le champ d’application est limité à certains cantons. Lorsque c’est une autorité cantonale qui édicte un CTT, le champ d’application est en général l’entier du territoire cantonal en question. Enfin, le CTT doit délimiter de façon détaillée la branche ou les branches économiques qu’il recouvre, de même que les catégories de métiers entrant dans son champ d’application, qui peuvent être restreintes. Il peut arriver qu’il y ait collision entre un CTT et une convention collective de travail, étendue ou non. Dans une telle situation, c’est généralement la convention collective de travail qui prime.

Les contrats-type de travail contraignants

À l’occasion de l’entrée en vigueur de l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) CH/ UE-AELE, la priorité de recruter des travailleurs sur le marché du travail suisse a été abolie, tout comme a été aboli le système de contrôle a priori des conditions de travail et de rémunération. Dans le but de lutter contre d’éventuels risques de dumping social ou salarial au détriment des travailleurs résidant en Suisse, les Chambres fédérales ont alors élaboré des mesures dites d’accompagnement par le biais de la loi fédérale sur les travailleurs détachés. Cette nouvelle loi a entraîné aussi quelques modifications du Code des obligations, qui permettent de fixer des salaires minimaux contraignants par le biais de CTT, sur proposition des commissions tripartites mises en place afin d’observer le marché du travail. Si une commission tripartite en arrive à constater des sous-enchères salariales abusives et répétées, elle pourra, après avoir vainement tenté de trouver un accord avec les employeurs concernés, et pour autant que la branche ne soit pas régie par une convention collective, proposer à l’autorité compétente l’adoption d’un CTT contraignant sur la question des salaires minimaux uniquement. Ces CTT sont de durée déterminée et il n’est pas possible aux parties d’y déroger au détriment du travailleur, c’est-à-dire qu’il ne sera pas possible de prévoir des salaires moins élevés que ceux prévus par le CTT contraignant. Les CTT contraignants doivent être limités dans le temps, en général trois ans.

Pour adopter un CTT fixant des salaires minimaux obligatoires, il faut qu’une commission tripartite le propose à l’autorité compétente sur la base d’un constat de sous-enchère abusive et répétée dans une branche économique, mais la dite autorité n’est pas tenue de donner suite à la proposition. En revanche, rien n’oblige la commission tripartite à faire une proposition à l’autorité compétente et, dans ce cas, l’autorité ne peut pas adopter d’elle-même des salaires minimaux contraignants.

La liste des CTT fédéraux et des CTT contraignants (fédéraux ou cantonaux) est constamment mise à jour sur le site internet du Secrétariat d’Etat à l’économie: www.seco.admin.ch/fr. Les sites internet des cantons renseignent aussi sur l’existence de CTT sur le territoire cantonal.

Les sanctions

Les employeurs qui engagent des travailleurs en Suisse et qui ne respectent pas les dispositions relatives aux salaires minimaux prévus dans un CTT contraignant peuvent faire l’objet d’une sanction administrative prévoyant le paiement d’un montant de 30’000 francs au plus.

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Jean-Marc Beyeler est le Chef du Service juridique du Centre Patronal, à Paudex, et rédacteur responsable du Guide de l’employeur. centrepatronal.ch

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