Des mots et des hommes

De la motivation à la considération

Quand j’entends l’expression: «Il faut motiver les troupes», un lutin dans mon cerveau ne peut s’empêcher de me faire dire: «Motiver n’est pas un verbe transitif, un responsable ne peut motiver personne. Il peut certainement créer des conditions favorables pour que les personnes qui lui sont confiées puissent s’auto-motiver!» Puis, le lutin s’empresse de me faire ajouter: «Il faut savoir que démotiver est, lui, un verbe transitif. Un feedback mal ajusté, une absence de présence réellement communicative, empêche ou réduit l’auto-motivation potentielle des collaborateurs». Si, comme chef, je suis au volant de mon véhicule, je ne peux pas allumer le moteur des véhicules des membres de mon équipe. Je dois, au préalable, leur avoir donné le goût de partir en voyage avec moi, dans une direction. Ainsi, vont-ils mettre la clé de contact et faire tourner le moteur (mouvement, émotion, motivation). Si du voyage je ne parle pas, je ne décris pas, je ne fais pas rêver du but et des étapes, les véhicules risquent de rester inertes ou de suivre en faisant semblant. La racine de «motiver» qui vient de «motif», (motivus: ce qui a trait au mouvement) laisse donc entendre qu’une personne est motivée parce qu’elle a des raisons (des motifs) de se mettre en mouvement!

Mais comment donner valablement des motifs à quelqu’un pour qu’il, elle, se mette en route dans la direction choisie? Je me permets d’émettre une proposition: la considération que vous saurez manifester envers la personne sera la clé de sa mise en branle, de sa motivation. Considérer. Voilà un verbe à savourer! Il est formé de «cum»: avec, et de «sidéris»: les étoiles en constellations dans l’univers. Ce mot semble venir du monde de la navigation et du monde de la prédiction de l’avenir, des augures. Il est voisin de contempler et signifie, au premier degré: «Regarder attentivement, réfléchir à». Traduction libre: lorsque je considère une personne, je la regarde vraiment, attentivement, avec empathie, avec ouverture et je la reconnais (naître avec!) dans la constellation de son univers! Je suis prêt à accueillir qui il ou elle est dans son contexte global. Comment faire? Il faut commencer par s’asseoir, l’un à côté de l’autre, et arrêter de toujours se parler entre deux portes ou de communiquer verticalement par le biais d’ordres du jour mortifères.

Considérer: c’est oser une conversation entre deux personnes qui se partagent l’idée et la réalisation d’un itinéraire dans la même direction. Il s’agit de risquer mutuellement un bricolage de suggestions, de propositions, d’ajustements, de feedbacks, de calages. Pourquoi, même dans un rapport hiérarchique, ne pas oser trouver ensemble, dans la compréhension (la prise ensemble), les chemins qui permettent de conjuguer la réalité opérationnelle avec l’intention de la direction affichée? Dans le monde du travail, souvent la même rengaine est entonnée en chœur: il n’y a pas assez de communication! Pourtant, toute la stratégie est exposée, les chiffres clés sont affichés, les indicateurs du cockpit sont disponibles, les comportements attendus sont répétés à l’envi. Et les chefs affirment que leur porte est ouverte. Qu’est-ce qui manque?

A mon avis, derrière la demande de communication, pointe le besoin vital de présence attentive: un besoin de temps humain partagé. «Déjà que nous n’avons plus de temps», dites-vous! Cela n’arrive-t-il pas à cause de la course à la résolution de problèmes, parce que personne ne comprend rien à rien, et qu’il vaut mieux faire soi-même parce que c’est, finalement, mieux fait? En amont, des conversations ouvertes, (qui permettent de tricoter ensemble les mailles des tâches à enfiler dans le sens de la raison d’être du travail à accomplir), pourront, en aval, faire gagner beaucoup de temps. Chacune et chacun se sentant pris en considération, y trouvera les motifs, la motivation de se mettre en mouvement presque naturellement. Ainsi faut-il passer de l’organigramme et des rôles figés à la volonté de partager un pourquoi et de laisser l’organisme vivant se déployer dans le temps et l’espace. «Créer le navire, ce n’est point tisser les toiles, forger les clous, couper les arbres, c’est donner le goût de l’infini et l’envie de prendre la mer», écrit Antoine de Saint-Exupéry dans Citadelle.

Note: La signification des mots a été rendue intelligible grâce au «Dictionnaire historique de la langue française», Le Robert, sous la direction d’Alain Rey. La citation d’Antoine de Saint-Exupéry est souvent décrite comme tronquée, mais il faut savoir que Citadelle est un livre inachevé fait de reprises, de versions successives et qu’il a été dicté par l’auteur, donc l’écrit n’est pas stabilisé.

L'auteur

Maxime Morand dispense des conseils et formations en leadership.

Contact et infos: m.morand@provoc-actions.com, www.provoc-actions.com.
 

 

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