Conseils pratiques

Dévier une culture de conduite au sein d’une administration

Le canton du Valais a engagé, voici trois ans, un processus pour développer la culture de conduite de ses cadres, avec un positionnement différent du Service RH. Nous revenons ici sur les principales étapes.

«Admettons que le projet ait réellement permis de faire évoluer la culture de conduite au sein de votre l’Administration Cantonale, à quoi le reconnaîtriez-vous? Option 1, tous les cadres ont suivi une formation. Option 2, le rôle du Service des Ressources Humaines (SRH) a changé de positionnement?», voici la question avec laquelle nous avons démarré notre mandat d’accompagnement auprès de l’Administration Cantonale du Valais1. Le Service des Ressources Humaines, notre mandant, a opté pour la deuxième option, plus osée. Nous avons ainsi pu engager un réel processus de développement organisationnel avec comme thématique la culture de conduite.

Vers où développer les compétences de conduite?

Cette deuxième question a été posée à l’attention du commanditaire du projet, le Conseil d’Etat. S’en sont suivis deux ateliers de travail avec les membres du Conseil d’Etat pour définir les valeurs de conduite attendues2, un engagement inattendu au vu d’un sujet aussi peu tangible. Le cap vers où devaient se développer les compétences de conduite était fixé. Ainsi a commencé un premier travail avec un groupe représentatif de chefs de service et d’adjoints (environ 25 % de l’effectif) afin de préciser les principes de conduite découlant des trois valeurs retenues par le Conseil d’Etat.

Ces principes de conduite étant fixés, un référentiel de compétences sur mesure ainsi que des mesures de développement et de formation ont été élaborés pour l’Administration cantonale. Il faut dire que cette entrée en matière a déjà permis de modifier concrètement les habitudes de conduite en vigueur. Les cadres ont été habilités à définir eux-mêmes leur environnement de travail, à se mettre d’accord sur un langage commun et à passer d’expert de l’administration à leader au service de l’administration publique. Le SRH a ainsi renforcé son partenariat auprès des cadres en matière de conduite tout en renforçant leurs responsabilités dans la gestion de leurs équipes.

Choisir la mesure de développement adaptée

Sachant que le développement du personnel se fait majoritairement hors des cours de formation3, il était essentiel pour le projet de donner le lead du développement des compétences de conduite aux cadres. Pour ce faire, un navigateur de compétences a été créé et de nouvelles mesures de développement ont été introduites (cercle de cadres, simulateur de talent, assessment, etc.). Le cadre peut ainsi choisir les mesures adaptées en fonction des compétences qu’il doit développer. Le choix de ces compétences est défini par les perspectives et les grands projets de son service, son terrain de responsabilités ainsi que ses propres besoins individuels. Le cadre effectue ce choix lui-même et en discute lors d’un entretien de développement avec son supérieur. Ce mode operandi vient à nouveau modifier les habitudes de comportements de conduite qui ont tendance à privilégier les exécutions de décision, top-down. Le principe de conduite suivant est appliqué dans ce cas précis: «Je m’implique activement dans les processus décisionnels, même conflictuels; j’assume les décisions prises et m’y engage envers tous.»

Culture de feedback au service du développement de compétences
Après avoir défini quelles sont les compétences exigées par la fonction du cadre en question, faut-il encore identifier s’il y a lieu de les développer? A cet effet, un processus de feedback au supérieur a été mis en place pour les cadres. Les discussions au sein du comité de pilotage du projet tournaient prioritairement sur la question de rendre obligatoire ou facultatif ce feedback au supérieur. Le choix, à nouveau hors des habitudes de l’Administration cantonale, s’est porté sur la mise en place d’un processus facultatif. L’outil feedback est proposé par le SRH lors d’un atelier d’accompagnement «Comment développer mes compétences de conduite» qui introduit le référentiel de compétences, la culture de feedback, le processus de feedback aux cadres, ainsi que les différentes mesures de développement offertes et / ou coordonnées par le SRH. Le processus de feedback est inséré dans un entretien de développement, qui est lui-même rattaché au processus existant de l’appréciation du personnel. A terme, l’outil feedback au cadre est amené à disparaître pour faire place à une culture de feedback transparente et en direct.

Lors d’une phase pilote, ces ateliers ont été suivis par 40 cadres (10% de l’effectif), tous s’étant engagés de manière facultative. Puis ce projet, qui a duré trois années, a été approuvé officiellement par le Conseil d’Etat et s’est concrétisé en programme de développement des compétences de conduite. L’année suivante, le programme a même dû refuser des inscriptions aux ateliers «Comment développer mes compétences de conduite», tant l’engouement était fort. Les prestations du secteur «Formation et développement du personnel» du SRH, qui se résumaient prioritairement à offrir des cours de formation, s’élargissent petit à petit, notamment dans le soutien, le conseil et l’accompagnement des cadres. Grâce à ce programme, l’image du SRH est de plus en plus perçue comme un organe de soutien et de conseil.

Cultiver la culture de conduite autour d’événements et projets communs


Le travail de mutation de la culture de conduite est engagé, mais de loin pas terminé. Les habitudes sont fortes au sein d’une Administration et certaines suggestions de changements structurels formulés à l’issue du projet n’ont pas passé la barre du comité de pilotage pour être présentés au Conseil d’Etat.
Les prochains chantiers pour poursuivre la redirection du cours de la culture de conduite sont: renforcer la collaboration et l’échange entre les chefs de services et cadres autour d’événements et implanter une culture de conduite commune.

Au quotidien, il s’agit pour le SRH de poursuivre son repositionnement en termes de prestations et posture. Le comité de pilotage, composé principalement de chefs de service, s’est transformé à la fin du projet en organe permanent avec mission de conduire stratégiquement la poursuite de l’évolution de la culture de conduite.

La concrétisation de ce projet n’aurait pas pu voir le jour sans la volonté claire du Conseil d’Etat d’agir sur le développement des compétences de conduite. L’engagement du Chef du Service des ressources humaines ainsi que le dynamisme de la cheffe de projet ont également contribué à cette réussite. De plus, l’implication des cadres à tous les échelons a renforcé leur adhésion au programme et permettra, à l’avenir, de développer une réelle culture de conduite commune.

Modifier le cours d’une culture se construit petit à petit au travers de divers chantiers, passe par des moments de résistance, pour tout à coup se muter en rapide qui dévale la pente vers le fond de la vallée.

  1. A l’issue d’une enquête de satisfaction et d’une étude mandatée à la HES qui mettaient toutes deux en évidence qu’il existait un potentiel de développement au niveau des compétences de conduite des cadres, le CE a chargé officiellement le Service des Ressources Humaines de mettre sur pied un programme de développement des compétences.
  2. Ces valeurs sont : Responsabilité, Loyauté, Equité.
  3. Becker M (2005). Personalentwicklung: Bildung, Förderung und Organisationsentwicklung in Theorie und Praxis. Stuttgart.
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Sibylle Heunert Doulfakar

Sibylle Heunert Doulfakar, psychologue du travail et des organisations, spécialisée dans les compétences collectives et le développement organisationnel, accompagne et conseille depuis plus de 20 ans les organisations tant privées que publiques lors de phases de transition et situations délicates. Elle a fondé et initié divers réseaux et entreprises sur le principe de l’intelligence collective (réseau syllogos, Rencontres Horizon, LaDanseDesRôles.ch).

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Caroline Berclaz est responsable du développement du personnel et formation au Service des Ressources Humaines de l’Etat du Valais.

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