Vie et mort des RH

DRH, un leadership de contrebassiste?

Si les DRH souffrent d’un déficit d’implication stratégique, peut-être est-ce parce qu’ils gèrent trop l’aspect ressources au détriment de la dimension humaine de leur fonction. Or, ils ont la position et le profil idéal pour agir sur un levier de performance aussi important et stratégique que l’innovation: la culture de l’organisation.

Il était une fois un héros prométhéen (le DRH) qui voulait transmettre les bienfaits du feu aux humains, mais il ne le trouva pas. Zeus (le directeur général) l’avait entre-temps confisqué, avec quelques complicités internes. «Vous vous éviterez des problèmes de foie», lui dirent ses collègues de la direction générale. «Mais c’est ma foi et ma fonction qui seront rongées», répondit le DRH désabusé. Puis, se retirant dans son service RH moins dur mais moins solide qu’un rocher, il médita sur le paradoxe suivant: com- ment se fait-il que la gestion des ressources humaines (GRH) devienne de plus en plus stratégique mais que la fonction RH paraisse l’être de moins en moins?

Cette histoire n’est pas un mythe pour de nombreuses directions des RH selon Emery et Gonin qui citent les résultats de l’enquête «baromètre RH» publiée en 2008 par HR Today: «Les directions des RH estiment n’être impliquées que ponctuellement dans les décisions stratégiques, déplorent de ne pas disposer d’objectifs clairs et souffrent souvent d’un manque de moyens.» Tenter de saisir ce déficit d’implication stratégique revient à se demander quelles sont les compétences, les contributions et les informations spécifiques et de nature stratégique dont dispose la fonction RH et qu’aucun autre acteur interne ne possède.

S’il est avéré que la gestion des salaires, la formation, la gestion des conflits, le recrutement ou la sélection des profils sont des fonctions RH qui peuvent être sous-traitées, et que les besoins liés à ces fonctions sont souvent mieux identifiés par les cadres de la ligne, n’est-il pas naturel qu’un DRH et son service soient subordonnés aux grandes décisions? Certaines entreprises décident même de s’en passer. C’est le cas de Semco, une entreprise brésilienne de 3000 personnes dirigée par Ricardo Semler qui a délégué toutes les fonctions RH aux membres de l’entreprise au motif que le service RH était déconnecté des réalités du terrain

Une lueur d’espoir: la culture de l’organisation

Une lueur d’espoir réside dans une dimension stratégique qui cherche encore son héros dans l’entreprise: la culture de l’organisation. James Heskett la définit comme «la façon dont on fait les choses» et «un ensemble d’idéaux, de notions et d’actions [...] qui n’a rien de soft et d’abstrait, qui est un facteur essentiel permettant aux stratégies d’être mises en œuvre avec succès». La culture d’une organisation ressemble à un iceberg. Sa partie visible, plus facile à changer, est constituée de pratiques et de comportements répandus qui interagissent avec sa composante invisible: des valeurs, des symboles, des normes essentielles. Ces intangibles transversaux et enfouis sont très difficiles à changer. Ils sont influencés par d’autres intangibles, en particulier la mission et la vision.

Kotter et Heskett précisent que la culture peut être autant un facteur de performance que d’échec. La mission «Servir» dans une administration publique, la dimension symbolique du statut de médecin dans un hôpital, ou la valeur «Discrétion» dans une banque peuvent par exemple induire des pratiques aussi positives que contre-productives. Dans une administration, il n’y a qu’un pas entre servir et asservir selon Edgar Morin. Dans un hôpital, la vision «Le patient au centre» reste une chimère si elle creuse le fossé entre les disciplines médicales. Enfin, quand la discrétion devient culture du secret dans une banque, elle peut casser la solidarité et la confiance des collaborateurs.

Cette force invisible qu’est la culture peut devenir un levier de performance aussi puissant que l’innovation à condition qu’elle suscite la capacité d’évoluer, de s’adapter au changement, de trouver la cohérence entre une stratégie et son contexte, tout en conservant des «mêmes» qui renforcent l’identité de l’organisation et le lien avec ses membres et ses clients. Une telle culture ne peut pas émerger sans leadership. Or, qui mieux qu’un ou une DRH, profil souvent pétri d’humanités, pourrait s’atteler à agir dans ce champ, en partenariat avec la direction générale, avec pour fonction de faire évoluer le visible – les comportements et les pratiques – pour mieux incarner l’invisible: des valeurs, une mission, une vision?

Une culture organisationnelle devient une force stratégique quand elle favorise l’intégration de changements de paradigmes tout en évoluant avec eux, quand elle facilite l’hybridation de systèmes contradictoires, quand elle génère une émulation chez les collaborateurs amenés à construire de nouveaux équilibres et à résoudre de nouveaux dilemmes. Voici quelques changements qui touchent la plupart des organisations et qui sont autant de défis culturels.

Six changements qui vont impacter la culture des organisations

Premièrement, le temps supplante l’argent comme valeur première du capitalisme, inspirant des politiques de temps partiel et de temps flexible d’une part, et des relations contractuelles plus souples d’autre part. Deuxièmement, l’auto-organisation supplante les chaînes de commandement, demandant de repenser les processus de décision et de formation, de redistribuer les responsabilités et de réduire l’interdépendance séquentielle où les tâches sont découpées sur le modèle de la chaîne industrielle, au profit d’une interdépendance réciproque qui stimule les interactions entre des «artisans» plus motivés parce qu’ils maîtrisent un processus du début à la fin.

Troisièmement, la transversalité supplante la verticalité, engendrant des architectures matricielles où le travail en réseau augmente et les échelons hiérarchiques diminuent. Quatrièmement, le leadership supplante le management comme style de gestion des cadres intermédiaires. Mais le leadership, qui vise à être au service, à inspirer, à donner du sens et un pouvoir d’agir aux collaborateurs doit cohabiter avec des attributs du management: le contrôle, la planification et une gestion autocratique parfois nécessaires.

Cinquièmement, la dimension symbolique supplante la dimension utilitaire comme facteur de choix d’un produit, d’un service ou d’une entreprise, demandant d’augmenter leur désirabilité sans diminuer l’exigence de qualité et d’innovation. Enfin, la créativité supplante la productivité, demandant de savoir perdre du temps pour faire émerger la créativité tout en gardant la maîtrise du temps pour respecter des critères de productivité.

Collecter des informations en pratiquant le «leadership by walking»

Après avoir obtenu au moins 20 pour cent de temps libre sur cinq ans, le DRH pourrait commencer par collecter des informations sur le terrain en pratiquant un «leadership by walking» et toutes les approches permettant de mieux connaître les valeurs et les gestes récurrents qui caractérisent son organisation. Il devrait s’atteler parallèlement à faire évoluer les pratiques et les comportements par un ensemble d’actions modestes, mais cohérentes et convergentes avec les valeurs de l’organisation et la stratégie de la direction. Ce faisant, le DRH deviendrait un peu le contrebassiste du quartet de jazz.

Peu audible, au-dessous et au service, le contrebassiste fait de sa faiblesse une force. Il soutient tout l’édifice musical avec une «walking bass», ligne de basse qui porte l’harmonie et le swing. Le contrebassiste ne tire pas son leadership de l’éclat, mais de la constance de son action à l’arrière-plan. Grâce à lui, le directeur financier, batteur gardien du temps, le directeur général, pianiste gardien de l’harmonie, et le saxophone qui incarne toutes les mélodies humaines (les RH), déploient mieux leur potentiel dans la durée.

Si un DRH peut agir sur la culture de l’organisation pour accompagner le changement, s’il peut renforcer la performance grâce à la joie qui naît d’une culture vivante, son implication sera d’autant plus stratégique que sa contribution est singulière. Il aura trouvé le feu et réalisé sa vocation: exprimer toute la dimension humaine de sa fonction.

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Claudio Chiacchiari est le fondateur de Saisir le temps® – L’intelligence musicale: conférences, ateliers, conseil. Il réalise des mandats pour les cadres et les dirigeants sur l’art de composer l’organisation en Suisse, en France, en Roumanie et en Belgique. Il est intervenant régulier à HEC Genève depuis 2006. Ses articles sont publiés notamment dans HR Today, Le Temps, Watch Around et Les Echos (Fr).

Lien: www.saisirletemps.ch
 

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