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Écrire du silence
En musique, la chose la plus difficile à écrire, c’est le silence, disait le compositeur Joseph Haydn. En management aussi. Car il est plus facile de faire que de ne pas faire. Écrire du silence demande un peu de courage et beaucoup de soins, mais l’enjeu est de taille: mobiliser l’intelligence collective et renforcer l’auto-organisation des collaborateurs.
Joseph Haydn. Source: wikipedia
On l’oublie parfois: la musique est faite de son et de silence. Le management, d’action et de «non-faire». Un silence musical est une présence dans l’absence, un non-faire agissant, un «à vous de jouer» qui alterne avec un «à moi de résoudre». Un silence musical est un peu comme la peinture abstraite, il libère d’autant mieux l’imagination de celui qui le reçoit qu’il lui montre moins. Or, il est plus facile de faire que de ne pas faire. Mais lorsque le management est une techno éreintante, est-il la réponse optimale à la subtilité croissante du monde du travail?
Pour le cadre et le dirigeant, écrire du silence n’est pas laisser faire ou ne rien faire, mais se retenir de faire. Se retenir quand le faire gaspille son énergie à préciser trop les moyens plutôt que les buts, négligeant au passage l’énergie des collaborateurs qui avaient une meilleure solution. Se retenir quand le faire peut être remplacé par l’octroi d’une dose d’autonomie, de responsabilité et de confiance qui, soigneusement encadrées, font progresser, engagent et motivent.
Il existe une grande diversité de silences
Bien que la nature du silence soit unique, il existe une grande diversité de silences dont le caractère et l’impact sont déterminés par au moins quatre facteurs: le contexte d’un silence, sa durée, la façon d’entrer et la façon de sortir du silence. Il y a d’abord les mauvais silences. En musique, trop longs ils cassent la dynamique, trop courts ils empêchent de respirer. Dans l’entreprise, certains silences isolent, méprisent, angoissent ou démobilisent. Leur impact négatif est-il bien mesuré? Et puis il y a les silences fertiles, ceux qui font tendre l’oreille...
Quand le patron et créateur d’une entreprise remarquable, toujours disponible pour régler un problème avec les employés, se rendit compte qu’il pouvait affecter l’autorité de certains cadres à force de veiller à tous les grains, il décida de se retenir de faire. Pour bien entrer dans le silence, il précisa son rôle et celui des cadres, mais aussi certains processus décisionnels («Les cadres règleront tous les problèmes quotidiens avec leurs équipes s’ils sont de leur ressort. Je n’interviendrai que dans un deuxième temps si nécessaire»), et certaines normes («si un collaborateur vient me voir pour ce qu’il peut régler avec son cadre, je n’entrerai plus en matière»). Il fixa aussi un entretien de débriefing hebdomadaire avec ses cadres, une sortie de silence qui lui permettrait de conserver la maîtrise selon ses exigences, tout en laissant faire. Ce silence renforça l’autorité des cadres, stimulant au passage leur esprit d’initiative.
Comment entrer puis sortir d’un silence forcé
Quand la cadre supérieure d’une grande entreprise décida de ne pas reconduire le contrat à durée déterminée d’un collaborateur doué mais qui ne s’intégrait pas à son équipe, il fut décidé qu’une collaboratrice récemment engagée le remplacerait et qu’il aurait à lui transmettre ses dossiers complexes. Or, la dirigeante était à la veille d’une absence de trois semaines. Elle prit alors trois mesures pour entrer dans ce silence forcé: un collaborateur expérimenté endossa le rôle de mentor de la nouvelle recrue, une réunion avec le collaborateur sur le départ permit de mettre à plat la situation et ses enjeux, enfin la discrétion à l’égard du reste de l’équipe fut adoptée jusqu’à son retour. Pour sortir du silence, elle fixa à l’avance deux entretiens de débriefing, l’un avec le collaborateur sur le départ et sa remplaçante, l’autre avec le mentor et un haut dirigeant au courant de la situation. Tout se passa bien. A son retour, la dirigeante constata l’engagement du mentor dont l’action avait été remarquée par la direction, mais aussi le respect du collaborateur sur le départ qui avait apprécié sa clarté et sa finesse.
Si le contexte et la durée d’un silence font appel à l’instinct et à l’analyse du cadre, les entrées et sorties du silence demandent des actions méticuleuses. Écrire du silence est difficile pour plusieurs raisons. Il a l’apparence du rien et il faut le loger au cœur de l’action dont il est à la fois l’écrin et l’interstice. Souvent, il faut l’oser là où la tendance serait au faire plus. Enfin, le but d’un silence étant la mobilisation de l’intelligence collective et une meilleure auto organisation, le dirigeant doit prendre des décisions non pas pour résoudre mais pour instaurer des conditions favorisant la résolution par d’autres que lui. Par contre, un beau silence peut générer une résolution élégante, d’heureuses émergences, moins de stress et moins de bruit.