Conseils pratiques

Égalité salariale, la fin de la tolérance?

Le seuil de tolérance de 5% lors d'une analyse Logib, une pratique généralisée depuis l'introduction de cet outil de contrôle en 2000, joue un rôle fondamental pour la compréhension du respect de l'égalité salariale au sein des entreprises. Un rapport recommande de supprimer ce seuil pour atteindre le principe constitutionnel de salaire égal pour travail de valeur égale.

Lancé en 2006 par la Confédération, Logib est devenu l’outil de référence pour analyser l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Il prévoit notamment un seuil de tolérance de 5% qui doit être dépassé de manière statistiquement significative pour que l’égalité salariale soit considérée comme non respectée. Une récente étude recommande toutefois de supprimer ce seuil pour favoriser la réalisation dans les faits du principe constitutionnel de salaire égal pour travail de valeur égale.

Les raisons à l’origine de la prise en compte d’un seuil de tolérance dans Logib restent incertaines. On peut néanmoins imaginer que, lorsque le contrôle de l’égalité salariale dans les marchés publics de la Confédération a été rendu possible en 1996 et que le Bureau fédéral de l’égalité a développé un outil de contrôle au début des années 2000, il y a eu un souhait de bénéficier de la sécurité offerte par un seuil de tolérance, notamment pour éviter de sanctionner à tort des entreprises. Cette position est aussi défendable puisqu’il y avait un manque de recul à l’époque de l’introduction de cette mesure du fait qu’une telle analyse n’avait presque jamais été pratiquée au sein des entreprises.

La tolérance de 5% s’est généralisée

L’application du seuil de tolérance uniquement dans le cadre des contrôles dans les marchés publics de la Confédération a été clairement inscrite dans les documents et les résultats de Logib. Malgré cela, le recours au seuil de tolérance de 5% se généralisa puisqu’il a été pris comme référence par de nombreuses entités employeuses lors d’auto-analyses, mais aussi par des entreprises proposant d’autres modèles d’analyse que Logib ou des certifications. Or, le recours à ce seuil en dehors des marchés publics ne saurait pleinement s’expliquer par les limites de Logib en termes de pouvoir prédictif. En effet, l’expérience a montré que l’outil était fiable et que les entités employeuses ne possédaient pas systématiquement des éléments non pris en compte par le modèle pour justifier leur pratique salariale.

L’implication de cette généralisation du recours au seuil de tolérance est qu’il a été indirectement considéré comme scientifique et conforme au droit dans le cadre de la modification de la loi fédérale sur l’égalité qui oblige les entités d’au moins 100 personnes à procéder à une analyse de l’égalité des salaires. Partant, l’égalité salariale est respectée au sens de l’art. 13a al. 3 LEg si le résultat Logib n’est pas significativement supérieur sur le plan statistique au seuil de tolérance de 5%.

Une «nouvelle» définition problématique

Cette «nouvelle» définition de l’égalité salariale est néanmoins problématique. En effet, la modification de la LEg ne prévoit aucune sanction en cas de non-respect de l’égalité salariale à la différence de la loi sur les marchés publics. De plus, l’art. 8 al. 3 de la Constitution et l’art. 3 al. 2 LEg ne prévoient aucun seuil de tolérance. Enfin, le seuil de tolérance de 5% a été repris dans la modification de la LEg sans pleinement connaître son implication sur la proportion d’entités employeuses qui allaient, grâce à ce seuil, respecter les nouvelles exigences légales.

Sans seuil de tolérance, seuls 49,8% des employeurs seraient en règle

Le Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes du canton de Vaud (BEFH) a publié une étude mandatée auprès de l’entreprise CORESO qui met en évidence le rôle du seuil de tolérance sur la définition du respect de l’égalité salariale. Pour ce faire, les experts ont procédé à une analyse Logib sur les données de 2’845 entités employeuses issues de l’Enquête suisse sur la structure des salaires. Les résultats montrent que 80,9% des entités respectent l’égalité salariale avec le seuil de tolérance de 5%. Cette proportion descend à 76,5% avec un seuil de 4%, 70,4% avec un seuil de 3%, 65% avec un seuil de 2%, 57,9% avec un seuil de 1% et 49,8% sans seuil de tolérance. Ces résultats démontrent que le seuil de tolérance joue un rôle fondamental pour la compréhension du respect de l’égalité salariale au sein des entités employeuses. Ainsi, il serait inexact de conclure que l’inégalité salariale est surestimée compte tenu du fait que la grande majorité des entités respectent les nouvelles exigences légales. Au contraire, il conviendrait plutôt de s’interroger sur les actions à entreprendre sachant que, potentiellement, moins de la moitié des entités respecteraient l’égalité salariale en l’absence de seuil de tolérance.

Nota Bene: Les propos contenus dans ce document n’engagent que leur auteur et en aucune manière son employeur.

Référence

Florian Chávez-Juárez et Roman Graf (2001). Réflexion empirique sur le seuil de tolérance utilisé lors des contrôles de l’égalité salariale. Étude mandatée par le Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes du canton de Vaud.

https://www.vd.ch/fileadmin/user_upload/organisation/dec/befh/Egalite_salaire/2021_Ch%C3%A1vez-Ju%C3%A1rez_ 

commenter 0 commentaires HR Cosmos
SB

Après avoir réalisé une thèse de doctorat liée à la discrimination au travail, Steve Binggeli a travaillé plus de six ans dans les bureaux de l’égalité de la Confédération et du canton de Vaud. Aujourd'hui, il est membre du Comité de Direction du Service du Personnel de la Ville de Lausanne, responsable de la rémunération et de l’analytique RH. Il préside aussi le conseil de la fondation Pacte qui a pour mission de promouvoir l’égalité des chances et la mixité en entreprise

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