Droit et travail

«En Suisse, le principe de diversité se heurte à la liberté contractuelle»

A l’occasion de la sortie d’un Dossier HRM sur la gestion de la diversité, le juriste Michel Chavanne, spécialiste du droit du travail, analyse le fonctionnement des normes «anti-discrimination» et de la jurisprudence suisse en matière de gestion de la diversité. «Les grilles salariales doivent être clairement définies», prévient-il. 

Comment la gestion de la diversité affecte-t-elle les relations en droit du travail? 

Michel Chavanne: Vers les années 90, la gestion de la diversité est devenue un facteur à prendre en compte dans le monde du droit du travail. En Suisse, le choc a été et est encore rude, car le monde du travail n’avait finalement que peu évolué au cours du XXème siècle. Il est resté bien accroché au sacrosaint principe de la liberté contractuelle. Les thèmes imposés par la «société civile», comme la diversité, ont eu comme effet de limiter la mise en œuvre de ce principe fondamental, encore empreint de paternalisme. 

Qu’avons-nous en Suisse comme lois «anti-discrimination»?

Parmi les lois aux normes «anti-discrimination» auxquelles les employés et les employeurs doivent se référer aujourd’hui, on peut citer les articles 8 et 28 de la Constitution fédérale (droit à l’égalité et liberté syndicale), certaines dispositions du Code des obligations (notamment les articles 336 et suivants relatifs au licenciement abusif), la loi sur l’égalité (LEg), ainsi que certaines normes de la nouvelle procédure civile fédérale qui pré- voit quelques facilités en cas de litige relevant de la loi sur l’égalité (au besoin le tribunal peut se charger lui-même d’établir les faits qui auraient été mal établis dans le cadre d’une demande en paiement fondée sur la loi sur l’égalité). 

Comment la jurisprudence fait-elle mention des notions de «discrimination» directes et indirectes? 

La jurisprudence a la possibilité d’intervenir de manière très directe dans le cadre de litiges réglés par le droit public. Il y a ainsi eu, ces dernières années, des décisions prises par le Tribunal fédéral dans le cadre de la mise en œuvre de la politique salariale du canton de Fribourg. 

En ce qui concerne la jurisprudence relative au droit privé, l’interdiction de discriminer entre les sexes a été consacrée par la loi sur l’égalité et est absolument impérative. Les tribunaux civils ont surtout eu à traiter des questions de salaires. Des discriminations sont qualifiées de directes lorsqu’elles se fondent explicitement sur le critère du sexe, ce qui n’arrive pas fréquemment en Suisse. 

La jurisprudence a aussi reconnu la notion de discrimination dite indirecte dans les cas où le critère utilisé, qui pourrait s’appliquer à l’un ou à l’autre sexe, a ou peut avoir pour effet de désavantager une plus grande proportion de personnes d’un sexe par rapport à l’autre, et ceci sans justification objective. C’est ainsi que des infirmières ont pu obtenir des réévaluations de leur niveau de salaire sur la base d’expertises comparant la pénibilité de leur profession avec celle de policier, profession historiquement masculine. 

Les procès pour «discrimination» sont-ils de plus en plus fréquents en Suisse? 

Il est particulièrement difficile de répondre puisqu’aucune statistique sérieuse n’est tenue. La meilleure source de référence consiste encore à consulter le site Internet www.leg.ch Les employé·e·s manifestent la volonté de s’appuyer de plus en plus sur la LEg. Reste que cette dernière, de l’avis de nombreux praticiens, est encore très souvent ignorée par le monde juridique. 

Comment appréhendez-vous l’idée du renversement de la charge de la preuve vers l’employeur? 

A l’évidence, le praticien ne peut ignorer des facilités accordées à l’une ou l’autre des parties, en particulier au regard des exigences concernant la preuve. L’article 6 LEg indique que l’existence d’une discrimination est présumée pour autant que la personne qui s’en vaut la rende «vraisemblable». Cet allégement du fardeau de la preuve est certes intéressant, mais à mon sens il n’a pas offert le levier que certains en espéraient, l’appréciation des preuves par le juge comportant une bonne part de subjectivité. 

L’article 6 LEg a cependant un effet indirect appréciable: les employeurs savent qu’ils doivent prendre des mesures, même en cas de «beau temps», pour éviter qu’un jour ils doivent faire face à une action en paiement fondée sur la LEg. 

Que conseilleriez-vous aux responsables RH? 

Toute entreprise digne de ce nom, même de moyenne importance, se doit d’établir des politiques de ressources humaines, et notamment des grilles salariales qui sont clairement définies et qui précisent ce qu’est la diversité et ce que l’on en attend dans cette entreprise. La question de la «reconnaissance», financière et non-financière, de la diversité est un enjeu crucial.

 

L’intervenant

Michel Chavannes est avocat et spécialiste FSA du droit du travail. Il intervient pour le cabinet r&associés à Lausanne.

 

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Natasa Maksimovic est assistante de recherche au sein de l'IMSI de la HEG Arc où elle participe à l'enseignement et à des projets de recherche, notamment dans le domaine des Ressources humaines. Associée au groupe de chercheurs de la cellule «Santé et Organisation», sa contribution porte sur les questions liées à la santé au travail et à la diversité.

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