Engager sans CV, sans lettre de motivation, sans entretien ...
Mon expérience, partagée par la majorité de mes pairs en Suisse, montre qu’il est grand temps de faire évoluer les pratiques de recrutement des «cols bleus».
Photo: 123RF
Lorsqu’il s’agit de recruter des collaborateurs manuels, les approches traditionnelles de recrutement sur dossier excluent régulièrement des personnes compétentes, motivées et susceptibles d’être d’excellents collaborateurs. Cela, au profit de personnes diplômées, à l’aise en entretien, mais pas forcément motivées ni excellentes dans leurs métiers. En outre, lorsque les entreprises vont chercher loin des personnes diplômées et/ou maîtrisant bien la langue, au détriment de résidents compétents, cela génère des tensions sociales que l’on pourrait éviter.
Pourtant, un adage bien connu dit: «C’est au pied du mur que l’on voit le maçon». Alors, pourquoi commencer à lire la lettre de motivation, qui est presque toujours rédigée par des tiers quand on est une personne manuelle? Pourquoi donner autant d’importance au CFC pour le recrutement? Dès lors que la personne aura commencé à travailler, elle sera forcément jugée sur ses compétences. Pourquoi faire passer une interview alors que l’on ne cherche pas un comédien, mais un nettoyeur, un aide-jardinier ou un opérateur industriel? Pourquoi fixer des critères d’âge alors que les capacités physiques peuvent être bien supérieures chez un senior en forme que chez un jeune dont l’hygiène de vie est problématique? Ceci sans parler de l’origine culturelle que la photo et le nom révèlent, avec tous les préjugés associés.
Comment faire alors? La démarche est simple. Il s’agit de tester les candidats sur le terrain, «au pied du mur», en conditions réelles. Soit l’entreprise est assez importante pour organiser des stages à l’interne, comme le font les grands groupes français comme Véolia par exemple, soit les entreprises de formation par la pratique coordonnent un premier test des compétences métier et relationnelles (soft skills) et forment aussi les candidats au développement de compétences spécifiques correspondant aux besoins des futurs employeurs.
Ainsi, elles proposent aux entreprises une sélection de candidats dont la compétence et la motivation sont certifiées. C’est ce que nous nommons le «placement direct». Dans l’idéal, les employeurs devraient renoncer ou limiter l’analyse du dossier de recrutement et faire l’impasse sur l’interview. Enfin, les entreprises de formation par la pratique proposent un coaching, tant pendant la période de stage que pendant la période d’intégration sur le poste de travail. Pour les deux parties, ce coaching est très apprécié et efficace. Combien de fois mes collaborateurs ont reçu ce genre de feed-back des employeurs: «Si j’avais recruté par les méthodes conventionnelles, je n’aurais jamais engagé cette personne, alors que j’en suis très satisfait.»
En sachant qu’un recrutement raté coûte au minimum trois mois de salaire et qu’un recrutement moyennement satisfaisant peut, à la longue, coûter bien plus cher à l’entreprise, le placement direct apparaît comme très efficace sur le plan financier. Pas de frais d’annonce, pas de pile de CV à trier et du temps gagné par l’employeur et/ou les services RH. Ce temps libéré peut alors être investi autrement. En amont, le dialogue avec l’entreprise de formation et de placement permet une analyse fine des compétences utiles au poste, ce qui augmente les chances de «matching». En aval, l’employeur peut consacrer plus de temps à l’intégration sur la place de travail, processus trop souvent négligé, alors qu’il est la cause de nombreux échecs.
Cette approche, tant dans l’intérêt des entreprises que dans celui de la société, bousculera certainement les pratiques de recrutement de nombre d’employeurs à la recherche d’opérateurs industriels de base, d’aides-jardiniers, de nettoyeurs, de magasiniers ou de livreurs, de manière positive.
Valoriser les compétences locales et limiter «l’importation de diplômes» au strict nécessaire à l’économie allégerait sensiblement les charges des collectivités (chômage et aide sociale). Cela contribuerait également à diminuer le sentiment d’exclusion et de déclassement qui alimente le vote populiste. Plus vite cette méthode deviendra un standard en Suisse, plus vite nous pourrons nous concentrer sur les effets de la 4ème révolution industrielle sur le marché de l’emploi.