Créativité

Être à l’écoute

Être à l’écoute est plus qu’écouter. Pas besoin d’oreilles pour être 
à l’écoute. Le compositeur  Beethoven, le peintre Goya et le poète 
Ronsard ont su parfaitement être à l’écoute des sons, de la société 
et de la nature humaine alors qu’ils étaient sourds. Être à l’écoute 
implique le risque de changer de posture et de perdre du temps.

Dans l’entreprise, une crise ou un changement imprévisible, c’est une sorte de séisme. Or, lorsque la science a admis son impuissance à tout prévoir, c’est-à-dire à définir à l’avance et avec précision le lieu, le moment et la force d’un séisme, la notion de prévention a émergé. Prévenir, c’est se dire «puisque nous ne pouvons pas tout prévoir, préparons-nous à recevoir». La prévention ne s’oppose pas à la prévi-sion. Elle la complète. Être à l’écoute pour un cadre, c’est un peu faire de la prévention, et compléter l’analyse rationnelle des données par une intelligence plus sauvage qui cherche et construit tous azimuts.

La prévention induit des effets positifs qui dépassent sa finalité qui est de sauver des vies humaines dans le cas du séisme. Construire antisismique génère de nouveaux marchés et stimule la recherche, entraîner une population aux bons gestes développe le civisme, élaborer des plans de sauvetage responsabilise les pouvoirs publics, aménager le territoire en respectant des normes de sécurité élevées demande de lutter contre la corruption. Au-delà de la préservation des vies humaines, la prévention contribue au développement durable d’une société. Dans l’entreprise aussi, un cadre qui sait être à l’écoute dépasse la finalité qui consiste à résoudre un problème. Il génère une cohésion et une adhésion accrue, et souvent, lève des obstacles qui produisent des signaux encore trop faibles pour avoir un impact mesurable.

Son équipe ne lui dit pas ce qui ne va pas

Un cadre dirige une équipe qui fournit des services de comptabilité à des clients internes. Ses collaborateurs reconnaissent ses qualités d’écoute lors des évaluations annuelles. Il les questionne, les motive, demande leur avis, et sa porte est toujours ouverte. Or, l’un des services que fournit l’équipe connaît de sérieux troubles. Malgré tous ses efforts, son équipe ne lui dit pas ce qui ne va pas. La qualité est jugée insuffisante, les critiques pleuvent, l’équipe se cabre, le cadre se crispe.

Mais il finit par admettre que la désinvolture qu’il croit ressentir ne peut pas être la source des dysfonctionnements, car ils se reproduisent avec tous ses collaborateurs alors qu’ils ont des profils très différents. Il admet aussi que des individus bien formés et autonomes ne se précipitent pas pour lui expliquer. Il constate enfin que les membres de l’équipe font preuve de solidarité entre eux et qu’ils souffrent de cette situation. Le cadre décide alors de changer de stratégie. Puisque l’information ne vient pas, il ira la chercher. Durant trois semaines, il travaille une à deux heures par jour aux côtés de chaque collaborateur qui fournit les réponses aux clients. En sortant de son rôle, le cadre prend un risque en termes de leadership et il prend du retard dans ses propres tâches.

Cependant, au terme de l’expérience, il tire un bilan très positif et en partie surprenant. Il a découvert que le logiciel utilisé est trop complexe, que les demandes d’information faites aux clients ne sont pas formalisées et entraînent la transmission de données imprécises qui demandent de s’y reprendre à plusieurs reprises. Il constate enfin que la règle en vigueur – la boîte mail doit être vide en fin de journée – entraîne ses collaborateurs à répondre souvent de façon précipitée. Le cadre réalise que la réelle plus-value des services réside d’abord dans leur qualité et ensuite dans la rapidité. Il décide donc de substituer à la règle de la boîte vide la norme sui-vante: la qualité doit primer sur la rapidité, prendre un peu plus de temps si nécessaire pour obtenir la qualité requise, mais avertir le client du retard et de ses raisons. «Les clients vont nous tomber dessus à bras raccourcis», remarque un collaborateur. «Envoyez-moi tous les clients qui se plai-gnent», propose le cadre. 

Il a osé partager l’inconfort du poste

L’aspect surprenant réside dans le fait que le cadre, qui était venu pour comprendre plutôt que pour écouter, a eu des échanges riches et s’est vu confier beaucoup d’informations qu’il n’attendait pas. Il connaît mieux son équipe désormais. Son geste a été apprécié. Il a soulagé en redirigeant vers lui les réclamations, il a osé se mettre à côté, partagé l’inconfort du poste, et renforcé la motivation en confiant une norme à interpréter plutôt qu’une règle à suivre. Par cet être à l’écoute qui a consisté à se rapprocher de la source du séisme (un risque), le cadre a non seulement trouvé des clés pour améliorer la qualité du service, mais aussi contribué au développement durable de l’équipe.

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Claudio Chiacchiari est le fondateur de Saisir le temps® – L’intelligence musicale: conférences, ateliers, conseil. Il réalise des mandats pour les cadres et les dirigeants sur l’art de composer l’organisation en Suisse, en France, en Roumanie et en Belgique. Il est intervenant régulier à HEC Genève depuis 2006. Ses articles sont publiés notamment dans HR Today, Le Temps, Watch Around et Les Echos (Fr).

Lien: www.saisirletemps.ch
 

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