Débat

Faut-il introduire un revenu de base inconditionnel?

Chaque personne domiciliée en Suisse recevrait un revenu de base qui lui permettrait de survivre. Pour Fabian Schnell d’economiesuisse, l’acceptation de cette initiative, probablement votée en 2016, serait la fin de la qualité de vie suisse. L’initiant Daniel Straub pense au contraire que ce modèle permettrait enfin aux Suisses de trouver du sens au travail.

Pour: Daniel Straub

La première fois que j’ai entendu parlé de cette idée de revenu de base inconditionnel, j’ai pensé qu’elle était absurde et impossible à mettre en pratique. Chaque être humain, qui vit en Suisse de manière légale, devrait avoir droit à un revenu de base, peu importe s’il travaille ou non.
 
Mais quelles seraient les conséquences si un tiers du revenu national serait redistribué sans contrepartie? Cette discussion pose la question de notre définition du produit intérieur brut. Dans ce débat, les opposants avancent que notre initiative va nuire à la qualité de vie du pays. Cette hypothèse part du principe que sans motivation pécuniaire pour inciter les gens à
travailler, l’économie du pays serait fortement affaiblie. Mais cet
argument ne tient pas compte de la motivation intrinsèque des collaborateurs. C’est déjà le cas aujourd’hui dans notre pays: le travail non rémunéré est plus répandu que le travail rémunéré. Avec un revenu inconditionnel de base, cette incitation intérieure à travailler serait stimulée. Ce qui provoquerait quelques crises d’identité certes, mais aussi plus de passion et plus d’innovation.
 
Cette évolution serait aussi en harmonie avec le désir souvent exprimé d’avoir plus de sens dans son travail. Si les motivations internes des individus sont mieux reconnues, la fonction RH deviendra aussi mieux reconnue. Car le rôle des employeurs va changer. L’état d’esprit de certains collaborateurs, qui estiment n’être qu’un petit rouage dans une grande machine, va changer.
 
C’est réjouissant, surtout si l’on pense à cette étude de l’EPFZ qui montre que la majorité des employés sont dans une situation de résignation: ils ont capitulé devant la nécessité. Cette nécessité est le fruit de notre système économique, qui est une gigantesque success story.
 
Nous l’avons mené vers un taux de productivité record, mais nous ne sommes pas en mesure de transformer ce succès en qualité de vie. Le rapport entre une économie de la croissance et le bien-être des individus n’est pas équilibré aujourd’hui. C’est donc absurde de poursuivre dans cette voie sans donner une chance aux modèles alternatifs. Le sociologue Mainhard Miegel l’exprime bien: «L’économie doit croître afin de donner du travail aux individus. Mais cette conception s’est tellement ancrée dans les mentalités au fil des générations, que les gens ne savent plus s’ils travaillent pour augmenter leur bien-être où s’ils augmentent leur bien-être afin de pouvoir travailler.»
 
En séparant partiellement le travail de la rémunération, le revenu de base inconditionnel nous offre la possibilité de faire évoluer notre système économique. Au premier abord, ce modèle semble utopique, car il s’oppose à nos habitudes de pensée. Mais ce n’est qu’une fois que nous aurons pris cette idée au sérieux, que nous réaliserons qu’elle est en fait une manière de faire évoluer notre manière de vivre en communauté.
 

Contre: Fabian Schnell

Chaque enfant connaît l’histoire du Pays de Cocagne. Un monde imaginaire où personne ne manque de rien. Chaque habitant du Pays de Cocagne n’a qu’à exprimer son désir pour le voir exaucé, comme par miracle. Les promesses formulées par les défenseurs du revenu de base inconditionnel y ressemblent fortement. A les écouter, chaque individu a droit à une existence heureuse où tous ses désirs seront réalisés. Notre système social et de distribution des richesses seront également simplifiés et coûteront moins chers, paraît-il.
Le paradis sur terre donc? Malheureusement pas. Dans la réalité, les coups de baguette magique n’existent pas. La vie en communauté implique par ailleurs quelques conditions. Chacun est tenu de couvrir ses propres besoins tout en contribuant, dans la mesure du possible, au bien-être de la communauté. La couverture sociale garantie par l’Etat est basée sur ce principe de solidarité, mais ne peut entrer en vigueur qu’une fois que la richesse a été générée.
 
Avec le revenu inconditionnel de base, nous allons rendre toute la population dépendante de l’Etat central. La responsabilité individuelle et la solidarité passeront par la fenêtre. Et il faudra tirer un trait sur l’autonomie de chaque individu. On ne peut que spéculer sur les coûts réels de cette initiative. Ce qui me semble clair, c’est que les économies potentielles seront bien moins importantes que ce qu’espèrent les initiants. Dans de nombreux cas, la couverture sociale actuelle dépasse largement ce revenu inconditionnel de base et il faudra donc les réduire. Ce système va coûter, grosso modo, 140 milliards de francs. En d’autres termes, près d’un quart de la création de richesse annuelle de notre économie. Il faudra ensuite distribuer ce montant. Comment nous allons trouver ces sommes semble une préoccupation secondaire. Si c’est par la TVA que nous allons lever ces fonds, il faudra l’augmenter d’environ 60 pour cent. Et cela ne suffira peut-être même pas. Comme les prix et les salaires seront fortement ébranlés, il faudra aller chercher ailleurs des sources de revenus. A noter que si ces recettes seront ponctionnées via la TVA, les prix vont augmenter et il faudra, à terme, relever ce revenu inconditionnel de base.
 
Evidemment, cette initiative va – et ceci est consciemment souhaité par les initiants – complètement chambouler le marché du travail. Qui, pourquoi et à quel tarif horaire pourra encore travailler reste encore un mystère. Ce qui est certain, c’est que la Suisse ne sera plus concurrentielle. Par conséquent, notre qualité de vie va en prendre un sacré coup. Même au Pays de Cocagne, le principal protagoniste se rend compte que cette vie de rêve est une illusion. Quand il le comprend, il prend la clé des champs. Avec le revenu inconditionnel de base, ce sera la même conclusion.

 

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Fabian Schnell est chef de projet pour la politique générale et les questions de formation chez l’association faîtière economiesuisse, qui représente plus de 10 000 entreprises suisses.

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Daniel Straub a notamment travaillé pour IBM, le CICR et l’école Montessori. Il vit aujourd’hui de sa plume et dirige le comité d’initiative «Pour un revenu de base inconditionnel». Il est notamment l’auteur de «Die Befreiung der Schweiz».

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