Gestion de conflits: le rôle fondamental des mécanismes de l’adaptation
L’adaptation est essentielle à notre survie. Les mécanismes à trois étages qu’elle met en jeu – perception, classification et construction des attentes - nous conduisent à toujours anticiper. Mais les attentes déçues constituent aussi un terreau favorable à l’éclosion de conflits. Stockées, elle préparent l’éclosion de la prochaine crise.
L'homme, pour survivre, doit en permanence analyser l'environnement dans lequel il évolue pour détecter à temps les risques, les menaces et les opportunités qui se présentent à lui.
Cette analyse, excessivement rapide et automatique, repose sur trois piliers: la perception, la classification et la construction des attentes. Elle conditionne la manière dont nous approchons l'autre (naissance des conflits) et, pour un professionnel de la relation, la manière dont il va aborder les problèmes qui lui sont soumis (gestion des conflits).
Au premier niveau de ce puissant mécanisme, on trouve la perception. Elle est multi-sensorielle et permanente. Elle est éminemment partielle, partiale et largement conditionnée par des facteurs internes (j'ai faim, je suis fâché, j'ai déjà entendu ça, etc.) ou externes (il fait mauvais temps, la bourse est morne, l'essence augmente encore, etc.).
Parmi les caractéristiques de notre perception, on évoquera encore le fait qu'elle est globalement plus sensible aux mouvements et aux contrastes qu'aux situations figées.
Récolte, classification et création des attentes
La masse d'informations collectée en permanence par nos sens est immédiatement analysée et ventilée, soit dans des catégories que nous possédons déjà, soit dans de nouvelles catégories que nous créons. Si le premier «Wibi» que je rencontre est sympathique, je crée une case «Wibi sympathique». Si le deuxième que je rencontre est sympathique, je dis «il est aussi sympathique» et il rejoint immédiatement ma première case. Quand je rencontre le troisième et s'il n'est pas sympathique, je dis: «il est bizarre pour un Wibi, d'habitude ils sont sympathiques...». J'ai constitué une case, et à partir de cette case, je juge les individus. Accessoirement, en fonction des rencontres, je peux aussi modifier la case et ses caractéristiques.
Pour survivre, nous devons opérer un tri initial excessivement rapide. En principe, lorsque l'on rencontre une nouvelle personne, en moins d'un dixième de seconde, elle est classée. Il faudra ensuite des mois pour revenir sur cette première impression.
Il en va tout autrement dans la relation à l'autre
A partir de nos perceptions et de nos catégories, nous développons en permanence des attentes ou des scénarios. Sur la base des informations recueillies, de notre état du moment et de nos expériences antérieures, nous nous «attendons» en permanence à ce que les objets ou les autres se comportent d'une certaine manière.
La production de scénarios est un mécanisme fondamental, simple et redoutablement efficace qui fonctionne pratiquement en permanence en mode automatique.
Quand, dans la relation à l'objet, je fais un scénario, la régulation fournie par ce dernier est immédiate et en général précise. Il n'en va pas du tout de même dans la relation à l'autre. Les indications qu'il me fournit sont rarement explicites et laissent un espace important à l'imagination. C'est dans cet espace précis que l'on entend des phrases comme les suivantes:
- «il fait exprès de laisser traîner sa tasse»
- «je suis sûr qu'il est fâché, il ne m'a pas dit bonjour»
- «j'en connais un, c'est tous les mêmes...»
Attentes déçues, scénarios improbables, régulations inexistantes ou peu explicites, voilà le terreau favori sur lequel éclosent avec le temps les conflits.
Rétablir le lien pour une solution négociée
Si les objets régulent simplement nos anticipations, les être humains sont donc plus complexes et répondent rarement de manière explicite. Les attentes déçues constituent un terreau favorable à l'éclosion de conflits. Stockées, elle préparent l'éclosion de la prochaine crise.
Si ces mécanismes sont à l'œuvre dans la naissance des conflits, ils régissent aussi l'attitude du professionnel de la relation quand il traite une situation et les a priori qu'il a toujours.
En médiation, alors que l'on essaie de travailler sur la mise en œuvre d'une régulation efficace, il est fondamental de faire abstraction de ses «attentes» et d'éviter d'imaginer de suite les solutions aux problèmes posés par les parties.
Conscient de la puissance des mécanismes mis en jeu, on s'attachera principalement à rétablir le lien, amener les parties à dire ce qui pour elles est important , et travailler ensuite ensemble à l'élaboration d'une solution négociée.