Il y a une imposture dans la dénonciation de l’imposture
Dans son récent livre (1), la philosophe Julia de Funès utilise une argumentation dogmatique, une position haut/bas. Les coachs seraient des personnes qui ont raté leur vie et qui accompagnent d’autres ratés pour leur dire comment développer leur vie personnelle et professionnelle.
Visuel: màd
Ils, elles, préconisent des méthodes qui devraient permettre à leurs clients d’affronter leur futur. Des méthodes qui sont tellement à la mode que le développement personnel devient une approche impersonnelle, totalitaire, répétitive et non libérante. Le coaching et le développement personnel deviennent ainsi une sorte d’obligation déviante de réussite.
La critique est bien chargée aux canons de l’intelligence. Je suis d’accord avec elle que nous ne pouvons pas être une personne coach d’une autre personne. Faire du ping-pong mental, pour que l’autre se trouve et habite vraiment avec elle même, est la seule légitimité d’un accompagnement.
J’aurais aimé que la superbe philosophe use de la méthode chère à Aristote et à Thomas d’Aquin: une fois la question posée et la prise de position (thèse) affirmée, il y a un sed contra. Et si je pensais contre ce je que viens d’affirmer?
Dans la prise de position forte de Julia de Funès, il y a peu d’humilité philosophique de se défier soi-même dans ses affirmations. À mon avis, je l’avoue, pas très humble aussi, un défaut d’approche intellectuelle. Il faut oser se contredire.
La prise de position est superbe (en latin, les superbes, sont les orgueilleux) et la posture de Julia de Funès est orgueilleuse. En dehors d’une approche philosophique académique, il ne pourrait avoir une libération personnelle. On appelle cela un argument d’autorité.
Puisque j’ai des références, nombreuses, de grands philosophes – qu’elle cite à foison – j’ai donc raison. En plus, j’ai un parcours académique qui légitime ce que je proclame, dit-elle. En philosophie, comme en théologie, l’argument d’autorité est finalement faible. Il s’impose par un savoir que les auditeurs n’auraient pas. Sans démonstration précise.
Il eût fallu d’abord aborder la signification de la personne au sujet du développement personnel. Prosopon en grec signifie face, visage, masque, figure de théâtre ou personnage. Le développement personnel est-il une façon de faire face, de démasquer, de déjouer le théâtre du monde au travail et de démonter sa mise en scène? L’intelligence philosophique est-elle habilitée à masquer ou à démasquer?
Arthur Schopenhauer, solitaire assumé, notre référence à tous en matière de connaissance philosophique personnelle, mangeait à son club en payant deux repas pour être tout seul... Se connaître soi-même sans vis-à-vis. Un coaching sans coach. Encore faut-il être assez instruit pour savoir quoi lire.
Dans la même veine, Emmanuel Levinas, dont j’ai suivi les cours pendant quelques années à Fribourg, martèle que l’autre est autre. Nous ne sommes pas des mêmes. Donc, avec raison, Julia de Funès, proclame que nous ne pouvons pas appliquer des mêmes méthodes pour les mêmes personnes.
Peut-être, a-t-elle oublié de reconnaître, avec Levinas, que chaque personne a un visage et que celle-ci a besoin d’un vis-à-vis pour exister et ne plus jouer un rôle. Se faire reconnaître. Nous avons besoin d’une personne partenaire pour grandir.
Certes le coaching serait de l’homéopathie, mais la médecine philosophique haut de gamme doit-elle être prescrite à tous coups? Avec tous les effets secondaires connus: absence d’éthique politique notamment et dérapages sociologiques répétitifs.
Malgré les réticences de Julia de Funès, je persiste à proposer que l’accompagnement consiste à conférer l’amitié de dire sa vérité à autrui. Vérité non définitive (Wahrheit), mais vérité en chemin (Wahrnehmung), prise de vérité (lire sur ce point Hans Georg von Gadamer: Wahrheit und Methode). Méthode, hodos, le chemin que l’on prend.
Il y a une légitimité non philosophique de libérer une personne en la provoquant pour qu’elle cherche sa vraie voix/voie quel que soit le degré académique de l’interlocuteur(trice).
L’amitié de l’accompagnement se retrouve dans cette citation d’une lettre de René Char à Albert Camus (que je cite de mémoire): «Deux hirondelles tantôt silencieuses, tantôt loquaces, se partageant l’infini du ciel et le même auvent».
En conclusion, citons Blaise Pascal: «Se moquer de la philosophie, c’est vraiment philosopher.»
(1) Cet article est un rebond au portrait de Julia de Funès: La grande magouille, publié dans l’édition d’avril-mai d’HR Today, pp. 12-15. Article rédigé à l’occasion de la parution du livre de Julia de Funès: Développement (im)personnel, éd. L’Observatoire, 2019, 160 pages.