La chronique

«Ils vécurent enfants et firent nombre d’heureux»

Un bon ami, pour m’en partager la fraîcheur, m’a récemment envoyé la photo de ce graphe urbain. Après un long sourire intérieur, j’ai songé à tous ces gens sérieux et austères, à ces trop nombreux néo-enchanteurs, qui veulent nous imposer le bonheur laborieux, que nous le désirions ou pas.

Des DRH plus ou moins repentis à celles et ceux qui s’inventent Chief Happiness Officer, des consultants, naguère ayatollah du darwinisme productiviste systémique, financier et brutal, tous soudain métamorphosés en prophètes des organisations réinventées et bienveillantes, en passant par les universitaires et les dirigeants qui décrètent l’entreprise libérée et humaniste, on peut se demander quel sera le prochain artifice de cet enfumage managérial. Peut-être qu’un bref rappel historique calmerait leurs ardeurs sémantiques?

Démontrer qu’ils ne font que reprendre certaines arguties passées, nazies, fascistes et/ou communistes, de la joie, du bonheur ou de la liberté par le travail (forcé) pourrait utilement réfréner quelques-unes des leurs envolées lyriques et médiatiques.

Quittons le prêt-à-penser et réfléchissons un peu, loin des archétypes et des bonnes intentions. Est- il vraiment nécessaire de ré-enchanter le travail salarié? Oui, définitivement, si l’on en juge par sa désaffection progressive, par l’in-attractivité croissante d’entreprises plus ou moins grandes, par la volatilité accélérée de l’engagement des meilleurs potentiels, par l’exaspération exponentielle des détresses humaines, des souffrances morales et émotionnelles en leur sein, à l’origine de tant d’inhumaines catastrophes économiques, familiales et sociales...

Que faire alors pour éradiquer les comportements toxiques, une fois épuisés les pâles artifices du babyfoot-à-la-cafétéria, du team-building-obligatoire et des séances de méditations-anti-stress imposées?

Revenons à notre poète des rues. Car c’est là que nos enfants peuvent nous inspirer. Sans aucun angélisme béat et à bien les observer – dans leur monde, lorsqu’ils ont la chance d’avoir une enfance authentique – ils nous montrent qu’ils n’entreprennent jamais ni ne font rien sans enthousiasme! Rêveurs délibérés, forts de toutes les audaces de leur imagination, ils s’affranchissent de nos impasses rationalisantes pour inventer, oser, créer...

Leurs émotions authentiques, leurs émerveillements quotidiens, sans aucun filtre, constituent la source jaillissante de leur inépuisable – et parfois épuisante – énergie. Comme de leur surabondante créativité! Et leurs peines comme leurs joies sont entières, sans mensonge ni contrefaçon.

Nos entreprises, prétendument raisonnables et rationnelles, ne ressemblent plus en rien aux mondes libres, rieurs et inventifs de nos enfances heureuses! Dans les faits, on peut même observer que nos prétendues organisations désorganisent très gravement nos humaines et naturelles aptitudes.

Un enfant se développe autant que ses relations sont positives et paisibles! Son esprit social, son intelligence grégaire et ses inventions sont sponsorisées par les interactions harmonieuses et non-conflictuelles avec ses parents, sa fratrie, ses amis. Sa motivation, son énergie, son développement en découlent. Ses relations humaines sereines et humanisantes lui donnent le pouvoir de s’épanouir, oser, croître, inventer. Ce qui demeure vrai pour chaque adulte, à tous les âges d’une vie.

Pourquoi permettre alors que nos organisations deviennent, chaque jour un peu plus, les arènes autorisées de la non-relation, y favorisant trop souvent le mépris et les conflits, la colère ou les invectives, les jugements de personnes et les chantages périodiques?

Prétendre qu’il s’agirait là de notre nature, outre une déviance intellectuelle en forme de fatalisme, constituerait un bien méchant mensonge. Car ce que nous montrent nos enfants, ce que démontrent désormais les scientifiques, nous en avons tous l’intuition native: pour pouvoir donner le meilleur de nous-mêmes, innover et performer, nous avons besoin de nager en vrai bonheur! Comme les oiseaux, volant dans l’évidence du ciel...

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Xavier Camby est Directeur du cabinet Essentiel Management, qui forme les dirigeants à la gouvernance du futur, et auteur de «48 clés pour un management durable».
 
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