«J’ai choisi d’ouvrir la ‹boîte noire› de l’activité du manager»
Comment il vit son travail, ce qui guide ses choix d’action au quotidien, les compétences sur lesquelles il prend appui mais aussi les contraintes et impasses de son travail.
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Vous avez mené une recherche croisée entre l'analyse de l'activité et les questions de management et de leadership. Pourquoi ce choix?
Catherine Chevalier: Lors du MAS MRHC, étant à la fois formatrice d’adultes et cadre intermédiaire au sein de la Haute Ecole Pédagogique du canton de Vaud, j’ai ressenti le besoin d’affiner ma compréhension de la construction des compétences du manager aux prises avec les situations qu’il rencontre dans son quotidien. Je voulais remettre en contexte certaines théories managériales que je ressentais parfois comme des recettes un peu hors-sol. Pour cela, j’ai choisi d’ouvrir la «boîte noire» de l’activité réelle du manager: comment il vit son travail, ce qui guide ses choix d’action au quotidien, les compétences sur lesquelles il prend appui mais aussi les contraintes et impasses de son travail. Vu le format restreint de mon mémoire, j’ai choisi de faire une étude de cas centrée sur une situation de travail spécifique: une heure et demie de séance entre un manager et ses deux collaborateurs dont la visée était précisément de déléguer un dossier à l’un d’entre eux. Pour eux, il s’agissait de s’emparer de la prescription, d’en décoder les enjeux, d’en co-construire le sens et de préciser les modalités de travail. Pour le manager, cela a permis de faire émerger son expérience et sa subjectivité en rapport avec cette séance mais a aussi renvoyé à des dimensions plus transversales de son travail: ses connaissances, ses stratégies, ses valeurs, ses préoccupations, ses dilemmes, les risques qu’il court et comment il y fait face.
La capacité à déléguer semble être au centre du rôle du manager. Pouvez-vous nous en dire un peu plus?
Il a été significatif pour moi de comprendre que l’acte de déléguer est une sorte de «pointe de l’iceberg» révélatrice de ce qu’est le management du travail. Cela renvoie à la façon qu’a le manager de prendre en compte la variabilité des situations et des personnes avec lesquelles il est amené à travailler. On touche ici notamment à ses pratiques de mobilisation-empowerment des collaborateurs qui elles-mêmes renvoient au leadership. Si on admet que tout acteur a un parcours singulier, ses propres points d’appui expérientiels, son propre style, on imagine bien toute la complexité «concentrée» dans ce temps T de la délégation.
Vous avez tiré plusieurs conclusions utiles pour la formation des managers de demain. Lesquelles?
Sur le plan de la recherche, la mise à profit de l’analyse de l’activité pour éclairer certains aspects des sciences de la gestion offre des perspectives intéressantes qui pourraient enrichir certains contenus de la formation des managers. Pour avoir moi-même expérimenté le dispositif de l’auto-confrontation, j’ai goûté la puissance de ce type de méthodes; on finit par évoquer son activité comme s’il s’agissait de celle d’un autre, dans une alternance constante entre immersion et distanciation d’avec la situation. On y gagne une meilleure connaissance de soi et du travail, une compréhension affinée de son environnement et une construction renouvelée de ses pratiques. Enfin, si l’une des compétences clés des managers est de favoriser le développement professionnel des personnes et des collectifs, les approches de l’analyse du travail pourraient permettre de les familiariser à une posture et des gestes professionnels d’accompagnement du travail. Je terminerais par une citation d’Yves Barou* (2017) qui propose d’«adapter les dispositifs de formation: développer des programmes plus personnalisés se rapprochant des conditions réelles de production, mixer les formes d’apprentissages, formels, informels dans et par le travail» (p. 129) Les perspectives évoquées ci-dessus vont dans ce sens.
*Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) (2017) Apprendre à manager le travail. Livre blanc des initiatives en formation initiale et continue. France