Je n’ai pas l’esprit de compétition!
Le savez-vous? Nous n’avons naturellement pas d’instinct de domination ni de prédation!
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Rejoignant une anthropologie ancienne, les neuro-sciences modernes démontrent que notre cerveau est social, que nos aptitudes se développent proportionnellement à la sérénité de notre environnement émotionnel, que nos apprentissages proviennent du travail de nos «neurones miroirs», qui, par mimétisme, conditionnent nos comportements – l’exemplarité positive est donc cruciale pour grandir et se développer. Les chercheurs affirment chaque jour un peu plus que nous sommes des êtres psychiques grégaires, nativement structurés pour les relations paisibles et harmonieuses. Nous le savions déjà, depuis Bouddha, Aristote et Jésus: c’est par nature que nous aimons vivre ensemble, le plus pacifiquement possible, notre humanité profonde suscitant nos familles, nos communautés, nos sociétés.
Une terrible inversion de notre réalité communautaire s’est produite au 17ème siècle, portée par l’hypothèse – improuvée à ce jour – d’un philosophe britannique, Thomas Hobbes, qu’il publia dans son livre, le Léviathan.
Il y suppose que notre vie sociale n’aurait pour origine que la nécessité de nous empêcher de nous détruire les uns les autres. Sans règles contraignantes pour la régir, nous nous livrerions sans limite à la destruction de nos congénères. Il ne fait d’ailleurs que reprendre une vieille maxime romaine «l’homme est un loup pour l’homme» – une idée étrange, considérant les raffinements de leur vie en meute. Peut-être l’hypothèse de Hobbes était-elle vraie pour quelques Anglais de son époque, mais elle devint, en quelques décennies, une croyance puis un théorème, qui contamineront toute pensée postérieure, légitimant d’innombrables excès d’inhumanités. Cette hypothèse, mélangée d’un peu de darwinisme social, engendrera une autre croyance mortelle: la sacralisation de la compétition, présumée vertueuse, qui nous permettrait de donner toujours plus. Et le meilleur, au bénéfice de tous.
La systématique célébration des seuls résultats individuels, depuis l’enfance jusqu’au MBA, du club de sport jusqu’à l’entreprise, de notre plus jeune âge jusqu’à la retraite, a créé, en chacun de nous, à l’insu de notre conscience et à l’envers de notre psychisme, un pernicieux conditionnement: celui de la compétition-élimination. Programmé désormais pour croire ne pouvoir réussir que solitaire, percevant tout autre comme un adversaire et une menace, je porte gravé dans mon inconscient l’handicap réel d’une incapacité collaborative. Son principal symptôme est le rejet des contributions des autres et sa conséquence, un florilège de conflits variés.
Dans ce référentiel mental inversé, aucun outil de management, de leadership ou de gouvernance ne peut rien produire de positif ni rétablir la santé de nos entreprises. Certains s’époumonent à y répéter de vieilles recettes qui ne changent rien et de nombreuses organisations, devenues des arènes toxiques, voient se détruire en leur sein leurs salariés et la richesse. Et bien sur, les meilleurs s’enfuir.
La perversion morale et l’aberration sociale portées par le sens courant du mot de compétition se triplent d’une erreur étymologique. Inventé par Cicéron et vulgarisé par Jules César, ce mot se construit du préfixe cum (avec) et du verbe petere (dans le sens d’agir résolument, à l’origine du mot pétition). La compétition a donc le sens historique précis d’agir ensemble, avec détermination. Et non pas les uns contre les autres.
L’authentique compétence consiste en notre aptitude à oeuvrer en groupe, à nous réunir pour travailler ensemble. Cette compétence là, cette compétition collective, que j’appelle l’intelligence collaborative, voilà la vraie dynamique du monde que nous aspirons à créer. Tous. Ensemble. Et par nature.
Sans doute suis-je donc, finalement et comme des millions de travailleurs généreux, animé par ce splendide esprit de compétition, qui me fait vouloir la décision partagée, le travail solidaire et la réussite collective.