Coaching

«Je ne suis pas Dieu»

Le coach Marschall Goldsmith accompagne les managers depuis plus de 30 ans. Bouddhiste, proche de l’économiste américain Peter Drucker, il est considéré comme le gourou des tops managers de ce monde. En marge d’un atelier qu’il a co-animé avec Dave Ulrich en novembre 2014 à Zurich, il évoque les CEO toxiques, les commentaires malveillants et la sagesse des femmes. 

Comment se sent un gourou du coaching?

Marschall Goldsmith: J’aime ma vie. Je ne me pose pas trop de questions sur mon statut de gourou. J’ai commencé ce métier il y a plus de trente ans, quand le terme «coaching» n’était pas encore utilisé en entreprise. Ma mission est d’aider les gens à s’améliorer. Près de la moitié de toutes mes invitations sont gratuites. Comme pour le président de la banque mondiale, la Croix Rouge ou le Bureau mondial du scoutisme. J’en retire le privilège de rencontrer des gens hors du commun. J’ai donc l’impression de faire un métier qui a du sens.
 

Durant votre intervention, vous avez évoqué votre relation avec l’économiste Peter Drucker (1909-2005). Que retenez-vous de vos années passées à ses côtés?

J’ai appris de lui que nous perdons beaucoup de temps à dire aux managers ce qu’ils devraient entreprendre au lieu d’investir du temps pour leur montrer les comportements à proscrire. Il m’a aussi enseigné une leçon importante à propos du pouvoir. Chaque décision de la vie est prise par celui qui a le pouvoir de prendre cette décision. Ce n’est pas forcément le meilleur, ni le plus intelligent, ni le mieux placé. Notre mission dans la vie devrait être, en toutes situations, d’agir pour le mieux de l’humanité. Nous perdons beaucoup de temps à démontrer aux autres notre habileté, à argumenter notre bon droit. La plupart d’entre nous ne le comprendront jamais. Peter Drucker m’a montré comment influencer un décideur et comment il faut, parfois, s’accommoder d’une décision.
 

Que conseilleriez-vous à un responsable RH qui est confronté à des gens qui n’acceptent pas les critiques et qui refusent systématiquement d’entreprendre un coaching?

Cela ne sert à rien de forcer quelqu’un à commencer un coaching. Les managers RH devraient apprendre à accompagner l’encadrement afin de les aider à prendre les bonnes décisions. Si votre approche est de dire: «J’ai quelqu’un ici qui va vous aider à prendre les bonnes décisions pour l’entreprise», la réponse sera toujours positive.
 

Et si c’est le CEO qui a besoin d’un coaching?

C’est assez simple. Le CEO a le pouvoir de prendre la décision. Il est dans la posture du client. Le DRH est le vendeur. Le CEO, de son côté, n’est pas obligé d’acheter. Comme tout bon vendeur, le DRH devrait cerner les besoins de son client afin d’adapter le packaging du produit. On me demande souvent comment avoir de l’influence quand on n’a pas de pouvoir. La définition du pouvoir est le potentiel d’influence que vous avez sur une situation. La question est donc de savoir comment influencer quelqu’un sans avoir ce potentiel d’influence. Parfois, ce n’est simplement pas possible. Je ne suis pas Dieu. Si vous avez en face de vous un CEO qui ne veut rien entendre, laissez tomber. Vous n’allez pas lui administrer une potion magique afin qu’il se rende enfin compte!?
 

Et que conseilleriez-vous à ce DRH?

Je lui dirais d’aller chercher un autre employeur! Pas tout de suite. Mais il faut éviter de tomber dans la posture de la victime. C’est inutile de jouer au martyr en vous plaignant de votre CEO tyrannique. Ce serait pathétique. Si c’est pour l’argent que vous êtes là, alors prenez cet argent et faites de votre mieux. Mais surtout ne vous plaignez pas et évitez de pleurnicher!
 

Un coach de votre calibre n’est pas à la portée de tous. Quels tuyaux donneriez-vous à un DRH qui cherche à engager un coach pour son entreprise?

Premièrement, il ne faut jamais dévoiler au coach le fond du problème et les vraies raisons de vos difficultés. Ce serait une grave erreur. Si vous dites à un coach: «J’ai besoin de vos conseils pour définir une nouvelle stratégie», il vous répondra: «Oui, bien sûr, je suis votre homme». Demandez- lui plutôt ce en quoi il excelle. Si sa réponse n’est pas convaincante ni adaptée à vos besoins, passez votre chemin. Une autre astuce est de lui demander quelques références. Personnellement, je ne cache pas l’identité de mes clients. Je cite même leurs noms dans mes livres. Vous pouvez tous les appeler et leur demander leur avis. Mes clients n’ont pas honte d’être accompagnés par un coach. Quand j’entends dire que le fait d’être coaché est un signe de faiblesse, je trouve cela étrange.

Parlons des «petites phrases qui tuent», un sujet que vous avez évoqué lors de votre conférence. Ces commentaires toxiques consomment beaucoup d’énergie en organisation, dites-vous. Comment mettre en place une culture qui bannirait ces propos?

Mon premier conseil serait de montrer l’exemple et d’éviter, en tant que professionnel RH, de prononcer des commentaires destructeurs et malveillants. C’est une très mauvaise habitude. Il n’y a sans doute rien de pire pour les collaborateurs que d’entendre le responsable RH parler ainsi. On confie aux RH des informations détaillées et souvent confidentielles. Ils ont aussi des rapports privilégiés avec les décideurs de l’entreprise. Entendre des mots malveillants dans leur bouche agit comme un poison. Il m’arrive d’imposer à une direction générale qui me demande de les accompagner de cesser sur le champ ces commentaires destructeurs. Sur ce sujet, je n’ai aucune tolérance. En général, cela dure trois à quatre semaines et les problèmes disparaissent. C’est le temps qu’il faut pour ancrer ces fondamentaux dans une culture d’entreprise. Parfois il est nécessaire de se séparer d’une ou deux personnes. Le changement de culture est à ce prix. Les conséquences doivent être visibles et bien réelles pour celui ou celle qui ne respecte pas les règles.
 

Vous travaillez actuellement sur un livre qui traite du thème très à la mode de l’engagement des collaborateurs. Pouvez-vous nous dévoiler quelques détails?

Il s’agit d’entraîner les collaborateurs à s’engager par eux-mêmes. Toute mon activité consiste à dire aux autres de se concentrer sur ce qui est important et bien pour eux, et de ne pas attendre que l’entreprise leur offre un programme qui les motivera.
 

Avant la pause de midi, vous avez demandé aux femmes présentes dans la salle de rester encore un moment, seules avec vous. Je suis curieux de savoir quels secrets vous avez partagés avec elles?

Ces ateliers de dix minutes réservés aux femmes sont en train de devenir très populaires. Peut-être parce que je leur conseille de s’autoriser à être heureuses, de ne plus se sentir coupables et d’accepter simplement ce qui est. La vie est le fruit d’un nombre incalculable d’actions réalisées pour nous par nos ancêtres. Je leur conseille par conséquent de penser à ces ancêtres et à la multitude de cadeaux qu’ils nous ont laissés. Quand je leur demande ensuite ce qu’elles aimeraient dire à ces ancêtres, la réponse est invariablement: «Merci!»
 

Et encore?

Je leur demande ensuite si tous les êtres humains sont parfaits? Non! Et faites-vous aussi des erreurs? – Oui bien sûr! – Et qui est la première personne que nous devons pardonner? – Nous-mêmes! – Puis je demande aux mères dans la salle – et j’ai déjà accompli ce rituel avec des milliers de mères à travers le monde – de me dire ce qu’elles souhaitent le plus pour leurs enfants? La réponse est toujours, peu importe le pays: «Du bonheur». (Silence) Tout le monde souhaite le bonheur de celles et ceux qui sont dans leur cœur. Voulez-vous que vos collaborateurs soient contents? Alors montrez-leur le bon exemple, et soyez heureux!
 

Marschall Goldsmith

Le classement «Thinkers50» a nommé Marschall Goldsmith «spécialiste du leadership le plus influent du monde». En tant que business coach, il a conseillé plus de 150 CEO, actifs au niveau international. Il enseigne également le leadership à la Tuck Business School (Dartmouth, Etats-Unis) et est professeur invité à Harvard. Conférencier de talent, Marschall Goldsmith était de passage à la Zfu International Business School de Zurich les 13 et 14 novembre 2014.

traduit par Marc Benninger

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