Dans un avion trois jours par semaine
De retour en Suisse en 2006, Philippe Jost devient directeur de l’unité «Développement des nouveaux marchés». «J’étais dans un avion trois à quatre jours par semaine. Assez rapidement, j’ai eu envie de réduire ces déplacements pour passer plus de temps avec ma famille.» En 2011, il est nommé «Global Integration Manager», «ce qui m’a permis de réduire de 30 à 40% mes voyages.»
Dans une société active au niveau mondial, ces déplacements sont absolument nécessaires, estime-t-il aujourd’hui. «Essayez de manager avec des tableaux Excel et vous allez rapidement perdre le pouls de vos équipes avec le risque de ne pas prévenir les dysfonctionnements à temps.» Les contacts personnels sont indispensables, aussi à cause des nombreuses couches hiérarchiques, dit- il. «Nous souhaitions également éviter d’avoir une organisation en silos. La culture de Sika est de responsabiliser les cadres afin qu’ils prennent eux- mêmes les décisions. Cela évite à notre CEO de devoir prendre chaque jour plus de 2000 décisions.»
Il devient en revanche de plus en plus difficile de trouver des personnes prêtes à voyager autant. Si la grande majorité des directeurs de pays étaient suisses par le passé, ils ne sont plus qu’une poignée aujourd’hui. Les Suisses, et les Européens en général, sont devenus très exigeants, estime Philippe Jost. De nos jours, c’est très difficile de motiver un jeune pour une carrière internationale. Au contraire de l’Espagne, de la Serbie ou du Mexique par exemple, où les jeunes restent encore très disponibles pour ce type de mission. Cette réalité contraste avec les thèses actuelles sur les générations Y et Z, considérées comme étant avides de changement. «Cela dépend pour quoi, glisse Philippe Jost. Si c’est pour découvrir un nouveau métier peut-être, mais quand il s’agit de changer de pays, ils sont devenus assez frileux. Les temps ont bien changés.»
DRH Monde, Philippe Jost rapporte directement au CEO. «Je participe aux comités de direction. Je n’ai pas de droit de vote, mais mon CEO écoute mon avis avec attention.» Ses sujets de prédilection? Le développement du personnel, subdivisé en deux domaines: la gestion des successions et les programmes de mobilité internationale.» Le taux de rotation relativement bas est-il parfois aussi un obstacle? «Oui. Chez Sika, nous offrons rapidement des opportunités de progresser. Par conséquent, à 45 ans un cadre est souvent déjà arrivé au sommet de sa carrière, avec un poste de directeur régional ou de pays. Il leur reste donc encore plusieurs années devant eux sans possibilité d’évolution», explique Philippe Jost. «Notre CEO a donc opté pour un modèle de Job-rotation, ce qui a le double avantage d’offrir des nouveaux challenges à nos cadres Senior et d’ouvrir l’horizon pour les générations montantes.»
La complexité du métier RH
Revenons à sa récente nomination. En toute honnêteté, n’aurait-il pas préféré reprendre la direction d’un pays? «Je m’intéresse moins au titre sur la carte de visite qu’au fait de pouvoir faire bouger les choses. On m’aurait proposé la direction de notre filiale suisse ou allemande, j’aurais refusé», répond-il. «En tant que DRH du groupe, personne n’attend de moi que je sois un expert dans le droit du travail des 97 pays où nous sommes présents. Je dois simplement pouvoir suivre les grandes lignes.»
Et comment évalue-t-il la fonction RH après deux ans? «J’ai sous-estimé la complexité du métier. La mobilité internationale est un bon exemple. Vous êtes très vite confronté à des casse-têtes juridiques. Respecter toutes les lois du travail nationales n’est pas une sinécure.» Tout ce qui touche à gouvernance corporate et au droit du travail sont des sujets délicats, dont on ne réalise pas la complexité quand on est sur le terrain, confie-t-il. Et d’ajouter que «le business est plus facile à comprendre».
A l’inverse, il estime être désormais l’ambassadeur de la fonction RH sur le terrain. «Avec mon parcours, ma force de persuasion est sans doute plus importante que quelqu’un qui aurait fait toute sa carrière dans les RH.»
Et pense-t-il que ce poste de DRH va lui servir de tremplin pour accéder un jour à la fonction de CEO? «Le plus haut, le mieux», répond cet amateur d’alpinisme avec le sourire. «Non, sérieusement, je ne le pense pas, mais la diversité de mes missions est clairement un avantage dans ma fonction actuelle, peu importe où cela va me mener à l’avenir.»
Trajectoire
Luxembourgeois d’origine, Philippe Jost, 44 ans, est le fils d’un informaticien et d’une juriste. Durant son enfance, il est un habitué des stations de ski suisses, où il rencontre sa future épouse. Il commence en 1991 un cursus d’architecture à l’école polytechnique fédérale de Zurich, mais s’intéresse davantage aux matériaux de construction et à l’aspect pratique du métier d’ingénieur. Il bifurque donc vers des études d’ingénierie, qu’il termine en 1996. Après un apprentissage chez Sika, il est envoyé aux Etats-Unis où il grimpe les échelons jusqu’au poste de directeur marketing de la filiale américaine du groupe. Plusieurs étapes professionnelles plus tard, il est nommé DRH Monde en 2014. Installé à Zurich-Höngg, il est marié et père de deux enfants.
trad. mb