Collaboration homme + machine

L’intelligence hybride, porte d’entrée vers une économie plus durable

La productivité et le contrôle montrent leurs limites. L’intelligence artificielle permet de sortir de cette impasse et de redonner à l’être humain sa valeur ajoutée.

Dans le monde du travail actuel, les bureaux sont de deux types: des boîtes de 9 m2 avec fenêtre ou alors des open space de bureaux alignés. Avec un peu de chance, votre espace sera parsemé de plantes vertes, avec accès à des réfrigérateurs et du café à volonté. Et si vous êtes vraiment chanceux, vous pourrez jouer un baby-foot pendant la pause et donner vos vêtements à un service de pressing.

Ces bureaux sont l’héritage de l’ère industrielle. Le principe consiste à enfermer les travailleurs dans un lieu, pour assurer la meilleure productivité possible, en effectuant des tâches dont le rythme est contrôlé par des responsables et sous pression. Ce tableau représente le merveilleux monde du travail d’aujourd’hui pour une part importante de travailleurs.

Cette situation explique aussi l’augmentation de 70% des absences liées à des problèmes de santé mentale en Suisse depuis 2012, selon une étude de PK Rück et Swica. Ainsi, burn-out, bore-out, burn-in et brown-out (1) se sont invités à notre table.

La metrix de productivité

Cet ancien monde recourt donc à la productivité, aux bureaux et au management pour assurer la cadence. Selon Le Larousse, la productivité du travail est «le rapport entre le résultat d’une activité productive et les facteurs de production qui ont été utilisés pour réaliser cette production (...)». En clair, il s’agit du rapport entre la valeur ajoutée et le nombre d’heures travaillées. Certaines études affirment que 70 à 80% des tâches que nous effectuons aujourd’hui sont des activités automatisables, avec ou sans intelligence artificielle (IA).

D’un point de vue purement productif, l’une des choses les plus convaincantes pour les IA que nous avons aujourd’hui, c’est-à-dire les IA faibles (2), est que, bien qu’elles soient basiques, elles nous dépassent déjà dans leur périmètre très limité. Nous nous trouvons donc, en tant qu’êtres humains, en concurrence avec des machines qui peuvent fonctionner 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, toujours constantes dans leur productivité, sans temps d’arrêt ni absences.

L’IA se concentrera donc de plus en plus sur des types de tâches simples et répondra parfaitement à la demande de productivité. Mais si nous confions les tâches purement productives à l’IA, que fera l’humain?

De l’ancien monde à l’excellence

L’ancien monde du travail a montré ses limites. Elles ont été accentuées par la crise Covid, qui a mis en évidence l’appauvrissement, les maladies et les inégalités du modèle actuel, en soulignant:

  • Le nécessaire repositionnement vers un modèle où la rentabilité financière et la durabilité coexistent, faute de quoi le système va s’effondrer.
  • La nécessité d’un travail qui ait un sens et une valeur ajoutée pour l’individu qui le fait.
  • Une mesure autre que la productivité pour l’homme, car ce n’est pas là que réside notre valeur ajoutée.

En cessant de mesurer l’être humain par sa productivité, l’IA nous pousse à nous diriger vers l’excellence. L’excellence dont nous parlons ici n’a rien à voir avec les messages désincarnés affichés dans les plaquettes d’entreprises et les sites internet. Cette excellence-là est creuse.

Nous parlons de ces moments précis où, emportés dans un flow, nous nous activons avec ce sentiment d’être vraiment bons et excellents dans ce que nous faisons là, dans le moment présent. Ce sentiment trouve sa source dans 6 critères qui ont été mis en avant par la fondation 80000hours.org, à savoir faire un travail:

  1. Pour lequel nous sommes bons. Étonnamment, et d’après les dernières découvertes de la psychologie positive, lorsque nous nous sentons «bons», notre sentiment d’accomplissement augmente et influence notre satisfaction, ce qui va sécréter de la dopamine, une des hormones du bonheur.
  2. Qui aide les autres. Une enquête mondiale a révélé que la réalisation d’actes altruistes procure une énorme satisfaction personnelle qui contribue directement à une meilleure santé. Quand nous aidons les autres, c’est une autre hormone du bonheur qui est sécrétée: l’ocytocine.
  3. Qui permet d’entrer dans un état de flow (liberté, variété, tâches claires, retour d’information).
  4. Avec des collègues soutenants.
  5. Qui ne présente pas d’inconvénients majeurs tels que de longues heures de travail ou une rémunération injuste.
  6. Qui correspond à notre vie personnelle.

De manière étrange, lorsque nous travaillons avec ces six conditions, sans même nous en apercevoir... nous devenons excellents! Enfin, disons plutôt que nous sommes dopés aux hormones mais puisqu’on se les injecte soi-même, c’est légal! Plus étrange encore: lorsque nous sommes excellents, l’entreprise en profite à court, moyen et long terme.

Le monde du travail de demain: l’intelligence hybride

Pour réussir à transformer le monde du travail actuel vers de nouveaux modèles plus durables, nous devons accroître notre capacité à trouver des solutions. L’IA est l’une de ces technologies disruptive qui nous permet de le faire. Demain, l’entreprise sera repensée dans des endroits où les responsables n’ont plus leurs bureaux à des endroits stratégiques pour contrôler le nombre de pauses cigarette, le temps passé près de la machine à café ou la cadence de la productivité.

Ce sera un lieu où l’individu viendra apporter son expertise, quel que soit son domaine d’excellence. Un lieu où le groupe articulera des solutions complexes grâce à l’intelligence collective. Enfin, un lieu où l’IA complétera et enrichira notre compréhension, notamment par sa puissance de calcul, sa capacité de compilation, sa possibilité d’identifier des modèles qui ne sont pas accessibles à notre cerveau...

Ce travail, main dans la main, représente l’émergence d’une intelligence hybride. Ce concept que nous développons avec le Docteur Claude Garcia de l’EPFZ articule la «mise en réseau de l’intelligence individuelle, collective et artificielle, pour dépasser ensemble les limites de chacune».

La transition des compétences vers un nouveau monde du travail

Pour réaliser ce nouveau monde du travail, l’IA a besoin de nous et nous avons besoin d’elle. Le besoin de nouvelles compétences se fait sentir et cette transition va fortement nous occuper. Le nouveau rapport du World Economic Forum: «The Future of Jobs Report 2020» parle de 50% de nos tâches qui changeront d’ici 2025. Nous avons identifié, au sein de la fondation impactIA et en collaboration avec les entreprises, 17 nouveaux métiers (voir le graphique ci-dessus) liés à l’IA et dont nous avons déjà besoin aujourd’hui.

Ces nouveaux métiers sont tout autant techniques que non-techniques, hautement qualifiés qu’accessibles par la formation continue. Le défi pour nous aujourd’hui est l’acquisition de ces nouvelles compétences afin de pouvoir interagir avec l’IA et développer une intelligence hybride pour plonger dans ce nouveau monde du travail.

Identifier ses propres compétences et les comparer aux compétences requises pour ces nouveaux métiers est la première étape pour se transformer. Un outil tel que uscope (uscope.ch), en répertoriant les nouveaux métiers liés à l’IA et en les comparant à nos compétences, fournit une vision pragmatique des lacunes à combler. Il permet ainsi la mise en place d’un plan de formation au niveau de l’individu et de l’entreprise.

L’IA, en nous débarrassant de la mesure de la productivité, en nous permettant de repositionner le travail dans la vision de la valeur ajoutée et en augmentant notre puissance de solution par l’activation de l’intelligence hybride, nous permet de passer à un nouveau modèle économique plus durable.

(1) Le burn-out est défini comme une situation de malaise physique et mental liée à la vie professionnelle quotidienne. Il ne doit pas être confondu avec la dépression ou le surmenage. Le bore-out est déclenché par le manque de travail, l‘ennui et, par conséquent, le manque de satisfaction sur le lieu de travail. Le burn-in est défini comme précédant le burn-out et est associé à la notion de présentéisme excessif au bureau. Le brown-out est l’épuisement associé à la perte de sens de sa tâche, voire le contraire de ce qui devrait être fait. Cela conduit au phénomène des «bullshit jobs», essentiellement des emplois de bureau.

(2) L‘IA faible est définie par opposition à l‘IA forte comme une intelligence artificielle qui se concentre sur une seule tâche spécifique et ne peut la réaliser que de cette manière.

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Laura Tocmacov Venchiarutti est la directrice et cofondatrice de la Fondation impactIA. impactia.org

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